17.12.2024
Banque interaméricaine de développement ou Banque des États-Unis pour l’hémisphère occidental ?
Tribune
10 septembre 2020
Rendez-vous à Carthagène des Indes. Le 12 septembre 2020, dans cette ville-port coloniale, au nord de la Colombie, les choses devraient se décider. Les quarante-huit gouverneurs, représentant les actionnaires de vingt-six pays américains et vingt-deux des autres continents doivent en effet élire le successeur du sortant, le Colombien Luis Alberto-Moreno.
Rendez-vous à bien des égards hors du commun. Depuis 1959, date de fondation de cet organisme bancaire dépendant de l’Organisation des États américains (OEA), par accord tacite, la présidence était attribuée à l’un des membres sud-américains. Étant entendu que l’institution intercontinentale, la Banque mondiale, revenait elle à un fonctionnaire d’origine nord-américaine et le FMI à un Européen. Cette entente non écrite avait été respectée à la lettre jusqu’à aujourd’hui[1].
« Avait », parce que ce modus vivendi relèverait désormais du passé. Le président des États-Unis, Donald Trump, conformément à sa conception nationale du multilatéralisme, a lancé fin juin une sorte d’OPA diplomatique sur cet organisme intergouvernemental. Il a mis sur orbite son conseiller Amérique latine, l’Hispano-Cubain, Mauricio Claver-Carone.
Certes, Mauricio Claver-Carone est parfaitement bilingue. Entre père espagnol et mère cubaine de Floride, il a passé enfance et adolescence entre Madrid et Miami. Il a un incontestable savoir-faire financier. Il n’en reste pas moins qu’il est citoyen des États-Unis. Un citoyen très engagé, qui en tant que membre du cabinet de Donald Trump a été l’articulateur de la relance du blocus de Cuba et de l’offensive économique et bancaire contre le Venezuela. Le personnage a un profil de missus dominicus, plus que d’expert en capacité d’arbitrer les contradictions nationales de toute nature qui se croisent nécessairement dans une institution internationale.
L’Amérique latine des alternances libérales et conservatrices a abruptement pris conscience de ses impasses. Comment, « un gringo à la présidence de la Banque interaméricaine de développement (BID) ? », titre une publication économique chilienne[2] ? Le choix de l’ami nord-américain brandi dans les campagnes électorales, contre le « populisme bolivarien, communiste, gauchiste, socialiste », à Ascension, Bogota, Brasilia, Lima, Montevideo, Quito, Santiago leur a sans doute facilité les appuis médiatiques internationaux, et les bons vœux de Washington, et parfois de Bruxelles.
Le 26 août, six anciens présidents libéraux ou sociaux-libéraux, espagnols et latino-américains, ont appelé à la résistance[3]. Ils ont été entendus par certains gouvernements qui n’ont rien de révolutionnaire, le Chili et le Costa Rica. Tandis qu’Argentine et Mexique, d’orientation réformiste et nationale, adoptaient la même position. L’Union européenne, actionnaire extérieur, a participé à cet élan multilatéraliste. Ils ont pourtant la main dans un piège qu’ils se sont eux-mêmes tendu.
L’amitié de celui qui a crié haut et fort « L’Amérique d’abord ! », Donald Trump, s’est arrêtée là où commence l’intérêt des États-Unis. Tel que l’hôte de la Maison-Blanche l’entend. Les remontrances, les menaces de sanctions commerciales sont tombées sur tous, Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Mexique, tout autant que Cuba, Venezuela, et … Union européenne. Ce n’est pas un idéologue féru du catéchisme républicain qui est à la tête des États-Unis, mais le gestionnaire d’une très grosse agence de biens immobiliers, forte de sa « marche conquérante vers l’ouest », soucieuse d’accroître sa part de foncier, dans les deux Amériques (l’hémisphère occidental, dans la terminologie géopolitique des États-Unis), comme ailleurs dans le monde.
Il se trouve que ces dernières années, pour diverses raisons que l’on ne peut évoquer ici, les États-Unis ont été accaparés par des enjeux internes comme étrangers. La Chine a occupé le vide laissé au sud du Rio Grande. Elle est devenue le premier ou le deuxième partenaire commercial de la région. Elle est actuellement sa première pourvoyeuse de fonds devant la BID et la Banque mondiale. Elle offre avec quelques succès désormais aussi sa technologie de Buenos Aires à Mexico.
La moralité de l’histoire, tirée par le locataire de la Maison-Blanche, est très simple, acculer les partenaires principaux de la Chine, -le Venezuela, Cuba-, menacer tous ceux qui seraient tentés de confier leur téléphonie 5G à Huawei (Chili, Mexique) et couper la route du yen, en prenant la BID.
Les jeux, le 11 septembre au soir, n’étaient pas encore clairs. Dix-sept pays américains se sont prononcés le 18 août pour maintenir la date du 12 septembre pour élire le prochain président de la BID. Les opposants avec 22,2% sont au bord de la minorité de blocage. Le système de votation est complexe. Il combine une préférence régionale pondérée par le capital détenu par chacun des États. Il ne peut avoir lieu si 25% ou plus des membres sont absents. Donald Trump peut « compter » sur la plupart des petits pays centraméricains et caribéens, dont la souveraineté est limitée. Brésil, Colombie, Équateur, Paraguay, Uruguay les yeux tournés sur le rétroviseur de la guerre froide, ont décidé quoi qu’il en coûte de jouer contre leur camp. Le Pérou a gardé jusqu’au dernier moment un silence prudent. Cuba n’est pas membre. Le Venezuela s’est vu retirer sa représentation, accordée à un opposant autoproclamé dans la rue, sur décision des États-Unis, des gouvernants libéraux et conservateurs d’Amérique latine et … ceux des grands pays de l’Union européenne.
L’enjeu, on le voit, dépasse le cadre habituellement feutré des institutions internationales spécialisées. Il interpelle les Latino-Américains, mis au pied du mur par Donald Trump. Il est l’une des scènes d’affrontement entre Washington et Pékin. Il contraint l’Union européenne à réévaluer son absence diplomatique au sud des États-Unis.
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[1] Felipe Herrera (Chili) 1960-1970/Antonio Ortiz Mena (1970-1988) / Enrique Iglesias (Uruguay) 1988-2005 / Luis Alberto Moreno (Colombie) 2005-2020.
[2] Americaeconomia
[3] Felipe Gonzalez (Espagne) ; Fernando Henrique Cardoso (Brésil) ; Ricardo Lagos (Chili) ; Julio Sanguinetti (Uruguay) ; Juan Manuel Santos (Colombie) ; Ernesto Zedillo (Mexique)