21.11.2024
Élection présidentielle américaine 2020 : la Convention Trump, ou l’appel à la base
Tribune
7 septembre 2020
Lors de la convention organisée sous l’égide du parti républicain, à la fin du mois d’août 2020, le pari de Donald J. Trump pour sa réélection s’est affiché ouvertement : mobiliser coûte que coûte les 30-34% de votants qui forment son bloc électoral et qui ont continué à le supporter depuis 2016 – en espérant que ce sera assez pour l’emporter à nouveau –, tout en œuvrant à une faible mobilisation démocrate.
Du 24 au 27 août 2020, s’est tenue à Washington D.C. la convention nationale du parti républicain, ou plutôt faudrait-il dire la convention Trump, tant le président sortant, Donald J. Trump, et sa famille ont pris le contrôle et de l’événement et du parti républicain. Durant les quatre jours de la convention, au cours de laquelle le président sortant a accepté l’investiture du parti pour un second mandat, le président et les membres de sa famille (épouse, enfants adultes et leur conjoint) se sont relayés sur les différents podiums où se déroulait la convention, privatisant, en violation des lois fédérales, les bâtiments fédéraux comme la Maison-Blanche à des fins politiques, évinçant les figures traditionnelles du parti républicain et relayant au second rang certaines étoiles montantes du parti, comme Nikki Haley (ancienne représentante des États-Unis aux Nations unies nommée par Trump), Mike Pompeo (actuel secrétaire d’État), Tim Scott (sénateur de Caroline du Sud) et Tom Cotton (sénateur de l’Arkansas). Par leurs interventions, relayés par l’ensemble des orateurs de la convention, tout à la gloire du président, de son bilan et de sa réélection – avec tous les dénis de réalités que cela impliquait –, ils révélaient un étrange culte de la personnalité autant que le succès du clan Trump à imposer son agenda extrême-droitier au parti. À cet égard, le fait que le Republican National Committee (RNC), l’organe central et national du parti, n’ait pas cru bon d’adopter une nouvelle plateforme électorale et ait décidé de maintenir le programme « America First » de 2016, en dit long sur l’absence de contre-pouvoir au sein de l’organisation et sur la stratégie que le parti de Trump a décidé d’embrasser au cours de la campagne 2020.
Le pari électoral de Trump : mobiliser sa base électorale à tout prix
La convention Trump n’a pas fait mystère quant à la stratégie à adopter pour l’emporter une seconde fois. Avec des taux de satisfaction de l’opinion publique concernant l’action du président oscillant autour de 40 % – soit relativement bas –, avec des enquêtes d’opinion donnant jusque-là Joe Biden vainqueur – à l’échelle nationale, mais également dans certains Swing States décisifs –, avec une situation socio-économique désastreuse, avec une action contre le coronavirus jugé calamiteuse, avec une absence d’empathie pour les victimes de violences policières, sans oublier la défaite du parti républicain durant les élections de mi-mandat, en novembre 2018, le président n’a plus d’autres choix que de se recentrer sur le corps électoral qui a fait sa victoire en 2016 et qui lui est resté fidèle depuis lors.
Malgré des actions chocs éparses durant la convention en guise d’appel aux minorités ethniques et raciales (pardons, cérémonie de naturalisations), le président Trump et son équipe n’ont aucune intention d’élargir leur base électorale et ont fait le pari de rassembler et mobiliser la totalité de la coalition électorale qui l’avait porté au pouvoir en 2016. Cette base solide représente un peu plus de 30 % du corps électoral américain et n’a quasiment pas varié depuis le début de la présidence. Une très large majorité des sympathisants composant ce bloc (des Républicains conservateurs traditionnels à l’extrême-droite nationaliste, raciste et conspirationniste) ont en permanence manifesté leur soutien au président depuis 2016.
Le pari du président Trump est donc le pari de la mobilisation et de la participation totale de ce groupe électoral ; le bloc électoral du président Trump est si limité qu’aucun segment électoral qui a participé à la victoire de 2016 ne doit manquer pour espérer l’emporter à nouveau. Cette stratégie de victoire requiert toutefois un second volet, tout aussi crucial, miser sur une faible mobilisation des sympathisants du parti démocrate, ou créer les conditions d’une faible participation à l’élection en utilisant toutes sortes de tactiques et de coups dignes d’une République bananière (diminuer les possibilités de vote par correspondance en supprimant le nombre de boîtes aux lettres et en réduisant les capacités des services postaux à gérer cet afflux de courriers, fermer les lieux de vote, réduire les possibilités de vote anticipé, etc.). Autrement dit, rejouer le scénario de 2016, où la faible mobilisation de l’électorat démocrate dans certains États pivots avait conduit à la victoire de Donald Trump, parfois avec une marge relativement étroite, comme dans le Wisconsin et le Michigan. En 2016, à l’échelle nationale, 62,8 % des sympathisants républicains s’étaient rendus aux urnes, contre 58,5 % pour les sympathisants démocrates – traditionnellement, l’électorat républicain se mobilise davantage que l’électorat démocrate.
