21.11.2024
Le pétrole iranien au Venezuela : les dessous d’une manœuvre stratégique « face à un même adversaire »
Presse
25 mai 2020
Cet échange s’explique par une forte tradition de coopération entre les deux pays, qui n’a en réalité rien de nouveau. La coopération –notamment sur le pétrole– entre le Venezuela et l’Iran est l’un des aspects marquants de la révolution bolivarienne, quand Hugo Chavez est arrivé au pouvoir. Un fort lien de coopération a existé à l’époque de Chavez et de Ahmadinejad, tout au long des années 2000.
Puis il y a eu une période plus fraîche, surtout liée à la négociation entre les Iraniens et le P5 +1 (États-Unis, Russie, France, Chine, Grande-Bretagne et Allemagne) sur le nucléaire, qui a fait que les Iraniens ont souhaité adopter davantage de prudence avec le Venezuela, en gage de bonne volonté. Ces négociations ont volé en éclats sous l’impulsion de Donald Trump. Du coup, l’Iran se sent de nouveau libre par rapport aux Américains, avec visiblement l’envie de reprendre une coopération avec son partenaire vénézuélien, ce qui convient tout à fait aussi à Nicolas Maduro, parce que leurs intérêts sont convergents.
Les deux pays sont les cibles de mesures unilatérales restrictives accrues et permanentes. Ils font partie des pays mis au ban par les États-Unis avec le suivisme européen que l’on peut observer. Il s’agit donc d’une alliance géopolitique totale, c’est-à-dire deux pays qui doivent faire front face à un même adversaire.
Alors que le Venezuela possède des réserves immenses de pétrole, pourquoi Caracas en importe-t-il?
Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer cette situation. Le premier, c’est que le Venezuela est le premier pays en termes de réserves pétrolières au monde, mais ce que l’on sait moins, c’est qu’il s’agit d’un pétrole hyper lourd, qui nécessite un très gros travail de raffinage pour pouvoir être exploité à la consommation directe.
Le pétrole vénézuélien a toujours été de cette nature et il ne faut pas oublier que toute l’industrie pétrolière du pays a été conçue pour s’insérer aux chaînes pétrolières américaines. Ce n’est pas pour rien qu’une grande partie des capacités de raffinage vénézuélien sont en réalité en territoire étatsunien, avec Citgo, etc. C’est aux États-Unis que le pétrole vénézuélien est historiquement raffiné pour recevoir le traitement dont il a besoin. C’est ça qui a été coupé aujourd’hui par les sanctions américaines.
Certes, les Vénézuéliens ont du pétrole, mais ils ont de plus en plus de mal à le produire, ainsi la production s’est effondrée. On pense que le Venezuela produit aujourd’hui plus ou moins un cinquième de ce qu’il produisait encore il y a une dizaine d’années. Dans une large mesure, le pétrole qu’il produit n’est pas apte à la consommation immédiate. Il faut qu’il soit raffiné ailleurs pour pouvoir revenir: voilà la chaîne industrielle du pétrole vénézuélien. Cela place le Venezuela dans une très forte dépendance par rapport à ceux qui raffinent son pétrole. Lorsque le Venezuela sort aujourd’hui du pétrole, ça ne veut pas dire qu’il sort un produit consommable, ça veut dire qu’il l’exporte à des pays qui vont le transformer pour qu’il le devienne.
L’opposant et Président autoproclamé, Juan Guaido, accuse Nicolas Maduro de payer ce pétrole iranien avec de l’or extrait illégalement. Quelle est la réalité de ces accusations, soutenues par Washington?
Nous sommes ici plutôt dans le registre de la guerre de communication, qui permet à Juan Guaido de se frayer un espace médiatique dans ce dossier. Cette accusation est-elle fondée? Nous n’avons aucun moyen de le savoir.
S’agit-il d’un revers, d’un signe de faiblesse pour les États-Unis de constater cet échange entre ces deux pays?
