17.12.2024
Journée mondiale des réfugiés : quels enjeux en 2020 ?
Interview
20 juin 2020
Ce 20 juin a lieu la journée mondiale des réfugiés, organisée par les Nations unies, dans le but de sensibiliser les individus, mais également de récolter des fonds. Cette année, cet évènement revêt un caractère particulier du fait de la pandémie mondiale de Covid-19. L’occasion de faire le point sur la situation des populations déplacées et migrantes avec Alice Baillat, chercheuse associée à l’IRIS, experte associée à l’Organisation internationale pour les migrations, et spécialiste des migrations environnementales.
Pourquoi est-il important d’avoir une journée mondiale consacrée aux réfugiés ? Quels en sont les enjeux ?
Les journées internationales sont l’occasion d’informer le public sur des grands thèmes d’intérêts majeurs comme les droits fondamentaux, la protection de l’environnement, la Santé, l’Éducation ou encore les réfugiés.
La Journée africaine pour les réfugiés a lieu tous les 20 juin, et c’est en écho à cet évènement que l’Assemblée générale des Nations unies a choisi cette date, en solidarité avec les États africains qui accueillent, rappelons-le, le plus grand nombre de réfugiés au monde. Cette journée qui se tient depuis 2001 – marquant ainsi le cinquantième anniversaire de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés – est l’occasion de sensibiliser l’opinion au sort de ces populations, mais aussi de lever des fonds, de mobiliser des ressources et de s’engager en faveur des activités relatives à la protection des personnes réfugiées et déplacées.
Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) publie chaque année à cette occasion son rapport annuel sur les tendances mondiales en matière de déplacements forcés. Il estimait ainsi en 2018 à plus de 70 millions le nombre de personnes déplacées dans le monde, forcées de fuir leur foyer en raison des conflits, des persécutions et des violences.
Dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a-t-elle impacté les populations déplacées et migrantes ?
La pandémie de Covid-19 a impacté les populations déplacées et migrantes de manière disproportionnée par rapport aux autres individus, celles-ci faisant généralement partie des personnes les plus marginalisées et les plus vulnérables dans nos sociétés. Elles sont les plus exposées, car elles ont notamment un accès limité à l’eau, à l’hygiène et aux systèmes de santé. On sait par ailleurs que 80 % des personnes réfugiées et déplacées à l’intérieur de leur pays le sont dans des États à faible et moyen revenu, et aux systèmes de santé souvent insuffisants, voire défaillants.
Dans le contexte du Covid-19, on a vu que ces populations avaient été le plus souvent écartées des plans de réponse nationaux visant à lutter contre la pandémie. Par exemple, à Singapour, les travailleurs pauvres d’Asie du Sud, venant du Bangladesh ou du Pakistan, n’ont pas été pris en compte dans la réponse apportée par le gouvernement singapourien pour contenir l’épidémie sur son territoire. Cela a provoqué la résurgence d’un nouveau foyer épidémique dans les centres d’accueil, déjà surpeuplés et insalubres, et le gouvernement a dû prendre de nouvelles mesures très restrictives de distanciation physique pour contenir cette nouvelle vague, à un moment où Singapour pensait avoir réussi à sortir de la crise.
À cela s’ajoutent les mesures de restrictions de déplacements qui ont entravé la circulation de millions de personnes dont les conditions de subsistance dépendaient des revenus tirés de la migration (par exemple à travers les migrations circulaires entre villes et campagnes, ou à travers les rémittances). Les fermetures de frontières, si elles ont pu démontrer leur efficacité pour limiter la propagation du virus, ont aussi eu pour effet de bloquer des milliers d’individus venant demander l’asile, en Europe et ailleurs, et contraints de rester pendant des semaines dans des camps surpeuplés, sans possibilité d’entrer dans le pays, ni de retourner dans leur pays d’origine.
