« La victoire de Louis Aliot est le résultat d’un vrai travail d’implantation »
La victoire de Louis Aliot à Perpignan a été qualifiée de «succès en trompe l’œil» par de nombreux commentateurs. Le RN (anciennement FN) n’avait pourtant pas conquis de ville de plus de 100 000 habitants depuis 1995: ne s’agit-il pas d’un succès pour le parti de Marine Le Pen?
La victoire de Louis Aliot, en elle-même, n’est pas en trompe-l’-oeil: le score est large (53,5%), la progression d’entre-deux tours aussi (Aliot y avait fait 35,6%), le taux de participation est supérieur à la moyenne nationale (47%). Louis Aliot, originaire de l’Ariège voisine (mais pas catalane) laboure le terrain perpignanais depuis 2002, il est député depuis 2017, sa victoire au bout de trois tentatives à l’échelon municipal est le résultat d’un vrai travail d’implantation. Le rejet de l’équipe sortante a été massif, peut-être un peu injuste, mais les électeurs ont sanctionné à la fois la manière de faire de la politique par clientélisme comme le bilan: pauvreté, enclavement et faibles perspectives économiques dont Jean-Marc Pujol a été considéré comme responsable alors que les causes lui pré-éxistaient. La stratégie d’ouverture à droite de Louis Aliot a fonctionné.
Je lis que c’est parce qu’il a mis l’étiquette RN en retrait, c’est moyennement exact: tous les électeurs savent son parcours au RN. Simplement, Louis Aliot assume pleinement d’être un homme de droite, pas du «ni droite, ni gauche» préconisé par Marine Le Pen. Louis Aliot savait qu’il avait un socle de 30 à 40% de frontistes, mais qu’il lui fallait l’élargir pour gagner. Plutôt que de faire une campagne sectaire, il l’a commencée en appelant «‘les hommes et les femmes de bonne volonté au rassemblement le plus large possible’ et en assurant que «seule la gestion en bon père de famille prévaudra». Il est très attaché au souvenir de l’Algérie française, mais il n’en fait pas une monomanie. Et au sein du FN comme du RN, il a toujours tenu pour nuisibles les négationnistes, les obsédés de l’antisémitisme et les nostalgiques du fascisme. Maintenant, l’enjeu pour lui est de prouver qu’il continue dans cette voie et son équipe avec lui. Parce qu’il paierait cher un éventuel écart.
Le fait que le «front républicain» puisse céder dans une ville comme Perpignan confirme l’ancrage du parti dans certains territoires dans lesquels son influence était déjà importante, mais est-ce suffisant pour parler d’une «fin du barrage» comme plusieurs cadres du RN l’ont affirmé?
Le front républicain a cédé à Perpignan, il n’a pas empêché le RN de gagner Moissac, mais il a fait perdre Mantes la ville. Il est entamé mais pas mort. La véritable fin du barrage, ce n’est pas la gauche qui la décidera mais la droite, si d’aventure elle accepte demain, au plan national ou du moins de manière large, de pratiquer l’union des droites au premier tour, ou la fusion d’entre deux tours, ou le désistement systématique en faveur de la liste de droite la mieux placée. Cette idée peut effleurer des «divers droite» ou de petites formations comme le PCD mais le véritable verrou, ce sont les Républicains. Or pour l’instant, ceux-ci n’ont aucune intention de pratiquer l’union de toutes les droites avec le RN. Ils ont d’ailleurs raison tant d’un point de vue idéologique que tactique: tout accord se ferait à leur détriment: vous vous alliez en pensant être le plus fort, le maître du jeu, et vous finissez par y laisser vos idées comme vos électeurs.
La gestion de Perpignan est-elle un défi auquel le parti s’était suffisamment préparé, ou faut-il craindre une forme d’amateurisme de la part de l’équipe nouvellement élue, qui appartient à un parti qui n’a que peu d’expérience en matière d’exercice du pouvoir?
La bonne administration d’une grande ville repose en grande partie sur les éléments de continuité, de savoir-faire technique et de «mémoire» du lieu que porte l’administration municipale. Il faut savoir y faire les changements au sommet qu’impose la loyauté politique, mais sans lancer de chasse aux sorcières. Louis Aliot a pris une première mesure intéressante: il a pris en direct la délégation à la sécurité, une de ses grandes priorités, qui devient donc son domaine réservé. Faut-il y voir l’absence d’une personnalité qualifiée pour occuper ce poste qui vous met en permanence sous les projecteurs, y compris face au représentant de l’Etat? L’amateurisme du FN était la règle entre 1995 et 2002. C’est beaucoup moins vrai aujourd’hui, malgré le contre-exemple du Luc (instabilité chronique) qui a été perdu. La reconduction au premier tour de nombreux maires RN, même des plus contestés (Hayange), montre, même s’il faut y mettre le bémol du très faible taux de participation, que les maires RN ou proches ont un socle fidèle. Et qu’il faut se garder de juger leur bilan depuis Paris, avec les yeux du seul adversaire.
Un autre sujet s’est invité aux élections municipales, celui de l’écologie: le RN peut-il défendre un programme ambitieux et innovant en la matière?
Les progrès des élus écologistes suscitent, chez les militants RN les plus idéologues, une peur réelle: ils sont perçus comme des gauchistes dogmatiques et destructeurs de l’identité nationale, des valeurs traditionnelles, voire comme des alliés de l’indigénisme et de l’islam politique. L’écologie en elle-même, c’est autre chose! Le RN peut s’en emparer, s’il ne tombe pas dans un climato-scepticisme de principe. Sauf que ce ne sera pas la même définition de l’écologie. Pour le RN l’écologie commence avec l’esprit de conservation des hommes, des paysages, des identités dans leur diversité et leur différence irréductible. Pour le RN ce sont le libéralisme et les limitations de souveraineté qui empêchent de mettre en œuvre l’écologie «véritable». En même temps, le parti soutient un modèle économique productiviste de croissance industrielle, il a un électorat très rétif à l’écologie «punitive» comme à toute taxation supplémentaire. Sa vision est un peu courte: dire «moins d’importations pour moins de pollution», ce n’est pas un programme.