14.11.2024
Jeux olympiques 2024, géopolitique et coronavirus
Presse
24 juillet 2020
Il est ici important de faire 2 distinguos, à la fois sur les conséquences comme sur les temporalités.
Sur les conséquences à proprement parler, elles sont de divers ordres. En effet, il a été décidé en l’espace de quelques jours à peine de suspendre, décaler voire même d’annuler des compétitions. Au-delà du casse-tête en termes de calendrier, se sont rapidement posées de multiples questions d’ordre sportif, politique, économique et sanitaire. Comment accompagner les sportifs et sportives dans ce nouveau calendrier qui demeure incertain ? Comment prévenir les risques de blessures dues au chamboulement des compétitions ? Comment accompagner les sports dont l’économie reposait principalement sur la billetterie et/ou la retransmission des matchs ? Comment faire face à un retrait, en raison de difficultés financières, d’investisseurs au sein de clubs ou de championnat ?
A titre d’exemple, la situation du sport au féminin m’apparait comme très préoccupante à plusieurs égards. Depuis le déclenchement de la crise, nous avons assisté à une invisibilisation du sport au féminin, en termes de diffusion médiatique, comme en termes de débat sur la refonte ou du moins la réforme du modèle. Plus grave encore, face à la crise économique liée à la crise sanitaire, plusieurs investisseurs n’ont pas hésité à réduire la voilure des contributions ou à arrêter leur sponsoring. À ce titre, le rapport de FIFPro[1], consacré au football et publié en avril 2020, montre bien la fragilité de ce secteur, encore plus précaire depuis le début de la crise.
Il est surtout assez rageant de voir que cette période, inédite, de « pause » dans le rythme effréné des compétitions et des entrainements n’a pas permis de prendre un temps de réflexion afin, au moins, de jeter les bases d’une réflexion. En d’autres termes, cette période m’apparait comme une terrible occasion manquée par les pouvoirs publics, par les fédérations nationales comme internationales pour prendre le temps de (re)penser le sport au féminin.
En conclusion sur ce point, cette crise sanitaire aura eu pour conséquence de mettre à jour la fragilité du modèle sportif et la nécessité de repenser son modèle. Il n’est d’ailleurs pas étonnant d’avoir vu fleurir de très nombreuses initiatives dès le début de la crise, cherchant à réfléchir sur ce changement. On ne peut évidemment que saluer ces initiatives salutaires, mais il me semble encore plus important de pousser pour cette réflexion aille à son terme.
Au-delà de ces conséquences sur le court terme, il apparait comme indispensable d’envisager avec le plus grand sérieux et suivre de très près les conséquences sur le moyen et long terme, de surcroît si nous devons faire face à une nouvelle vague de contaminations qui impliquerait un re-confinement.
Un travail collectif par l’ensemble des acteurs devra, à mon sens, être mené sur le sujet afin précisément d’analyser quantitativement ET qualitativement la situation.
Quelles conséquences sur la préparation des JOP Paris 2024 ?
Dans le calendrier sportif, les Jeux de 2024 sont encore très lointains. Il est certain en revanche que l’incertitude quant à la situation de Tokyo pèse indéniablement sur Paris. En effet, le comité d’organisation de Tokyo a, à plusieurs reprises, rappelé que tous les scenarii étaient ouverts pour cette olympiade et qu’elle pourrait être maintenue, déplacée, voire annulée.
Au-delà du cas de Tokyo, à l’instar des autres secteurs, le monde du sport a pris violemment conscience de sa fragilité et vulnérabilité face à une pandémie mondiale et craint de voir le scénario se reproduire dans les prochains mois ou années. L organisateurs de grands événements sportifs, quels qu’ils soient, devront être très vigilants et devront incontestablement prendre en compte le contexte international. Ils pourraient également se prêter à un exercice de prospective afin de mieux le comprendre.
Par ailleurs, du point de vue des sportifs et sportives, la préparation des Jeux se trouve être irrémédiablement perturbée, avec une difficile préparation lors du confinement et un décalage des compétitions.
Enfin, le sport n’était pas « considéré comme LA priorité » en période de confinement. . Il est essentiel de le remettre au premier plan si l’on veut que les Jeux de Paris, laissent une trace durable en termes d’éducation, d’installations sportives ou tout simplement en termes de place accordée à la pratique sportive de l’ensemble de la population au sein de la société.
Il sera là encore essentiel de suivre cela avec la plus grande attention au cours des prochains mois et années, afin de pouvoir « quantifier » et donc dresser un bilan des conséquences.
