20.12.2024
Pourquoi l’Europe n’a pas d’autre choix que d’affirmer sa puissance face à la Chine
Presse
21 juin 2020
Emmanuel Lincot : Les plus grandes victoires sont généralement les plus discrètes. Il en est une que l’Europe a emporté face a la Chine: c’est de ne pas lui reconnaître le statut d’économie de marché. D’emblée, les conditions imposées à la Chine seront beaucoup plus exigeantes que dans le passé en termes de taxation mais aussi dans la vigilance apportée au fait que les entreprises chinoises ne se trouveront plus en position de force sur le marché européen en bénéficiant d’une manière déloyale du soutien de leur propre État. Par ailleurs, la Covid19 a été un électrochoc pour les Européens dans leur trop grande dépendance vis à vis de la Chine. Nombre d’entreprises européennes vont désormais faire le choix de relocaliser leurs activités. Enfin, le plan de relance initié par le couple franco-allemand va également dans le sens d’un recentrement de nos économies.
Que la réponse de l’UE à l’autoritarisme chinois ait été trop faible jusqu’à maintenant se comprend : après tout, le commerce avec la Chine est vital pour l’économie européenne. Quels risques économique et géopolitique court l’UE si elle décide d’assumer sa force face à la Chine ? Quels risques court-elle si elle ne le fait pas ?
Vous oubliez que la réciproque est encore plus vraie. L’Union Européenne est le premier partenaire commercial de la Chine. Ce débouché est d’autant plus vital que les Etats-Unis lui font obstacle. Le projet des Routes de la soie visait initialement à créer un axe privilégié de part et d’autre de l’Eurasie. Aujourd’hui, ce projet est au point mort. Nous allons assister à un repli tant de la Chine que des Etats-Unis. C’est désormais une opportunité pour l’affirmation d’une Europe-puissance. Si elle ne le fait pas, elle sera menacée d’anéantissement. Mais l’Union Européenne doit d’abord s’armer psychologiquement en considérant une bonne fois pour toute qu’elle n’a pas d’amis mais bien des intérêts. Historiquement, il n’est pas inutile de rappeler que l’expérience de l’un des pères fondateurs de l’Europe, Jean Monnet, s’est d’abord acquise au contact de l’Asie en tant que conseiller de la Chine nationaliste. Solide pragmatisme mis à l’épreuve de la guerre, qui lui aura permis in fine de porter haut les valeurs de la démocratie et de la réconciliation entre les belligérants d’hier. C’est à ces fondamentaux que nous devons revenir et qui doivent nous guider dans chacune de nos négociations, et de nos visées dans nos rapports à la Chine.
Confronté à un gouvernement chinois qui croit en l’ordre mais pas aux règles et un président américain qui ne croit ni à l’un ni aux autres, quelle stratégie l’UE doit-elle développer pour s’affirmer à l’international et notamment face à la Chine ?
En un mot, le pragmatisme doit nous accompagner dans chacune de nos démarches et en pariant sur le temps long. Les régimes politiques comme les hommes passent. Les pays restent. La Chine avec ou sans Parti Communiste sera toujours la Chine: impériale, narquoise et indifférente au sort du monde. Les Etats-Unis avec ou sans Donald Trump seront toujours les États-Unis: conquérants, suffisants et brutaux. L’Europe, elle, sera toujours le creuset d’une histoire inédite : universalité, droits de l’homme mais aussi premières expériences totalitaires. Bref, si nous voulons savoir où aller, avec qui et comment nous adresser, nous devons nous souvenir de qui nous sommes et nous assumer comme tels. Notre force réside dans notre hétérogénéité. L’unité dans la diversité ou l’esprit d’une fédération ferme dans ses choix et respectueuse des différences. Le monde nous regarde. A nous de l’inspirer en tant que force de propositions.