ANALYSES

#Taiwancanhelp : quand la politique a priorité sur la sécurité sanitaire

Tribune
21 mai 2020




#Taiwancanhelp foisonne sur les réseaux sociaux. Plusieurs notions se rencontrent dans ce hashtag. Il parle de politique nationale, de l’OMS/ONU (Organisation mondiale de la santé/Organisation des Nations unies), de santé publique, de bras de fer avec la Chine, de Covid-19 bien sûr. Mais surtout, d’une farouche envie de reconnaissance internationale, qui légitimerait une potentielle émancipation avec la Chine continentale.

En début d’année, lorsque l’épidémie de Covid-19 a émergé à Wuhan, une étude prédisait que Taïwan serait le territoire hors de Chine continentale, le plus impacté par le Covid-19. Il n’en fut rien. Aujourd’hui encore, Taïwan peut s’enorgueillir de ses statistiques officielles : 440 cas, dont sept décès.

S’il est vrai que lors de l’épidémie de SRAS en 2003, Taïwan n’a comptabilisé que 5 % du nombre total de décès, la République populaire de Chine (RPC), toute proche, en a payé le plus lourd tribut. Épisode suite auquel Taïwan crée le National Health Command Center (NHCC), qui a su réagir dès les suspicions de pneumopathie inconnue, circulant en Chine continentale, fin décembre. Rapidement, les passagers en provenance de Wuhan sont contrôlés par un panel de 26 tests différents, dont le SARS (Covid-1) et le MERS. Une quarantaine est imposée aux neuf cas positifs de ces tests préliminaires.

Le premier cas officiel est enregistré le 21 janvier, une semaine après l’identification de la séquence génique du virus Covid-19. Le travail de communication et sensibilisation du NHCC a permis à ce premier cas de se signaler d’elle-même… Deux jours plus tard, la Chine continentale annonce le confinement de la ville de Wuhan. Taïwan réagit en conseillant à la population de se confiner, et met en place une centaine de mesures visant à contrer la propagation du virus : contrôle aux frontières, identification des cas, allocation des ressources, report de la réouverture des écoles. Le tout assorti des mesures d’hygiène et distanciation sociale. Le port du masque est un réflexe culturel en cas d’épidémie. Déjà porté lors de l’épidémie du SRAS en 2003, mais aussi lors de la grippe H1N1 en 2009. Porté également en cas de pic de pollution dans les grandes villes, le port du masque a été systématisé très rapidement sur une population largement sensibilisée à son utilisation.

Mesures auxquelles est venue se rajouter la recherche des cas contacts, aidée de l’outil numérique, avec un suivi des patients par géolocalisation. Mesures qui permettent à Taïwan d’avoir son pic aux alentours du 24 mars avec un total de 195 cas, alors qu’au même moment la France est en train de vivre la première vague de plein fouet avec un total de 20 123 cas. 195 cas confirmés avec une très grande majorité de cas dits importés. Signifiant ainsi l’efficacité des mesures entreprises sur le contrôle de la chaîne de transmission. Il n’y a pas eu de circulation active du virus dans la société taïwanaise.

Fin mai se tient traditionnellement l’assemblée mondiale de la santé (WHA), à Genève, au siège de l’OMS. Elle a pour but de prioriser les différents programmes de santé publique des années à venir, en fonction du contexte et des problématiques. Cette année est toute particulière. Tout d’abord, parce que la pandémie actuelle met en exergue le rôle primordial de l’OMS, qui est d’être le chef d’orchestre de la réponse globale au Covid-19. Mais aussi parce que, pour la première fois, l’assemblée générale s’est déroulée en visioconférence sur deux jours, alors qu’elle accueille généralement les délégations de ces 194 États membres sur une semaine à Genève.