Quelle vision as-tu des relations entre sport et géopolitique en matière de « storytelling » ? Et quelles évolutions et enjeux vois-tu dans l’actualité internationale ?
Il ne me semble pas inutile de rappeler que le sport a toujours eu des enjeux au-delà du seul monde sportif. Les problématiques économiques, sociales, politiques ou géopolitiques ont souvent été présentes et elles n’ont fait que se développer, s’affirmer au fil des années, compte tenu de la place croissante prise par le sport au sein de nos sociétés.
Si les enjeux politiques, sociaux et économiques semblent être parvenus à s’ancrer dans le « logiciel » de réflexion, la prise en compte de la géopolitique en matière de sport reste encore trop marginale alors même que l’on constate une multiplication d’acteurs et d’enjeux extra-sportifs. Par exemple, l’étude de la diplomatie sportive de différents pays n’est intéressante que si l’on cherche à décrypter le contexte géopolitique dans lequel elle s’inscrit. L’intérêt fort pour le sport de la Chine, de l’Arabie Saoudite ou plus traditionnellement des Etats-Unis, de la Russie ou de la France doit se lire à travers un prisme géopolitique, sans quoi on ne peut pleinement comprendre les stratégies mises en œuvre. Pour donner un exemple concret, les très récents investissements du royaume saoudien dans le sport (rumeur de rachat de Newcastle United, accueil de grandes compétitions sportives comme le Dakar) ne peuvent s’entendre et se comprendre qu’à la lumière du conflit qui l’oppose depuis 2017 à Doha. Chaque actualité, évènement sportif trouve automatiquement une résonance géopolitique qu’il est essentiel d’analyser.
Concernant les Jeux plus particulièrement, méga-événement sportif par excellence, il est toujours essentiel de s’interroger sur les raisons qui poussent une ville, et in fine, un pays à proposer sa candidature. Loin des seules raisons sportives, il convient de s’interroger sur la volonté de l’Etat à apparaitre sur la scène internationale, en termes de politique intérieure évidemment, mais également de politique étrangère. Le sport n’est évidemment pas apolitique et il est aujourd’hui intéressant d’observer comment ce monde sportif réagit face à des problématiques sociales transnationales : enjeux climatiques, respect des droits humains, racisme, sexisme, homophobie, violence.
Peux-tu nous dire, pour compléter un peu ta réponse, les objectifs pour les Etats quand ils s’engagent dans l’organisation d’événement et s’ils développent aussi une politique sportive pour les habitants ?
Si chaque Etat développe une diplomatie sportive qui lui est propre, l’accueil de méga-événements sportifs apparait comme un élément récurrent d’une grande majorité de pays. Les raisons sont ici multiples et s’inscrivent parfaitement dans la dimension « soft power ». En devenant hôte d’une compétition sportive, votre pays est « sous le feu des projecteurs », et va être au « centre du monde » pendant la durée de l’événement. Dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques ou de la Coupe du monde masculine de football, les images sont diffusées au sein de plus de territoires que d’Etats reconnus par l’Organisation des Nations Unies. Ces diffusions seront l’occasion de dresser une sorte de carte postale du pays, à l’instar du Tour de France par exemple et qui permet ainsi d’attirer de nouveaux touristes. A titre d’exemple, la diplomatie sportive de l’Azerbaïdjan au cours des années 2013-2016 a permis de développer le tourisme dans ce pays, réussissant à attirer de nouveaux publics.
Si l’on poursuit sur l’aspect « communication », il faut également noter que l’accueil de ces grands événements sportifs permet de mettre en avant les capacités d’organisation du pays (hospitalité évidemment mais également démonstration de force pacifique avec les cérémonies, les défilés etc.) ; mais également cela permet de montrer une fois encore la puissance sportive d’un Etat. Il n’est jamais anecdotique de remarquer que les pays hôtes des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver comme d’été progressent dans le classement des médailles par rapport aux autres éditions. Il s’agit lors de ces événements de ne pas faire pâle figure mais au contraire de montrer sa technicité, ses qualités stratégiques, physiques et donc, in fine, sa supériorité sur ses adversaires. Rappelons-nous l’été 2008, lors des Jeux de Pékin, lorsque les Etats-Unis et la Chine avaient connu une petite brouille quant à savoir qui était premier au classement des médailles. Alors que les premiers revendiquaient la première place au nombre total de médailles, la seconde mettait en avant le nombre total de médailles d’or.
