25.11.2024
«Café : le monde entier dans une tasse»
Presse
18 mai 2020
Le café, c’est d’abord la grande histoire. Celle d’un arbuste qui se développe dans la Corne de l’Afrique et plus précisément en Ethiopie. C’est ensuite la légende du café en tant que boisson à consommer, qui aurait démarré avec les soufis du Yémen, et un processus depuis bien connu : graines extraites des fruits aux allures de cerise, pour être séchées avant la torréfaction. L’emballement intervient avec l’essor des flux de marchandises et les brassages humains : ceux de l’Empire ottoman vers l’Europe, où les cafés deviennent des lieux de socialisation pour les plus aisés (le premier « café » ouvre à Paris en 1671) ; ceux des puissances coloniales ensuite, avec les Portugais qui l’introduisent au Brésil, les Espagnols qui l’amènent en Colombie et les Français qui l’emportent dans la péninsule indochinoise.
Ces trois destinations offrent des conditions pédoclimatiques favorables à la culture du café. Et de nos jours, Brésil, Vietnam et Colombie en sont d’ailleurs les trois pôles dominants, avec respectivement 30 %, 17 % et 8 % de la production mondiale.
Alors que le café est la seconde boisson la plus consommée après l’eau, et que sa consommation se fait pour moitié hors domicile (sans doute utile à souligner avec le Covid-19, les confinements sur tous les continents et la fermeture des bars ou restaurants), la géographie de ses récoltes se révèle très étroite. Après la triade au pouvoir mentionnée ci-dessus viennent l’Indonésie et l’Ethiopie, puis le Honduras, l’Inde, l’Ouganda, le Mexique et le Pérou. Ces dix pays réalisent 90 % de la production mondiale de café. Les effets du changement climatique y sont scrutés avec attention. L’organisation internationale du café alerte souvent sur un risque de diminution de 50 % de ses surfaces cultivables à l’horizon 2050.
Stratégie à l’export. Quand on parle de café, deux variétés principales en réalité coexistent : l’arabica et le robusta. Le premier exige des altitudes non négligeables pour pousser : entre 600 et 1 200 mètres en moyenne et des températures modérées. Il représente les deux-tiers de la production de café mondiale. Le robusta est plus concentré en caféine, d’où son goût généralement âpre et amer. Pour répondre aux attentes de la population, le café doit emprunter des routes sur longues distances. Avec 7,4 millions de tonnes (Mt) échangées sur les dix produites, il s’agit d’un des produits qui se retrouvent le plus sur les marchés mondiaux en valeur relative de sa récolte.
Ce commerce international, qui se fait via des sacs de 60 kilogrammes de grains, s’élevait à 32 milliards de dollars en 2018. Il s’agit d’un triplement en valeur depuis le début du siècle ! Les volumes ont crû de 6 à 9 millions de tonnes entre 2000 et 2018 ! Et le prix du café a plutôt eu tendance à baisser, tant les pays producteurs ont accentué leur politique productive et aiguisé leur stratégie à l’export. Le cas du Vietnam est emblématique en la matière. Les surfaces de café ont été multipliées par dix entre 1990 et 2010 pour qu’il devienne la seconde culture agricole stratégique du pays après le riz. Après le Brésil, avec 2,1 Mt, c’est d’ailleurs le Vietnam qui suit dans le classement mondial des exportateurs de café avec 1,7 Mt.
Qui sont les protagonistes de ce marché colossal du café ? Côté secteur privé, c’est la concentration, avec quelques firmes multinationales et leurs multiples marques qui se cachent derrière ces noms : Nestlé principalement, mais aussi Mondelez, Starbucks, Tchibo, Lavazza ou Illy. N’oublions pas le poids des enseignes de distribution qui font des achats massifs de café auprès de ces géants ou d’autres fournisseurs du secteur. La torréfaction se fait généralement dans les pays importateurs, au premier rang desquels les Etats européens et les Etats-Unis.
Des négociants internationaux de matière première comme Cargill s’occupent de déplacer, par terre mais surtout par mer, des montagnes de café chaque jour sur la planète. Pour satisfaire et stimuler la demande, l’innovation doit être permanente sur un produit si fréquemment consommé. Le café sait se réinventer. C’est l’exemple des dosettes ou des capsules, avec la gamme de machines qui iront avec, et qui représente désormais 60 % du café pris à domicile en France. C’est aussi la croissance du café bio ou équitable ces dernières années.
Petits producteurs. Mais en amont, le café, ce sont surtout 25 millions de petits producteurs dans les pays où cette culture prédomine : 70 % d’entre eux disposent de parcelles inférieures à 5 hectares. Autant dire que leur poids individuel est faible dans les négociations. Si une organisation collective et professionnelle confère des moyens pour instaurer des prix minimums, améliorer leurs revenus et leurs droits, le secteur du café souffre incontestablement d’asymétries économiques et commerciales.
Sur une capsule, près de 90 % du prix est ainsi capté par les distributeurs et torréfacteurs. En Ethiopie, là où tout a commencé et où le café reste omniprésent sur le plan culturel — il représente en outre 30 % des exportations agricoles —, ce sont des micro-exploitations familiales qui en assurent la production nationale : 15 millions de personnes vivent et dépendent directement du café, soit un Ethiopien sur sept ! Des initiatives se sont développées pour un partage plus juste de la valeur ajoutée : l’entreprise Moyee emploie localement, torréfie, mélange et conditionne en Ethiopie avant l’export, reversant au producteur la moitié du prix de la boisson consommée à l’autre bout de la chaîne.
Alors que nous débattons en France du rôle des circuits courts et des enjeux de souveraineté alimentaire, le café nous ramène à certaines réalités agricoles planétaires. Notre pays est totalement dépendant de l’extérieur pour ce produit, qui représente dans l’hexagone un marché de 5 à 6 milliards d’euros entre les achats pour les consommations en domicile et les ventes hors foyer. Chaque jour donc, chez soi, sur la place de son village ou dans un bar en ville, en attrapant notre tasse et en buvant notre café, nous sommes avec et dans une partie du monde.