Hong Kong : déjà la fin du principe « un pays, deux systèmes » ?
Alors que le gouvernement chinois se refusait d’adopter cette loi après des mois d’opposition, la loi sur la sécurité nationale a été promulguée le 30 juin à Hong Kong. Dans un contexte où les manifestations s’intensifient, l’opposition redoute que cette loi musèle les voix dissidentes. Entretien avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
La loi sur la sécurité nationale a été promulguée par le Parlement chinois à Hong Kong le 30 juin. Dans quelles mesures la semi-autonomie de Hong Kong, ainsi que ses libertés fondamentales, s’en trouvent-elles menacées ? Quelle est la stratégie du gouvernement chinois ?
La date sonne comme un symbole, puisque cette loi a été votée la veille de l’anniversaire de la rétrocession de 1997, le 1er juillet. Et si son annonce a été largement commentée depuis quelques semaines, son contenu est resté secret jusqu’au vote. Selon ses termes, cette loi vise à réprimer le « séparatisme », le « terrorisme », la « subversion » et la « collusion avec des forces extérieures et étrangères », avec des peines pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à perpétuité, au prétexte de la nécessité de consolider la sécurité nationale. Mais les détails ne sont pas encore connus. Ce texte a été adopté par le Parlement chinois, contournant ainsi l’Exécutif hongkongais, les prérogatives de ce territoire et la semi-autonomie dont il dispose depuis plus de vingt ans. Il s’agit donc d’un coup très grave porté à ce statut spécial et le principe du « un pays, deux systèmes » qui semble désormais appartenir au passé. La semi-autonomie de Hong Kong aura donc duré exactement 23 ans, soit à peu près la moitié de la liminalité prévue selon les termes de la rétrocession, soit 50 ans. Le gouvernement chinois a une certaine interprétation de cette liminalité, très différente de celle du mouvement prodémocratie et des démocraties occidentales. Pékin estime ainsi que cette période de 50 ans doit être ponctuée de mesures progressivement mises en place et tendant à faire disparaître le principe « un pays, deux systèmes ». Mais de l’autre côté, on cherche à pérenniser ce système, d’où l’impasse que nous rencontrons depuis un an, et même au-delà, si on considère que le mouvement des parapluies de 2014 était le premier acte du bras de fer auquel nous assistons.
Quelles sont les réactions des partis d’opposition hongkongais ? Peut-on s’attendre à une résurgence des manifestations ?
Le militant Joshua Wong, l’une des figures du mouvement prodémocratie, a annoncé par un message sur Twitter, dès le vote, qu’il quittait ses fonctions de chef du groupe Demosisto, craignant d’être directement visé par cette loi dont l’entrée en application se fera dès qu’elle aura été annoncée au journal officiel de Hong Kong. Dans la foulée, le groupe a annoncé sa dissolution, les militants Nathan Law, Jeffrey Ngo et Agnes Chow ayant également annoncé leur mise en retrait. Un coup très dur pour le mouvement qui n’a pas d’autre alternative sinon à entraver une loi punitive. C’est évidemment l’effet recherché par Pékin, qui, en criminalisant le mouvement prodémocratie, souhaite en couper les têtes. En entrant de facto dans la clandestinité, le mouvement risque de perdre en visibilité, mais il risque aussi de se radicaliser. Difficile, en effet, d’imaginer un militant comme Joshua Wong jeter définitivement l’éponge et rentrer dans le rang. Il est trop tôt pour savoir si ce changement de nature du mouvement lui permettra de bénéficier d’un large soutien populaire – ce qui est le cas depuis plus d’un an – et surtout, quelles seront les réactions populaires une fois que des personnes seront arrêtées et jugées en vertu de cette loi. Les manifestations pourraient ainsi être « contenues » dans un premier temps, car les représailles contre tous ceux qui ne respecteront pas la loi seront terribles, mais Pékin prend un risque élevé en rendant le dialogue impossible, et en ouvrant donc la porte à une violence que cette loi a paradoxalement pour objet de limiter…
La décision de promulguer cette loi devrait-elle avoir des conséquences sur les relations extérieures de la Chine ?
Elle en a déjà, même s’il faut déplorer des actions trop timides. C’est Taïwan qui se montre le plus actif en soutenant depuis des mois et de manière officielle le mouvement prodémocratie, dans un contexte de relations très tendues avec Pékin. Les États-Unis ont manifesté leur soutien au mouvement au cours des dernières semaines, mais celui-ci semble répondre à l’impératif de désigner la Chine comme un adversaire systémique, en réponse à une crise profonde plus qu’à une adhésion au combat des démocrates hongkongais, qui n’ont pas été soutenus activement au cours des dernières années. Le mouvement est plus un faire-valoir permettant de justifier des mesures de rétorsion qui s’inscrivent dans le cadre des trade wars de Donald Trump. Côté britannique, on a eu cette annonce spectaculaire de Boris Johnson il y a quelques semaines, annonçant offrir la citoyenneté britannique aux Hongkongais qui en ferait la demande. Mais comment imaginer un exode massif ? Les Européens se montrent indignés, mais impuissants. Tout cela traduit une forme d’hypocrisie, car chacun est prêt à condamner, mais personne ne semble disposé à prendre des mesures fortes pouvant altérer la relation avec Pékin. Ce qui était possible en 1989 ne l’est visiblement plus aujourd’hui.