Dans le cas bien spécifique des camps de réfugiés et de déplacés, la surpopulation dans ces lieux a rendu bien souvent impossibles les mesures de distanciation physique, ainsi que le respect des mesures d’hygiène, augmentant la vulnérabilité et l’exposition de ces personnes au risque de contagion. L’accès à l’information dans les camps, pour comprendre les risques liés au Covid-19 et apprendre les gestes pour s’en protéger, est aussi souvent insuffisant et difficile (problème d’accès à Internet par exemple), malgré les efforts des organisations humanitaires, augmentant là aussi la vulnérabilité des occupants face aux risques épidémiques.
Parmi les principales raisons de déplacement forcé des populations figurent les catastrophes naturelles de plus en plus nombreuses du fait du changement climatique. Vous dénonciez dans un papier en 2018[1] un « schisme de réalité » entre la rapidité des changements climatiques et la lenteur de l’action politique. La situation a-t-elle évolué depuis ?
Oui et non. Non, car on a toujours autant, voire plus, de personnes déplacées par les catastrophes naturelles dans le monde chaque année. En 2019, les catastrophes d’origine climatique ont causé près de 25 millions de déplacements internes dans le monde. C’est environ trois fois plus que le nombre de déplacements provoqués par les conflits et violences dans le monde la même année. Cette tendance, qui s’observe depuis plus d’une décennie, montre bien la réalité et la rapidité de ces changements climatiques.
Outre les personnes déplacées par les catastrophes, il faut aussi prendre en compte les dégradations plus lentes de l’environnement, liées au changement climatique, comme l’érosion, la hausse du niveau marin, la salinisation ou les sécheresses, qui influent aussi de façon importante sur les dynamiques migratoires observées et à venir. Estimer l’ampleur de ces migrations est beaucoup plus difficile que de comptabiliser les personnes déplacées par les catastrophes, car ces dynamiques migratoires sont bien souvent complexes et multifactorielles, et il subsiste beaucoup d’incertitudes relatives par exemple, aux efforts qui seront faits en matière d’atténuation et d’adaptation face au changement climatique dans les prochaines années, et qui auront un impact sur l’ampleur des mouvements de population. Mais pour donner un ordre d’idée malgré tout, la Banque mondiale estime par exemple qu’en 2050, 143 millions de personnes pourraient être amenées à migrer en raison notamment des changements climatiques, dans trois régions du monde : l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Sud et l’Amérique latine.
Le concept de « schisme de réalité », exposé dans mon article de 2018, conserve sa validité en ce que l’on constate toujours un décalage entre la rapidité des changements climatiques et le temps de l’action politique. Je suis cependant relativement plus optimiste en 2020 qu’en 2018, car je constate en travaillant au sein de l’Organisation internationale pour les migrations, et dans une division spécifiquement consacrée aux liens entre migration, environnement et changement climatique, que les initiatives internationales, régionales et nationales sont nombreuses et se multiplient pour apporter des réponses à ces enjeux de migrations et de déplacements liés aux changements climatiques, aux dégradations environnementales et aux catastrophes.
Je citais déjà, en 2018, certaines de ces initiatives, que ce soit la reconnaissance des facteurs environnementaux comme causes de migration dans le Pacte mondial sur les migrations, ou la création de la Plateforme pour les déplacements liés aux catastrophes, ou encore le travail de l’Équipe spéciale sur les déplacements créée par l’Accord de Paris. Ces initiatives sont très actives et produisent des résultats. On observe également la multiplication d’initiatives à l’échelle régionale : la communauté économique régionale des pays d’Afrique de l’Est (IGAD) a, par exemple, adopté en décembre 2019 un protocole sur la libre-circulation des personnes reconnaissant les facteurs environnementaux et les catastrophes. De nombreux projets sont aussi en cours dans le Pacifique, en Afrique de l’Ouest et dans d’autres régions du monde, menés par l’OIM en collaboration étroite avec ses partenaires et les États intéressés, pour identifier et partager les bonnes pratiques existantes pour répondre aux besoins en matière de protection et d’assistance des personnes déplacées par les catastrophes, et faciliter des voies de migration sûres et régulières dans le contexte du changement climatique.
Propos recueillis par Agathe Lacour-Veyranne
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[1] Alice Baillat, « Les migrations climatiques à l’épreuve du ‘schisme de réalité’ », Programme climat, énergie et sécurité, IRIS, juillet 2018.