« En direct avec notre envoyé spécial » – 4 questions à Alain de Chalvron
Pendant quatre décennies, Alain de Chalvron à couvert l’actualité internationale pour France Inter puis France Télévision. Dans un livre de souvenirs où l’anecdote croise l’histoire, il revient sur les grands événements de ces 40 dernières années.
Le métier de correspondants de guerre, aujourd’hui, n’a-t-il plus rien à voir avec ce que vous avez connu au départ de votre carrière ?
« Plus rien à voir », la formule est excessive. Sur le fond, il s’agit toujours de couvrir un conflit, de rendre compte de la situation sur le terrain, de trouver des témoins, des histoires particulières à raconter et de rechercher des sources qui vont vous révéler les dessous du conflit. Tout cela n’a pas changé. C’est plus ou moins dur selon la politique de communication des belligérants. À Beyrouth dans les années 80, c’était très ouvert. La France comptait au Liban et donc le correspondant français était reçu par toutes les parties (au moins jusqu’à l’entrée en lice des milices pro-iraniennes). En Irak, c’était beaucoup plus compliqué. Les Irakiens limitaient les déplacements, imposait la présence d’un « guide-interprète » et il y avait une telle terreur dans la population qu’il était difficile d’avoir des témoignages. Et du côté américain, il fallait être « embedded », c’est-à-dire intégré dans une unité.
Ce qui a changé, c’est d’abord la prise de conscience dans les rédactions du danger couru par leur reporter. À Beyrouth, je n’avais aucune protection. Zéro. Comme directeur de la rédaction de France2, j’ai équipé nos équipes de Sarajevo d’une voiture blindée, de gilets pare-balles. Idem pour le poste de Jérusalem. Aujourd’hui les reporters de guerre ont des « trackers » qui permettent de les localiser à tout moment. En Haïti, on m’a même imposé d’avoir un garde du corps. Charles Enderlin, à Jérusalem a dû également avoir une protection rapprochée.
La deuxième chose qui a changé c’est que bien souvent les journalistes sont maintenant des cibles. J’ai vu, durant la deuxième intifada, le correspondant de TF1 recevoir en plein cœur une balle tirée par un garde-frontière israélien. Heureusement il avait un gilet pare-balles efficace. Des journalistes peuvent aussi servir d’otages. Je dirais même que c’est le principal danger aujourd’hui.
Le troisième changement est lié à la guerre elle-même. En 1982, à Beyrouth, l’aviation était déjà capable de frappes ciblées. J’ai vu des avions israéliens détruire très précisément un immeuble que Yasser Arafat venait de quitter. En revanche, artillerie, blindés et marine tiraient un peu n’importe où. À Bagdad, vingt ans plus tard, la plupart des bombardements étaient précis, notamment grâce aux missiles de croisière.
Je voudrais aussi souligner la différence entre le reporter, envoyé spécial qui va couvrir un conflit pendant un temps limité et le correspondant qui vit dans le pays en guerre, y a des contacts, connaît le terrain et fait partie du tissu social.
Peut-on encore aujourd’hui faire un carnage comme celui de Hama en 1982 sans témoin ?
Oui, même si c’est un peu plus difficile. Combien y-a-t-il eu de Hama en Syrie ces dernières années ? Que se passe-t-il en Corée du Nord ? Et au Tibet ou au Xinjiang, le pays des ouïgours. C’est plus difficile de boucler hermétiquement un pays ou une région, mais les dictatures y parviennent tout de même assez bien.
La première différence par rapport aux années 80, c’est la couverture satellitaire du monde. Si une ville est rayée de la carte, cela n’échappera par aux satellites. La multiplication des camps pour o
Ouïgours, dans le Xinjiang a été révélée par les satellites.
La deuxième différence, c’est la multiplication des smartphones qui permettent des transmettre photos ou vidéo dans le monde entier par internet. Mais les régimes très autoritaires n’hésitent pas à couper internet. On l’a vu en Iran par exemple.
Involontairement, vous êtes intervenus dans la campagne présidentielle américaine de 2004. De quelle manière ?
L’adversaire de George Bush était John Kerry, francophone et francophile. Dans la couverture de la campagne. Je lui posais donc mes questions en français et il me répondait volontiers dans notre langue. Cela a intrigué le très influent magazine « New Yorker » qui a fait un article avec une interview de ma part. Je disais notamment que « son français était même sophistiqué ».
Nous étions un an après la guerre d’Irak et la France, qui avait agi contre la guerre aux Nations unies était conspuée par la droite américaine.
La campagne de George Bush s’est donc saisie de cette francophilie de John Kerry. On le traita de « French » dans des spots télévisés. On le monta chantant La Marseillaise. George Bush lui donna du « mon cher », « mon vieux » (en français dans le texte) dans des débats et le vice-président Cheney déclara qu’il se suiciderait s’il apprenait qu’il avait une seule goutte de sang français.
J’ai naturellement cessé de parler à Kerry en français, mais les dégâts étaient faits. Cela dit, John Kerry me dit après l’élection que cela n’avait pas positif mais « pas déterminant ». Huit ans plus tard, devenu secrétaire d’état, il put laisser libre cours à sa francophilie lors des attentas que nous avons connu à Paris.
Nommé à Pékin en 2010, vous constatez que le marxisme est inconnu de la plupart des membres du PC.
Ça n’était pas nécessaire d’être grand clair pour comprendre que dans le « marxisme-leninisme » les hinois n’avaient gardé que le léninisme, c’est-à-dire un système autoritaire, la dictature du prolétariat, le parti unique, etc… en revanche il ne restait pas grand-chose du marxisme dans le système économique du pays.
A l’occasion du XVIIIème congrès du Parti communiste qui vit l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, j’ai pu faire une plongée dans le parti, et en particulier dans ses centres de formation. Là j’ai pu me rendre compte que ces futurs cadres du PCC ne connaissaient pas grand-chose du marxisme. Ce n’était pour eux qu’un slogan, une marque de fabrique.