Alors que le Covid-19 a déjà parcouru cinq continents, mis à rude épreuve la cohésion internationale autant que l’OMS, l’absence de la représentation de Taïwan à l’OMS commence à devenir de plus en plus visible. Sous cet état de fait, se cache une multitude d’acteurs et situations diplomatiques plus complexes les unes que les autres et le bras de fer sino-américain pour un siège d’observateur à l’OMS pour Taïwan en cette fin mai a pris racine il y a bien longtemps …

Aujourd’hui, alors que le dernier cas sur l’île date du 6 mai, portant le total de cas à 440. Taïwan a développé une politique d’aide internationale sur laquelle elle communique de manière particulièrement bruyante. Personnel et matériel médical sont envoyés en « renfort » dans les différents pays.  C’est 21 millions de masques qui ont ainsi quitté Taipei, à destination des pays de l’hémisphère Sud, mais aussi des pays européens (8,7 millions de masques) et des États-Unis. Taïwan est également très présent sur les thématiques de la recherche et du développement, lutte contre la désinformation, et participe à des vidéoconférences impliquant les équipes médicales « des pays alliés ». On note tout particulièrement un évènement organisé par l’Université Johns Hopkins dont le choix n’est pas anodin puisque celle-ci a mis en place un site cartographique recensant les cas de Covid-19 » dès le 22 janvier, mis à jour en temps réel. Aujourd’hui, le site de la Johns Hopkins University covid-Map est devenu la référence Covid-19 la plus consultée au monde avec 1 milliard de visites quotidiennes.

Une communication officielle, mais aussi officieuse… On peut évoquer notamment une page achetée dans le New York Times du 14 avril dernier par un youtubeur taïwanais avec une campagne de financement participatif à laquelle 27 000 personnes ont contribué. Le message ambivalent en était le suivant : « WHO Can help? Taïwan ». « WHO » voulant poser la question « Qui », mais étant également l’acronyme de l’OMS en anglais. Cette campagne suit la conférence de presse du 8 avril, où le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus a évoqué avoir reçu des insultes à caractère raciste émanant de Taïwan. Propos évidemment mal reçu sur la province insulaire.

Au même moment, les États-Unis, alors en pleine tourmente due à sa mauvaise gestion de l’épidémie, décidaient de geler le financement à l’OMS. Le temps de faire une enquête sur sa gestion de l’épidémie… en pleine pandémie. Dépassé par l’ampleur de la crise sanitaire sur son propre territoire, le président Trump cherche un responsable. La Chine fait office de parfait bouc émissaire. Désinformation, manque de transparence, chiffres sous-estimés…  Alors que dans sa communication l’OMS soutient la Chine, le président Trump estime que celle-ci ne payant « qu’une infime fraction de dollar à l’OMS » ne devrait pas souffler la direction du vent.

La communication de Taïwan se posant en « leader de la gestion épidémique » utilise ainsi habilement le bras de fer entre les États-Unis et la Chine au travers de l’OMS pour servir sa cause.

La République de Chine signe et ratifie en 1945 la charte des Nations unies en tant que membre fondateur. Quatre années plus tard, suite à la guerre civile menée par les communistes et Mao Zedong, le gouvernement se réfugie dans la province insulaire de Taïwan. Ainsi, la République de Chine continue de réclamer la pleine souveraineté sur l’ensemble du territoire chinois, mais prolonge sa politique intérieure à Taïwan, et internationale en siégeant, entre autres, aux instances onusiennes jusqu’en 1971[1]. Jusqu’alors, la République populaire de Chine (RPC) ne prête que peu d’intérêt à l’ONU qu’elle qualifie d’« instrument de l’impérialisme et incarnation du néo-colonialisme ». À la fin des années 1960, l’antagonisme entre Pékin et Moscou est à son paroxysme. La menace de la pression soviétique et les 7 000 km de frontière commune, pousse Pékin à briser son isolement. Un lent et fragile rapprochement s’opère entre Pékin et Washington. Et ceci malgré le fait que Washington ait tenté, vainement, de faire pression pour que l’adhésion de la RPC à l’ONU n’entraîne pas de facto l’éviction de la République de Chine. Lors de la guerre de Corée, Taïwan a permis aux États-Unis de restreindre l’extension du communisme en Asie. Notamment en offrant un port d’attache à l’United States Taiwan Defense Command… resté opérationnel jusqu’en 1979.

