17.12.2024
Élection américaine 2020 : la Convention démocrate et le combat pour l’« âme de l’Amérique »
Tribune
3 septembre 2020
Alors que les conventions nationales du parti démocrate et du parti républicain se sont achevées, la campagne électorale pour la désignation du 46e président des États-Unis entre dans sa dernière phase. À deux mois de l’échéance, qui se tiendra le mardi 3 novembre 2020, les conventions nationales des deux principaux partis politiques des États-Unis ont révélé leur stratégie de campagne. La convention nationale du parti démocrate s’est déroulée du lundi 17 août au jeudi 20 août, tandis que la convention républicaine s’est tenue du 24 au 27 août 2020.
Jeudi 20 août 2020, le parti démocrate concluait sa convention nationale en vue de l’élection présidentielle du 3 novembre. Quatre jours durant, élus, supporters, activistes, citoyens ordinaires se sont succédé, sur les écrans, au cours d’une convention peu conventionnelle, pour délivrer leur message de doute et d’espoir, et pour vanter les mérites du ticket démocrate Biden-Harris. Coronavirus et distanciation physique obligent, la convention a pris des formes totalement inédites, ne comportant aucun événement public rassemblant la foule des supporters démocrates venus de tout le pays, mais mélangeant discours politiques prononcés en direct depuis des lieux choisis et clips vidéos préenregistrés diffusés au cours de quatre soirées thématiques du lundi 17 août au jeudi 20 août 2020. Forcée d’innover, la production d’un tel événement virtuel et télévisé a suivi une scénographie savamment orchestrée, célébrant la diversité de la société à travers les histoires d’Américains ordinaires. Toutefois, derrière la collection de petites vignettes personnelles racontant les expériences de vie, tantôt tragiques tantôt touchantes, de gens issus des quatre coins du pays, se dessinait une plus grande photo, une plus grande Histoire, celle d’un pays en proie au doute et à la division, mais aussi celle d’un pays qui avait toujours su se relever, même après les épisodes les plus sombres de son histoire.
Ce portrait d’une Amérique rattrapée par ses vieux démons (violences policières contre la communauté afro-américaine, impact du coronavirus renforcé par une gestion de crise fédérale désastreuse et un système de protection sociale calamiteux, crise socio-économique liée à la crise sanitaire et inégalité croissante) s’est doublé d’un message d’espoir, celui d’une sortie de crise en quelque sorte et d’un retour à la « normale » en un peu améliorée. Le récit proposé par la convention s’est construit sur le modèle de l’Amérique comme promesse, la promesse de rendre le pays encore meilleur (« We the People of the United States, in order to form a more perfect Union », comme l’énonce la première phrase de la constitution des États-Unis). Dès lors, le scénario embrassé par la convention décrivait à la fois le pays comme engagé dans un tunnel obscur depuis près de quatre ans à travers la description des maux dont souffre le pays aujourd’hui, mais il proposait également une voie de sortie, telle une lumière au bout du tunnel.
S’est ainsi dévoilée, au fil de ses quatre jours de convention démocrate, la figure de celui qui pourrait mettre un terme à cette page sombre de l’histoire du pays, celle d’un homme bienveillant, présenté comme un homme ordinaire dont la vie a été traversée par de multiples tragédies personnelles auxquelles il a toujours su faire face avec dignité et décence. Le récit que la convention démocrate 2020 a élaboré est le récit d’une Amérique entre ombre et lumière, l’ombre de Donald J. Trump et la lumière à venir de son double opposé, Joseph R. Biden. La convention démocrate était ainsi tout entière tendue vers la construction de l’image du candidat Joseph R. Biden et de sa candidature comme recours face à un président sortant qui n’aura finalement jamais endossé les habits de président, qui aura confondu ses intérêts avec ceux du pays et qui, en définitive, aura plongé le pays dans le chaos.
Gravité du président Barack Obama
La convention, qui aurait dû se tenir dans la ville de Milwaukee, Wisconsin, l’un des fameux Swing States (État bascule) perdu par Hillary Clinton par à peine moins de 23 000 voix, a parfois pris la forme d’événements historiques, à l’image de l’investiture de la sénatrice de Californie, Kamala Harris, première femme de couleur candidate à la vice-présidence d’un « ticket présidentiel » de l’un des grands partis politiques. Un autre événement, toutefois, a également marqué les esprits en raison de son caractère atypique, de l’acteur politique concerné et de la nature de son intervention. L’ancien président, Barack Obama, a en effet quelque peu défrayé la chronique traditionnelle des conventions par le contenu du message qu’il a délivré et le ton adopté. Traditionnellement, les anciens présidents se gardent bien de critiquer leur successeur – règle à laquelle l’ancien président s’était tenu jusque-là, malgré les attaques répétées de son successeur. Toutefois, le mercredi 19 août, au troisième jour de la convention démocrate, le président Obama a délivré un message d’une extrême gravité quant aux enjeux de la prochaine élection présidentielle et a nommément attaqué l’actuel président. Après avoir souligné l’inaptitude de Donald J. Trump à la fonction de président, il insistait, depuis le bâtiment où la constitution américaine fut signée, à Philadelphie, en 1787, sur le fait que le pays ne pouvait pas se permettre quatre nouvelles années de remise en cause des principes fondant sa démocratie.
