17.12.2024
Voyons les choses en face, Trump a toutes les chances d’être réélu
Correspondances new-yorkaises
2 juin 2020
Au contraire de la plupart des observateurs, je reste convaincu que Donald Trump a toutes les chances de remporter l’élection de novembre.
Et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, pour une grande partie des conservateurs et des classes populaires, il aura été celui qui a affronté la crise sanitaire avec courage, sans masque, au sens propre comme au sens figuré, celui qui aura bataillé contre des gouverneurs lâches et tétanisés par le virus afin de relancer l’économie et permettre aux habitants du land of the free d’exercer leur droit à retourner au travail et à mourir du Covid-19 en toute liberté.
Voir d’ailleurs les millions de personnes qui, par soutien à leur président et par esprit de résistance, refusent comme lui de porter un masque même dans les lieux où cela est devenu obligatoire.
Ensuite, le taux historiquement élevé du chômage ne peut que décroître un minimum avec la fin du confinement. À titre d’exemple, New York City devrait entrer dans la phase 1 de celui-ci dès le 8 juin, et près de 200 000 personnes pourraient alors retrouver leur emploi. Dès maintenant et contre toute évidence, Donald Trump se présente comme l’architecte de « cet incroyable rebond ». Comme, une fois encore, le sauveur de l’économie américaine.
Et ça marche, son électorat de base, mais bien d’autres aussi, convaincus qu’il est celui qui, après des années de récession, avait su remettre l’Amérique sur les rails, voient et verront en lui au cours des prochains mois, et malgré la crise économique sans précédent qui démarre, l’homme providentiel qui maintient le pays à flot.
Sur la scène internationale également les choses peuvent sembler, pour un public américain peu au fait des réalités géopolitiques, jouer en la faveur du président états-unien.
Il est celui qui aura su tenir tête à la Chine, dénoncer celle-ci comme responsable de la pandémie et la punir pour ses mensonges. Il est le yankee, fier et viril, qui refuse jusqu’à nouvel ordre de parler au président chinois et qui claque sans se retourner la porte d’institutions internationales tant détestées au pays de Chuck Norris.
Sans oublier que pour les rednecks, le Donald aura empêché l’Iran de se doter de l’arme atomique et épargné à l’humanité une guerre nucléaire avec la Corée du Nord, tandis que les évangéliques, l’un des groupes religieux les plus importants aux États-Unis, voient très sérieusement en lui un « envoyé de Dieu », « l’élu » venu « sauver » Israël, et même le monde, des méchants musulmans.
Last but not least, son adversaire sur le chemin de la réélection est le pire candidat au poste suprême que le Parti démocrate ait présenté depuis Michael Dukakis en 1988.
En effet, Joe Biden, aimable vice-président de Barack Obama, aurait sans doute eu ses chances en 2016 s’il avait alors décidé de se présenter et non de laisser le champ libre à Hillary Clinton. Au contraire de cette dernière, il aurait pu mobiliser plus d’électeurs démocrates dans les États-clés et donc battre Donald Trump. Mais le paysage politique d’aujourd’hui n’est absolument plus le même.
Alors que la vague de dégagisme en Occident se poursuit, personne ne semble plus anachronique et éloigné des réalités du moment que Biden dont le programme paraît avoir été concocté dans les années qui ont suivi la mort d’Elvis. Sans parler de son côté indubitablement establishment.
Parfaite incarnation d’un parti démocrate américain qui, comme la plupart des partis qui se disent de gauche ou se veulent progressistes, est incapable depuis plus d’une génération de mettre en place, ou même de proposer, les vraies réformes économiques et sociales nécessaires, Joe Biden est le symbole de l’immobilisme et d’un certain politiquement correct de plus en plus rejeté par l’opinion.
Ainsi que je l’avais écrit dans ces colonnes au tout début de la campagne des primaires, seul un candidat très engagé dans le social et « hors système » comme Bernie Sanders aurait pu prendre au moment de l’élection générale des voix sur l’électorat populaire de Trump, rallier une importante partie de la jeunesse et créer une dynamique au-delà des démocrates en faisant se déplacer pour voter un grand nombre de ceux qui ont l’habitude de rester chez eux.
La machine à perdre est donc lancée. Et ce ne sont pas les débats qui opposeront à la rentrée l’ancien vice-président au Donald qui changeront la donne. Ceux-ci ne feront que confirmer la fébrilité du candidat démocrate et mettre encore plus en évidence certaines faiblesses liées au grand âge particulièrement accentuées chez lui.
Quant au choix de sa running mate ? Comme c’est toujours le cas pour les candidats à la vice-présidence, celui-ci n’aura qu’une très faible influence sur les intentions de vote.
Non, Cassandre impénitent qui avait déjà parié sur l’élection du milliardaire new-yorkais en 2016, je reste convaincu, et cela malgré les sondages qui de toute façon ne signifient pas grand-chose à plusieurs mois du jour J, que ce dernier à toutes les chances d’être réélu à l’automne.
Si c’était le cas, la démocratie américaine pourrait alors commencer à se rapprocher dangereusement dans les faits des « démocratures », ces prétendues démocraties qui en réalité n’en sont plus véritablement une.
Avec son acquittement au début de l’année par le Sénat dans le cadre de la procédure d’impeachment initiée à la Chambre des représentants par les démocrates, Donald Trump a vu jusqu’où l’élite républicaine était prête à aller dans la compromission afin de conserver ses faveurs. Élite républicaine qui, il y encore quatre ans, criait haut et fort que le candidat Trump était inepte à exercer la fonction présidentielle et un danger pour la démocratie.
Avec cet acquittement qui sera sans aucun doute considéré par les historiens du futur comme l’un des épisodes les plus honteux de l’histoire de la démocratie en Amérique, le leader populiste a donc compris que presque tout lui était permis tant qu’il garderait la majorité au Sénat.
D’où ces déclarations intempestives, dignes du Général Tapioca dans Tintin et les Picaros, qui depuis quelques mois visent encore plus qu’avant ces fondements mêmes de la démocratie américaine que sont la balance des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif, l’indépendance de la justice, le respect des échéances électorales, le droit des États et la liberté de la presse.
D’où ces décrets sans nombre qui se succèdent, contre des syndicats, les immigrés, les Gafa, etc.
Alors que pour la plus grande joie de ses aficionados, Trump menace maintenant d’envoyer l’armée, en plus de la Garde nationale déjà déployée, contre les manifestants qui dans une quarantaine de villes des États-Unis expriment leur colère après la mort de George Floyd, il n’en finit pas dans le même temps, à travers de nouveaux tweets où il s’en prend ce coup-ci à l’extrême gauche et aux antifascistes, de nous donner un avant-goût de ce que pourrait être son second mandat.
Une présidence plus proche de celle de Recep Tayyip Erdoğan que de celle de George Washington.
Le plus pitoyable ici, c’est qu’aussi contestables et détestables soient-elles, les politiques d’Erdogan, Poutine et autres Viktor Orbán reposent chacune sur une vision. Alors que celle de Trump ne repose sur rien. Ne s’inspire d’aucune idéologie. Et n’a pour objectif que de servir les intérêts immédiats et contradictoires d’un ego démesuré et d’un esprit infantile.
Qu’un tel personnage ait pu être élu et puisse se maintenir au pouvoir avec la complicité d’une partie de l’establishment, en dit long, et cela quel que soit au final le résultat de l’élection de novembre, sur le futur de la démocratie en Amérique.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.