Malgré le « contre » des États-Unis, la résolution 2758 de l’Assemblée générale des Nations unies est finalement adoptée le 25 octobre 1971. Elle établit « le rétablissement de la République populaire de Chine dans tous ses droits et la reconnaissance des représentants de son gouvernement comme les seuls représentants légitimes de la Chine à l’Organisation des Nations unies, ainsi que l’expulsion immédiate des représentants de Tchang Kaï-chek (Taïwan) du siège qu’ils occupent illégalement à l’Organisation des Nations unies ».

Taïwan ne fait donc plus partie de l’ONU, et par conséquent de l’OMS, depuis 49 ans. Pourtant, elle fait savoir que son expertise pourrait être bien utile au monde en proie à une pandémie qui fait plus de 4 000 morts et 90 000[2] nouveaux cas quotidiens au niveau mondial. Elle a raison. D’autant plus que Taïwan a pu bénéficier d’un statut d’observateur à la WHA entre 2009 et 2016. Opportunité qui a pris fin lors de l’élection de Tsai Ing-wen, opposante notoire de l’autoritarisme de Pékin, à la présidence de Taïwan. En représailles, Pékin rompt l’accord diplomatique qui le liait à Taïwan pour le priver du statut d’observateur à l’ONU. De son côté, le président Trump fait voter en mars dernier le Taipei Act, une loi permettant à Taïwan de bénéficier du soutien des États-Unis dans sa demande de statut d’observateur dans les instances internationales.

Certaines voix s’élèvent contre l’absence de Taïwan à l’OMS, des pétitions et des alliances diplomatiques circulent. Un groupe d’États membres ont fait parvenir une demande à l’OMS pour que Taïwan soit invité à la WHA… Et ainsi faire part de sa « stratégie gagnante » face au Covid-19.

L’OMS, de son côté, reconnaît le succès de la réaction et la stratégie taïwanaise. L’organisation précise d’ailleurs la participation de Taïwan à trois réseaux de travail avec l’OMS portant sur les vaccins, la recherche et le règlement sanitaire international.

Mais l’OMS affirme également travailler selon les règles établies par les 194 États membres qui la composent. Ce sont les États membres qui décident des questions qui seront discutées à l’Assemblée mondiale de la Santé. Ce sont les États membres qui décident du statut d’observateur. Ce sont eux qui mandatent le directeur général pour inviter lesdits observateurs et qui décident du pouvoir octroyé aux instances onusiennes. Par conséquent, Taïwan n’est pas présent à la WHA de mai 2020.

On peut en conclusion retenir deux choses.

Premièrement que les États membres n’ont pas envie de concéder la moindre parcelle de leurs pouvoirs aux instances onusiennes. Pas hier et toujours pas aujourd’hui.

#Taiwancanhelp… Deuxièmement que l’OMS n’est clairement pas armée pour répondre aux défis sanitaires du XXIe. Les pandémies et le changement climatique, mais aussi les résistances aux antibiotiques, le défi de la couverture universelle de santé, nécessitent une réponse globale et coordonnée. Faire de l’OMS une entité normative ne suffit pas, ne suffit plus. Il est temps pour les instances onusiennes de couper le cordon de l’héritage post-Seconde Guerre mondiale, et de prendre conscience du monde qui les entoure. Prendre du recul, se réformer, apprendre de ses erreurs c’est une bonne chose… Mais aujourd’hui, nous avons besoin, plus que jamais, d’une OMS capable d’anticiper !

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[1] Hammer Michel, « L’entrée de la Chine aux Nations unies », Relations internationales, 2006/3 (n° 127), p. 71-77. DOI : 10.3917/ri.127.0071.

[2] Nombres de cas comptabilisés, ce qui implique une très probable sous-estimation de ces chiffres.
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