17.12.2024
Trump au bord du Rubicon
Correspondances new-yorkaises
31 juillet 2020
Ce jeudi 30 juillet 2020, Donald Trump a suggéré de repousser les élections de novembre.
Depuis le début de la pandémie de Covid-19, le camp démocrate craignait une telle tentative – d’annulation ou de report des élections générales de novembre – de la part du président américain. Aujourd’hui, pour la première fois, le président des États-Unis dans un tweet a proposé que le vote soit reporté « jusqu’à ce que les gens puissent voter correctement, en toute sécurité ».
Même pour l’hôte de la Maison-Blanche, suggérer de repousser les élections est une violation extraordinaire du décorum présidentiel. Même s’il revenait sur une telle déclaration, celle-ci prouve que les chances sont grandes de le voir, lui et ses principaux partisans, ne pas accepter la légitimité du vote s’il perdait face à l’ancien vice-président Joe Biden.
« Avec le vote par correspondance, 2020 sera l’élection la plus INEXACTE et FRAUDULEUSE de l’histoire », a tweeté Donald Trump. « Ce sera un grand embarras pour les États-Unis. Retardez les élections jusqu’à ce que les gens puissent aller voter correctement, en toute sécurité ! »
Officiellement, le président états-unien n’a pas le pouvoir de modifier unilatéralement la date des élections, fixée par la loi fédérale. Mais sa suggestion, intervenant alors que les sondages le montrent très loin derrière son rival démocrate et que le coronavirus n’en finit pas de ravager les États-Unis et que le pays s’enfonce dans une crise économique et sociale sans précédent, peut laisser craindre le pire. Non pas un putsch, bien évidemment. Mais un véritable chaos politique et institutionnel.
Bien entendu, l’affirmation selon laquelle le vote par correspondance, largement plébiscité par les institutions américaines en cette période Covid-19, conduit à des décomptes inexacts ou à une fraude est complètement fausse – raison pour laquelle le Congrès, malgré la pandémie, n’a jamais envisagé de décaler les échéances électorales. Mais les attaques soutenues du président contre cette façon de voter a rendu plus que suspicieux l’ensemble de ses aficionados ainsi que les milieux d’extrême droite, déjà bien remontés par le succès des manifestations liées au mouvement Black Lives Matter.
Alors que la Maison Blanche a jusqu’ici officiellement nié que Donald Trump ait tout intérêt à changer la date des élections, certains de ses alliés et principaux collaborateurs avaient par le passé déjà évoqué cette possibilité. Fin avril, Joe Biden lui-même, avait prédit que le milliardaire ferait son possible pour reporter l’échéance. «Souvenez-vous de ce que je vous dis, je pense qu’il va essayer de faire reporter les élections d’une manière ou d’une autre, trouver des raisons pour lesquelles elles ne peuvent pas avoir lieu», avait-il alors lancé.
Il y a quelques jours, le président états-unien tweetait une vidéo – supprimée depuis par Facebook, YouTube et Twitter pour cause de désinformation – dans laquelle apparaît un médecin pro-hydroxychloroquine connu pour avoir promu le plus sérieusement du monde l’idée que les États-Unis étaient gouvernés par des hommes lézards venus de l’espace. Donald Trump compterait-il sur leur aide dans sa tentative de franchir le Rubicon ?
Mieux vaut rire de la situation. Et il est très possible que Trump, comme à son habitude, déclare bientôt qu’il s’agissait d’une grosse blague. Surtout que dans l’après-midi de jeudi, les républicains ont rejeté sa proposition. Mais rien que le fait que le président de la première puissance mondiale ait pu évoquer la possibilité de repousser sans concertation avec le Congrès, l’élection présidentielle, démontre une nouvelle fois l’état de déliquescence avancée de la démocratie en Amérique.
En tout cas, si le véritable objectif de Trump dans toute cette affaire était de commencer à semer sérieusement le doute dans certains esprits sur la fiabilité des résultats électoraux en cas de défaite, c’est réussi. À en croire les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui déjà fourbissent leurs armes.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.