Il n’est pas commun de voir un ancien président s’en prendre directement à son successeur, encore plus lorsque, comme Barack Obama, l’on demeure extrêmement légitimiste et attaché au respect et des règles constitutionnelles et des résultats des élections démocratiques. David Axelrod, ancien conseiller politique de Barack Obama et consultant pour CNN, indiquait après le discours que le choix d’un tel retour dans l’arène politique n’avait certainement pas été décidé de gaieté de cœur et que ce n’était pas ce type de rôle que le président Obama souhaitait exercer. Cette décision révélait néanmoins l’enjeu de l’élection présidentielle.
Joe Biden et le combat pour sauver l’« âme de l’Amérique »
Pour souligner la gravité et le caractère historique de l’élection présidentielle de novembre, le candidat démocrate, Joe Biden, a placé sa campagne sous le signe du combat pour l’« âme de l’Amérique » (« the soul of the nation ») ; en jeu durant cette élection, rien de moins que la survie de ce qui fonde le pays. La thématique était présente dès le lancement de sa candidature aux élections primaires démocrates pour l’élection présidentielle, en avril 2019, et elle irrigue désormais tous les discours démocrates. Le candidat Biden l’a ainsi reprise lors de son discours d’acceptation de l’investiture du parti démocrate, prononcé le jeudi 20 août 2020 depuis le Chase Center de Wilmington (Delaware), dans une salle sans audience – à l’exception d’une trentaine de journalistes. Durant ce discours, bref, unanimement reconnu comme réussi et que d’aucuns ont qualifié de discours le plus important de sa vie politique, il a détaillé certains des axes de campagne du parti démocrate : décence, respect, bienveillance pour les traits de caractère ; justice sociale et raciale pour la politique intérieure ; « leadership » et restauration des alliances pour la politique étrangère. Tout, ici, indique que le candidat démocrate a décidé de prendre le contre-pied absolu de l’actuel résident de la Maison-Blanche. Peu d’idéologie, peu d’annonces programmatiques (policies), mais en revanche deux axes de campagne principaux se sont dessinés : la personnalité et les valeurs du candidat Biden, et le désastre sanitaire lié à la pandémie de coronavirus.
La gestion de la crise du coronavirus apparaît ainsi comme une métaphore de la faillite de la présidence Trump. Avec à ce jour plus de 180 000 morts liés au COVID-19 et près de 16 millions de personnes au chômage aux États-Unis, les critiques contre la gestion de la crise par le président Trump et son administration s’imposent comme l’un des axes d’attaque majeurs des démocrates pour dénoncer, selon eux, tous les errements de la présidence Trump : absence d’empathie pour les victimes, déni de la réalité, absence de leadership dans sa gestion de crise, impréparation du gouvernement fédéral, ce qui expliquerait le désastre sanitaire et socio-économique que connaît le pays, absence de remise en cause personnelle, refus d’assumer ses responsabilités, politisation de la réponse à la crise et des agences fédérales, etc.
Enfin, si le discours de conclusion de la convention de Joe Biden a bien fait mention d’éléments programmatiques à travers des propositions de politiques publiques à mettre en œuvre, il convient toutefois de remarquer que celles-ci demeurent sommaires et ne constituent pas l’axe de campagne principal du parti démocrate. La plateforme électorale adoptée par le parti démocrate durant la convention a surtout tenté de satisfaire les exigences parfois contradictoires des différentes factions qui composent le parti aujourd’hui, des tendances proches de Bernie Sanders (gauche considérée comme radicale) à celles plus modérées et centristes, susceptibles d’attirer les citoyens indécis (les Indépendants) et les républicains dits modérés. Ceci explique peut-être pourquoi, pour l’heure, les propositions de politiques publiques demeurent si marginales dans la stratégie de campagne démocrate, alors que l’appel aux valeurs de l’Amérique et les enjeux liés à la personnalité des candidats occupent le devant de la scène, avec pour objectif de discréditer les aptitudes de l’actuel président à être réellement un président et de le rendre responsable du chaos dans lequel le pays s’est enfoncé ces dernières années.
À l’heure où de nouvelles manifestations contre les violences policières ont fait naître des heurts entre manifestants et supporters pro-Trump dans la ville de Kenosha, Wisconsin, ou encore à Portland, Oregon, reste à savoir si la stratégie adoptée lors de la convention démocrate visant à dresser le portrait de Joe Biden en homme décent et bienveillant saura rivaliser avec celle du chaos et de la division exploités et entretenus par l’actuel président, et si elle saura convaincre les citoyens des Swing States où se jouera l’élection du 3 novembre 2020.
Robert Chaouad est également enseignant à la City University de New York (CUNY)