27.11.2024
« Les prémices d’une internationale anti-raciste »
Presse
3 juin 2020
Directrice de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Marie-Cécile Navès décrypte les mobilisations qui agitent les États-Unis depuisle meurtre de George Floyd par un policier.
Comment analysez-vous l’ampleur des mobilisations ? Est-ce historique, pas nouveau, lié à la crise sanitaire ?
Marie-Cécile Navès : Les images que l’on voit et l’ampleur nationale que les événements prennent -événements très majoritairement pacifiques même si on retient davantage les émeutes et les violences- font penser aux années 1960. C’était une époque où on a voté les droits civiques, combattu la ségrégation et un racisme dans la loi. Aujourd’hui, c’est plus une colère qui a comme étincelle la mort de George Floyd. Une mort qui a lieu dans les mêmes circonstances qu’Eric Garner en 2014, étouffé par un policier, disant je ne peux plus respirer et donnant les mêmes images. C’est donc l’étincelle, avec une impression de déjà-vu, dans un contexte où la communauté noire a été particulièrement éprouvée par le Covid-19, ses conséquences en terme sanitaire, économique… L’épidémie n’ayant fait que révéler et amplifier les inégalités d’accès aux ressources, sociales et raciales, très fortes entre les différentes communautés.
Qui participe à ces manifestations ?
Il faudrait une analyse plus poussée mais les images et les témoignages laissent penser que si c’est intergénérationnel, c’est surtout la jeunesse. Ce qui est nouveau, c’est que ce n’est pas uniquement la communauté afro-américaine. On voit des Latinos, des Blancs… Si on combine ces éléments, c’est un peu l’Amérique multiculturelle, progressiste, anti-Trump, qui manifeste sa colère et qui n’a pas seulement des revendications antiracistes et contre les violences policières. La communauté LGBT se mobilise, la génération climat aussi, les jeunes qui ont manifesté ces dernières années contre le libre-port d’arme…
On a l’impression d’un mouvement qui a une colère certes profonde mais qui veut la transformer en agenda politique public. Il y a une dimension propositionnelle, un contre-projet à l’Amérique de Trump. C’est nouveau, par rapport aux années 60 ou plus proche de nous, au mouvement « Black matters ».
On a vu des policiers du côté des manifestants. N’est-ce pas aussi nouveau ? Est-ce important ?
C’est très important car le poids de l’opinion publique et des images sont très importants pour infléchir les choses, pour le symbole et parce que c’est emblématique du fait que les mentalités sont peut-être en train d’évoluer, même si les pratiques ne vont pas changer du jour au lendemain, et les habitudes puisque police dépend du niveau local. Même l’impunité de la police pourrait, peut-être, commencer à disparaître. On a vu que le policier qui a tué George Floyd a non seulement été démis de ses fonctions mais aussi inculpé. C’est exceptionnel.
Quid des réactions internationales, dans les institutions ou la rue ?
Il est très intéressant de voir qu’il y a un écho mondial à ces violences et avec des mots très forts comme l’appel à la lutte contre la haine de l’Union européenne. Un autre élément important est la solidarité militante qui s’exprime partout dans le monde, à Addis-Abeba, au Canada, à Pékin, en France, en Australie… Et même au Liban et au Chili où certains manifestants des émeutes qui ont eu lieu dans les mois précédents, élaborent des guides pour les manifestants américains. On a l’impression de prémices d’une internationale anti-raciste, même si on en est loin d’un mouvement structuré. Cela fait écho à ce qu’on a vu ces dernières années avec Metoo et d’autres mouvements féministes internationaux. Comme si les mouvements progressistes, en faveur des droits, s’internationalisaient, sur un terreau de contestation du pouvoir établi qui ont eu lieu ces derniers mois aux 4 coins de la planète.
Que vous inspire la réaction de Trump ?
Il suit une stratégie qui fait partie de son obsession de maîtriser le récit des événements, de ramener à sa propre personne. Pour exemple sa mise en scène théâtrale, faisant vider les rues de Washington avec des lacrymogènes, pour se montrer devant une église, bible à la main, entouré d’hommes blancs. Il joue plus le registre de la brutalité, de la force, que celui de l’apaisement. Ce qui a pour conséquence de souffler sur les braises et d’alimenter la violence. Mais, c’est ce qu’il fait depuis qu’il est au pouvoir.