Pour réussir ce pari, le président Trump aura besoin de tous ses votes de 2016 ; or, comme l’ont montré les élections de mi-mandat et les dernières enquêtes d’opinion, le président Trump, par son action et son comportement, est en train de perdre une composante de sa coalition électorale. Si les défections de cadres, d’élus et d’anciens officiels du parti républicain – à l’image des anciens gouverneurs de l’Ohio et du Michigan, John Kasich et Rick Snyder, des membres de la communauté de sécurité américaine[1] ou du Lincoln Project, qui ont ouvertement appelé à voter pour Joe Biden – peuvent faire perdre des votes au président sortant, cet électorat ne vit pas nécessairement dans l’un des Swing States décisifs, et donc du fait du système électoral (Electoral College) n’influencera pas, en tant que tel ni par son nombre, le résultat de l’élection, à moins d’engendrer une large dynamique de ralliement. En revanche, le groupe électoral potentiellement décisif que le président Trump est en train de perdre est le vote féminin suburbain, ou pour le dire avec les catégories des instituts de sondage, le vote des femmes blanches éduquées vivant en milieu suburbain. L’action du président Trump, comme les séparations de famille d’immigrants illégaux ou la gestion de la crise du coronavirus, et son comportement (mensonges, indécence, absence d’empathie, racisme, déni de réalité, absurdités) ont incité une partie de cet électorat à ne pas revoter pour le candidat républicain. Dès lors, la convention Trump et la stratégie de campagne du candidat depuis lors se sont attelées à essayer de reconquérir cet électorat. Sans cette composante, toute victoire se révélera des plus difficiles.
Le va-tout du président : stratégie du chaos et de la tension
Durant la convention, il n’a quasiment pas été fait mention du désastre sanitaire et socio-économique engendré par la crise du coronavirus. Le thème même du COVID-19 a été largement évité et il en sera certainement ainsi durant toute la campagne. Les seules références faites au COVID-19 l’ont été pour réécrire l’histoire de ces six derniers mois et, contre toutes évidences, vanter l’action et le leadership du président dans la gestion de la crise, tout en passant sous silence les plus de 183 000 morts, les 16 millions de personnes au chômage, les dizaines de milliers de petites et moyennes entreprises qui ont dû fermer, les défaillances de l’Administration fédérale et les remarques insensées du président (le virus disparaîtra « miraculeusement au printemps », ingurgiter du désinfectant et utiliser des rayons ultraviolets contre le virus, etc.).
Si la crise du coronavirus a été absente de la convention, en revanche, toutes les ressources ont été mobilisées pour répondre à la stratégie de la participation maximale, et donc pour satisfaire les différents groupes électoraux qui composaient le bloc victorieux de 2016. Chaque soir, la convention a ainsi présenté ou donné la parole à différents acteurs, sous la forme de discours politiques ou de témoignages, censés représenter différents groupes sociaux conservateurs et républicains : évangélistes, anti-avortements, forces de l’ordre, vétérans et militaires, supporters du deuxième amendement de la Constitution et du droit à porter des armes, entrepreneurs, personnes âgées, sans oublier l’électorat féminin suburbain à reconquérir.
Toutefois, le fait marquant de cette convention, et qui répond à la stratégie de conforter sa base électorale, est le parti pris du président Trump d’utiliser les tensions et les heurts nés des manifestations contre les violences policières à Kenosha, Wisconsin, ou Portland, Oregon, pour jouer son va-tout avec la carte de l’insécurité, n’hésitant pas à mentir et à envenimer la situation par ses commentaires en faveur des forces de l’ordre ou de milices armées – sans un mot pour les victimes des violences policières –, et assimilant manifestants pacifiques, Joe Biden et le parti démocrate à ce qu’il qualifie d’anarchistes, de socialistes, de gauchistes et d’antifa, responsables des destructions de mobiliers urbains et de commerces. Cette stratégie de la peur, de la violence et du chaos est devenue le message principal du président Trump ; elle se déploie sur fond de tensions raciales, d’histoires inventées et de mensonges répétés en boucle par le président lui-même. Cette stratégie vise non seulement à convaincre les récalcitrants de revoter pour lui, mais aussi à dissuader certains citoyens d’aller voter pour le candidat démocrate, du fait du climat ambiant anxiogène, mêlant COVID-19 et violences urbaines.
Les commentaires répétés depuis des mois par le président, contre toutes évidences et contre les avis des services de renseignement américains, concernant la possibilité d’une élection truquée si les démocrates l’emportent, et donc la possibilité qu’il ne reconnaisse pas les résultats de l’élection, ne font qu’alimenter le climat de confusion qui règne actuellement dans le pays et dont le président Trump entend tirer profit. Pour l’heure, la stratégie Trump ressemble à la stratégie d’un candidat désespéré, jouant son va-tout, dans une campagne sans boussole.
À ce stade, toutefois, une question demeure : jusqu’où le président Trump et son équipe sont-ils prêts à aller pour gagner l’élection et garder le pouvoir ? La réponse à cette question se trouve peut-être dans ce que les commentateurs politiques américains appellent les surprises d’octobre (October surprises), pour parler d’événements, impromptus ou orchestrés, se déroulant en octobre et qui rebattent les cartes de l’élection : un vaccin, une confrontation militaire avec la Chine ?
Robert Chaouad est également enseignant à la City University de New York (CUNY)
[1] Voir la lettre publiée le 20 août 2020 dans laquelle plus de 70 personnalités républicaines ayant occupé des fonctions au sein de l’appareil de sécurité nationale américain sous différents présidents, certains sous Donald Trump lui-même, appelaient à voter pour Joe Biden. Le Lincoln Project est une initiative lancée par des Républicains critiques du président Donald Trump pour lui faire perdre l’élection. Les vidéos publiées par l’organisation sont parfois ravageuses pour l’image du président.