De plus, il faut évidemment voir un caractère politique à ces événements. Lors des compétitions et notamment les cérémonies d’ouverture (ou de clôture), nombreux sont les chefs d’Etats et de gouvernement à venir y assister, permettant ainsi de renforcer les liens bilatéraux du pays hôte avec ses visiteurs. Il serait naïf de croire que l’on ne parle que de 4-4-2 ou de record dans la tribune présidentielle…
Enfin, je vois aussi dans l’accueil de grands événements sportifs par un Etat une stratégie de politique intérieure. Candidater à l’organisation d’un événement permet de projeter son pays sur une politique de long terme, dépassant les mandats politiques. Dans le cadre des Jeux, il s’écoulera environ 9 ans entre les premières réflexions sur l’accueil et la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques. 9 ans pour insuffler quelque chose, pour placer le sport, un sujet qui moins clivant qu’une réforme politique, au centre de l’actualité et des actions.
Toutefois, compte tenu des situations économiques et sociales tendues des dernières décennies, il est intéressant de noter une réelle évolution dans l’approche des Etats, où il s’agira ici non seulement d’héberger un événement mais également que la population puisse également en bénéficier. C’est tout l’enjeu (et l’importance) de l’héritage.
Dans ce contexte, quelle place donner à l’héritage dans les grands événements sportifs ?
Dans le contexte actuel et plus que jamais, si j’ose dire, la question de l’héritage doit être au cœur du projet de l’accueil des grands événements sportifs.
En effet, il y a eu au cours des dernières décennies, un vrai emballement en termes d’organisation, avec trop souvent des dérives intolérables. Avec le poids croissant des fédérations internationales ou du Comité international olympique, l’importance politique, économique, et même diplomatique du sport, l’organisation d’une compétition est devenu un événement sportif, voire même un méga-événement sportif selon le terme consacré. Le schéma d’accueil s’est lui aussi développé, en même temps que le cahier des charges : plusieurs années de préparation, des milliards d’euros ou de dollars investis pour créer, construire, rénover et faire de cette période de compétition un moment incontournable pour mettre en avant un pays, une ville.
Toutefois, depuis le tournant des années 2000, avec les crises économiques, qui ont notamment frappé certains pays hôtes (Grèce, Brésil par exemple), avec les images désastreuses d’infrastructures onéreuses laissées à l’abandon quelques mois à peine après leur utilisation (les tristement (?) fameux « éléphants blancs ») et la montée en puissance d’une société civile qui veut se fait entendre, ce qui était devenue la norme au cours des dernières décennies commence à être remis en question.
Ainsi, on a vu les candidatures pour accueillir de grands événements sportifs devenir de plus en plus rares. Prenons l’exemple de la candidature pour les Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2022 qui a vu s’affronter seulement 2 villes, Pékin et Almaty, alors que 6 s’étaient alignées au lancement de la campagne.
Le CIO d’ailleurs ne s’y trompe pas, et ayant bien senti la nécessité de faire évoluer le modèle, l’instance a lancé en décembre 2014, l’Agenda 2020 qui place désormais la question de l’héritage au cœur de la réflexion. Il n’est dès lors plus question de « seulement » accueillir pendant une double quinzaine les Jeux ou un mois pour d’autres compétitions, mais au contraire, considérer ces événements comme autant d’opportunités avant, pendant et après la compétition pour mettre en place des politiques publiques sportives, sociales, éducatives pérennes.
Sur le papier, cela semble presque « simple » et aisé à mettre en place. En réalité, cela demande un travail quotidien, d’aller parfois à l’encontre d’habitudes « simplistes », mais surtout cela requiert une projection sur le court, moyen et long terme avec des engagements qui ne varieront pas en fonction des événements, qu’ils s’agissent de crise économique, politique comme sanitaire.
En l’occurrence, compte tenu de la situation actuelle, le suivi avec la plus grande attention de l’organisation des grands événements sportifs, en France, comme à l’étranger, m’apparait essentiel pour s’assurer que cet héritage, matériel comme immatériel ne soit pas oublié ou tout du moins rogné. A mon sens, le CIO semble l’avoir bien compris, en suivant très attentivement les différents projets (Tokyo 2020, Pékin 2022, Paris 2024 et Los Angeles 2028).
Références :
[1] Publication du rapport FIFPro, « Covid-19 : implications for professional women’s football », avril 2020, https://www.fifpro.org/media/mybpsvym/fifpro-womens-football-covid19.pdf