Bien sûr, c’est même une provocation du point de vue de Washington, parce que c’est aussi le signal qu’il y a une réaction des pays qui sont visés par la politique agressive de Washington. Il y a une réaction concertée de ces pays, qui défient ouvertement Washington, n’acceptant pas sa répression. C’est tout à fait pour les États-Unis un signal d’alerte et du point de vue de la Maison-Blanche, une claire provocation, parce que le message des Iraniens et des Vénézuéliens, c’est “nous n’avons pas peur de vous, M. Donald Trump”. En réalité, les Iraniens détiennent des moyens de rétorsion supérieurs aux Vénézuéliens. Ils ont la possibilité d’arraisonner les bateaux commerciaux et pétroliers dans le Golfe persique, moins directement des Américains, mais plutôt leurs alliés britanniques, etc.
La tentative avortée de capture de Nicolas Maduro renforce-t-elle par ailleurs le Président vénézuélien?
Telle qu’elle a été présentée, il s’agissait d’une tentative de le déloger du pouvoir et de le capturer pour répondre à l’offre de Donald Trump de mise à prix de sa tête à quinze millions de dollars pour sa capture. L’opération n’a pas été reconnue par Washington qui, par bravade, a dit que “si ça avait été nous, ça ne se serait passé comme ça, ça aurait été une vraie invasion militaire.” C’est le mot qu’a employé Donald Trump pour commenter les évènements, donc Washington n’endosse pas officiellement et réfute la thèse d’être commanditaire.
Même si Washington affirme cela, il est évident que la stratégie américaine et le discours trumpien sur le Venezuela font des États-Unis au minimum le commanditaire intellectuel, puisque c’est un discours sur un dirigeant récalcitrant qui ouvre la possibilité à tout et n’importe quoi. Quand on met sa tête à prix, on rentre dans une logique de Far West international.»
Comment le Venezuela vit-il aujourd’hui le coronavirus, entre confinement et pénuries?
Il s’agit d’une situation assez singulière au Venezuela. Si l’on s’en tient en tout cas aux chiffres, on peut observer qu’ils sont fournis par le gouvernement, repris par l’Organisation mondiale de la Santé, y compris par l’université Johns Hopkins, la référence en la matière de tous les médias. Ces chiffres sont contestés par Juan Guaido, mais pas par une autre partie de l’opposition. Si l’on se base là-dessus, en termes d’impact de la maladie par rapport à sa population, le Venezuela est en fait le pays le moins affecté par le virus. Il y a un peu plus d’un millier de cas au Venezuela aujourd’hui [l’université Johns Hopkins recense 1.121 cas et 10 morts au 25 mai, ndlr].
Plusieurs raisons peuvent l’expliquer: d’abord, parce que le pays vit depuis plusieurs années sous un régime de mesures unilatérales restrictives, qui font que le pays est beaucoup moins connecté que d’autres aux flux de transports mondiaux, de marchandises, de personnes. C’est ce qui fait le Venezuela a beaucoup moins de cas importés, de gens qui sont venus d’ailleurs avec ce virus au Venezuela. C’est un pays qui a aussi une démographie très jeune, cela doit jouer beaucoup en sa faveur. Ensuite, c’est un pays où le contrôle social est assez fort, cela permet, sur le modèle cubain ou chinois, une stratégie efficace jusqu’à présent. Le pays a aussi l’aide et l’expérience de la formation des Cubains et des Chinois en matière médicale, cela fait pas mal d’atouts pour limiter la propagation du virus dans ce pays.
C’est une affaire politique majeure pour Maduro, qui a déjà fort à faire avec la situation économique, la situation sociale très détériorée du pays, ce qui pourrait évidemment se transformer, avec la pandémie, en insurrection générale. Il y a donc un intérêt politique majeur à ce que cette pandémie ne devienne pas la goutte d’eau qui fasse déborder le vase. Mais pour l’instant, force est de constater que la dynamique est contenue. Par ailleurs, il est évident que les derniers évènements de l’opération Gédéon, la recrudescence agressive de Trump contre Caracas, renforcent finalement Nicolas Maduro et la cohésion du système bolivarien autour de lui.