04.11.2024
« Et après ? » – 3 questions à Hubert Védrine
Édito
16 juillet 2020
Après quatorze ans auprès de François Mitterrand à l’Élysée et cinq ans à la tête du Quai d’Orsay, Hubert Védrine se dédie aujourd’hui au voyage, à l’écriture, à l’enseignement et au conseil. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Et après ? chez Fayard.
Les Occidentaux ont-ils été pris de court par la crise du Covid-19 ? Pourquoi ?
Ce ne sont pas les Occidentaux en particulier qui ont été pris de court, mais l’humanité tout entière. À l’exception de quelques pays peu nombreux qui avaient mieux tiré les leçons du SRAS, ou qui s’étaient mieux préparés pour différentes raisons. On y trouve des pays d’Asie du Nord-Est ou du Sud-Est comme la Corée du Sud, Taïwan, Singapour. Mais aussi des pays d’Europe comme l’Autriche, ou certains Länder allemands, ou des États qui ne sont pas des démocraties et qui ont plutôt bien réagi comme le Vietnam. Pourquoi l’humanité ne s’est-elle pas mieux préparée ? Parce que la prise en compte des avertissements et les prévisions avancées par la CIA, et repris par la plupart des Livres blancs sur la défense des pays d’Europe, auraient supposé une remise en cause profonde de la surpopulation, du mode de développement contemporain, de la déforestation, des voyages permanents, etc. L’absence de préparation, par exemple en matière de masques, s’explique par une trop grande confiance dans les ressources du marché et de l’économie à flux tendu. C’est pourquoi, quand la pandémie sera derrière nous, ce qui n’est pas encore le cas, il faudra évaluer la politique suivie par tous les gouvernements et les institutions compétentes au moment de l’apparition initiale, du confinement – sous diverses formes -, du déconfinement – avec des calendriers très différents. Cette évaluation ne devrait pas être menée dans un esprit de règlement de comptes, mais pour en tirer des leçons utiles à tous les niveaux, pour l’avenir. Il faut ajouter que, par définition, on ne peut pas à l’avance mettre au point un vaccin contre un virus qu’on ne connaît pas encore, et qui en plus mute rapidement.
Vous écrivez que la crise du Covid-19 a libéré une inquiétude croissante des Occidentaux envers la Chine.
Cela fait quelques années déjà que les spécialistes des relations internationales avaient réalisé que la Chine de Xi Jinping et son projet des Routes de la Soie n’était plus la Chine de Deng Xiao Ping, qu’elle ne mettait plus de limites à son ambition, ce que d’ailleurs les États-Unis de Trump (et peut-être l’an prochain ceux de Biden) voudraient essayer d’endiguer. Mais la pandémie, qui a eu l’effet d’un crash test, a révélé les dures rivalités du monde aux yeux de tous. La Chine a fait peur parce qu’il semble bien que le virus provienne des zones déforestées ou des marchés d’animaux sauvages, ou d’une négligence concernant les chauves-souris étudiées dans le laboratoire P3, même s’il n’y a encore aucune certitude précise sur le point de départ. Elle a inquiété par un silence trop longtemps contenu sur la propagation initiale. Elle a ensuite impressionné par son confinement massif, ce que les Occidentaux ont critiqué comme excessif et possible uniquement dans un État autoritaire, avant d’être eux-mêmes obligés de l’appliquer. Elle a énervé ensuite par sa diplomatie des masques, comme si la Chine était le seul pays à qui il soit interdit de faire de la propagande. Bref, elle a beaucoup perturbé les Occidentaux, et encore plus quand certains Chinois ont commencé à affirmer que le système chinois était supérieur au système occidental. Le monde se trouve donc confronté à un bras de fer entre les États-Unis et la Chine qui n’est pas que commercial mais aussi stratégique. Et il est malheureusement probable que dans cette nouvelle Guerre froide les tensions s’aggravent d’abord avant d’atteindre le stade éventuel d’une nouvelle détente. La priorité pour les Européens va être de ne pas avoir à choisir entre les deux, et de définir sur tous les plans, y compris technologiques si c’est possible, une position européenne. C’est l’enjeu de la « souveraineté européenne » à construire.
À quoi pourrait correspondre une « écologisation » de notre politique ?
Le terme écologie est un terme statique. Le terme « transition écologique » est trop connoté énergie, et donne trop l’impression que c’est un passage de courte durée vers un objectif bien établi. Je préconise donc plutôt le terme « écologisation » (comme on parlait d’industrialisation) pour bien montrer qu’il s’agit d’un vaste processus et d’une action dans la durée. Il ne s’agit pas d’écologiser notre politique, mais d’avoir une politique d’écologisation de tout : de l’agriculture, de l’industrie, des transports, de la construction, du numérique, etc. Je pense qu’il n’y a pas lieu de se focaliser de façon masochiste sur le CO2 émis par la France, puisque – grâce au nucléaire – la France n’est responsable que de 1% du CO2 mondial. C’est pourquoi d’ailleurs il ne faudrait plus fermer de centrale nucléaire, sauf si on parvient à démontrer que cela n’entraînera pas une augmentation de notre production de CO2. En revanche, la France pourrait donner l’exemple en modifiant en profondeur en 10 à 15 ans son agriculture. Mais l’écologisation devra être globale, progressive, rationnelle et scientifique.