ANALYSES

Covid-19 : quelle place pour le sport féminin face à la crise ?

Interview
15 mai 2020
Le point de vue de Carole Gomez


Le sport a été largement impacté par la crise du coronavirus, notamment par l’annulation de bon nombre d’évènements sportifs. Le sport féminin se trouve ainsi menacé de passer au second plan, très peu représenté dans les médias. Quelles en seront les possibles conséquences ? Le point de vue de Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS.

Peut-on d’ores et déjà connaître les conséquences du Covid-19 sur le sport ?

Il est pour l’heure encore extrêmement complexe d’avoir des certitudes sur l’ampleur de la crise à plusieurs titres. D’une part, il est encore bien trop tôt pour tirer des conclusions, qui pour l’heure ne seraient que parcellaires. D’autre part, parce que nous sommes encore dans l’incertitude de la reprise de championnat dans certains sports et certains pays. Prenons le cas de l’Allemagne et de l’Espagne, où les championnats masculins de football ne sont pour l’instant que suspendus, ayant espoir de reprendre dans quelques semaines. Enfin, parce que nous n’avons, pour l’heure, aucune certitude quant à la date de reprise des compétitions (et donc avant d’entraînement), ni des conditions. En d’autres termes, cette crise peut être amenée à durer dans le temps, aggravant ainsi d’autant plus les conséquences économiques, politiques, sociales.

En revanche, je dois avouer être particulièrement inquiète sur l’avenir du sport au féminin. Depuis désormais plus de deux mois, articles, tribunes, tables rondes, webinaires se succèdent pour tenter d’imaginer le « sport d’après ». Force est de constater que cette réflexion ne semble que peu concerner la pratique féminine. Des championnats arrêtés, la crainte de voir les sections féminines devenir une « variable d’ajustement » et donc supprimées, une incertitude désormais devenue légion… et pourtant aucune analyse, quasiment aucune information n’est diffusée, laissant les acteurs et les observateurs dans un flou complet.

Quelle a été la situation du sport au féminin depuis le début de l’épidémie ?

Elle est à mon sens très inquiétante à plusieurs titres.

D’une part, si l’on regarde la médiatisation du sport au féminin, qui a semblé quasiment disparaître des écrans, articles et discussions. À titre d’exemple, entre le 14 mars 2020 et le 12 mai, L’Équipe, version papier, aura publié 40 articles ou brèves sur l’impact du Covid-19 sur le sport au féminin. 40 sur 1651. Soit 2,4 %. 2,4 %. À l’exception de quelques articles sur l’annonce du déplacement de l’Euro 2021, les articles s’interrogeant sur les conséquences du Covid-19 sur la Ligue Butagaz Énergie (handball), féminine de basket, l’Élite 1 (rugby), ou la D1 Arkema (football) n’auront eu droit à quasiment aucune analyse dans ces lignes. Que l’absence de compétitions ne serve pas d’excuse à ceux qui contesteraient la nécessité ou l’intérêt de parler du sport au féminin, au risque de devoir justifier les kilomètres d’articles produits (presque 42 % au sein de L’Équipe version papier) et de reportages télévisés et audios sur l’arrêt de la Ligue 1, du Top 14 ou encore de la NBA. Quand on sait l’importance que la médiatisation peut avoir sur à la fois la perception de ce sport, mais également le nombre de pratiquantes, ce coup d’arrêt me semble vraiment catastrophique. 2 %, rendez-vous compte. Et j’imagine que l’on trouverait des chiffres similaires sur d’autres médias.

D’autre part, et alors que plusieurs économistes considèrent que les sections féminines ne reposant pas (ou très peu) sur les droits télévisés ainsi que sur billetterie, subiraient une crise moins prononcée que chez leurs homologues masculins, plusieurs annonces laissent au contraire penser que les sections féminines seraient les variables d’ajustement de certains clubs, destinées à amoindrir le choc économique connu par les sections masculines. En outre, dans le cas précis du football, le rapport FIFpro publié en avril 2020 met en exergue l’aggravation des conditions et de la protection des joueuses à cause de la situation sanitaire actuelle.

Enfin, en cette période de crise, à l’heure où les institutions, les acteurs et observateurs du sport se concentrent et se concertent sur la reconstruction et l’écriture du sport de demain, le fait que le sport au féminin ne soit que très (très) peu évoqué est assez inquiétant. Oublier ou ne serait-ce que minorer, cela reviendrait à réduire à néant toutes les avancées connues au cours des dernières années et constituerait un très inquiétant retour en arrière.

La période terrible actuelle a été interprétée par certains comme l’occasion parfaite de réinventer le sport et de venir corriger ce modèle que l’on sait trop imparfait. Il ne le serait qu’encore plus si le sport au féminin n’y trouvait pas toute sa place.

Comment réagissent les autorités sportives sur cette menace que le Covid-19 ferait peser sur le sport au féminin ?

Là encore, il est compliqué de faire une analyse exhaustive, puisqu’il y a des divergences importantes entre les sports et même les pays. Le cyclisme s’est particulièrement fait remarquer au cours du mois d’avril pour avoir proposé un calendrier quasi exclusivement masculin et reporté d’un mois la diffusion de celui des femmes. Il aura fallu une lettre ouverte du syndicat The Cyclists’ Alliance dénonçant ce procédé pour que l’UCI s’engage à « faire face aux effets du coronavirus sur le cyclisme sur route féminin ».

Que penser aussi du message envoyé par World Rugby qui, alors que la féminisation du rugby est depuis quelques années un axe important de son développement, ne nomme qu’une seule femme au sein de son comité exécutif. Rapidement, plusieurs commentateurs n’ont pas manqué de faire remarquer qu’il y avait plus de « Brett » que de femmes parmi ces 12 membres du comité exécutif.

La FIFA a quant à elle confirmé son investissement d’un milliard de dollars pour la féminisation du football et nombre de représentants des fédérations nationales ont rappelé leur volonté de poursuivre la dynamique lancée. Dans une période d’incertitudes chronique, ces prises de position sont évidemment bienvenues, mais il faut aller plus loin. Plus que jamais, une prise de position politique forte est nécessaire, mais également une mobilisation du monde du sport pour être sûr de faire partie de l’équation à venir, et ne pas ou plus se contenter des miettes.

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Pour aller plus loin sur le sujet, lire la note de Carole Gomez « Le sport au temps du Covid-19 : qu’est devenu le sport au féminin ? », publiée au sein de l’Observatoire géostratégique du sport de l’IRIS.
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