ANALYSES

Arabie saoudite : la chute du prix de pétrole met son budget dans le rouge

Presse
29 avril 2020
Interview de Francis Perrin - RFI
À long terme, cette baisse pourrait-elle saper l’ambitieux plan de réformes de l’héritier du trône saoudien, Mohammed ben Salman ? La réponse de Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South à Rabat et directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques à Paris (IRIS) 

Francis Perrin : Au minimum, elle va compliquer et sans doute retarder la mise en œuvre de ce plan de diversification économique que l’on appelle souvent Vision Arabe saoudite 2030. Déjà, l’échéance 2030 paraissait un petit peu courte. Si l’on essaie d’être réaliste dans ce domaine-là, il faudrait un horizon plus éloigné pour l’Arabie saoudite, car ce pays reste extrêmement dépendant du pétrole et ce depuis plusieurs décennies. Nous sommes en 2020. Il y aura des revenus pétroliers en moins du fait de la chute des cours et de la baisse de la consommation. Il faudra donc revoir le calendrier au minimum en 2020 et, peut-être, en 2021. Mais en tout cas clairement c’est un coup dur pour le prince héritier, Mohammed ben Salman. A terme, son avenir politique en Arabie saoudite sera fortement lié à la réussite ou à l’échec de ce programme de diversification de l’économie saoudienne.

Depuis la dernière chute des prix du pétrole en 2014, le budget de l’Arabie saoudite est systématiquement déficitaire. Le pays a dû emprunter plus de 100 millions de dollars et puiser dans ses réserves financières. Se prépare-t-il à une cure d’austérité ?

Quand on est un pays qui, comme l’Arabie saoudite, est aussi dépendant du pétrole, donc des revenus pétroliers, et que les prix du pétrole s’effondrent de moins de 70%, vous êtes en train de vivre un choc très violent. Face à un tel défi, il est impensable de ne rien changer par rapport à l’économie et au budget. L’Arabie saoudite est actuellement frappée en plein cœur de son économie, qui est le pétrole. Forcément il y aura, peut-être en plusieurs fois, des mesures qui seront prises dans le domaine de l’austérité. Evidemment, une austérité budgétaire en Arabie saoudite en 2020 ce ne sera pas la même chose qu’une austérité en Iran où elle sera beaucoup plus dure. Ce n’est pas pareil qu’au Venezuela ou au Gabon. Pour une simple raison que l’Arabie saoudite a accumulé des réserves de change importantes. Ces réserves ont évidemment diminué au fur et à mesure que Riyad y avait puisé pour compenser la baisse de ses revenus. Mais elles restent importantes, et grâce à elles l’Arabie saoudite pourra passer ce cap difficile. Toutefois, il faudra prendre des mesures, notamment budgétaires, afin de faire face à la baisse de la croissance économique, voire à la stagnation, voire même à la récession. Continuer en 2020 comme avant c’est pratiquement une mission impossible.

Riyad a conclu le 12 avril 2020 un accord historique qui constitue un cessez-le-feu dans la guerre des prix qui l’oppose à Moscou. Cet accord qui réduit la production de pétrole de 9,7 millions de barils par jour (Mb/j) à compter du 1er mai suffira-t-il pour faire remonter les cours ? L’Arabie saoudite, pourrait-elle être victime de sa propre stratégie pétrolière ?

Après l’échec du sommet Opep+ le 6 mars 2020 à Vienne, la stratégie saoudienne a changé à 180 degrés. Avant cette date, elle consistait généralement à défendre un certain niveau des cours du pétrole afin qu’ils ne tombent pas trop bas. Après le refus russe de proposition de l’Opep de la réduction conjointe de la production pétrolière, les Saoudiens se sont dit : « puisque les Russes veulent jouer personnel, on fera pareil ». Ils ont donc annoncé qu’à partir d’avril ils ouvriraient les vannes en augmentant leurs exportations pétrolières. Ce qui était très risqué, car les prix du pétrole étaient déjà en train de chuter. Une stratégie très risquée, donc, mais une stratégie qui a donné quelques résultats positifs puisque la Russie a finalement accepté une réduction beaucoup plus grande de sa production. Cette guerre a fait chuter encore plus les cours, en aggravant la situation des pays producteurs, dont l’Arabie saoudite, mais elle a porté ses fruits.

Pour l’instant, à savoir fin avril, les marchés pétroliers n’ont pas encore suffisamment confiance dans le fait que les mesures annoncées par l’Opep et ses alliés seront suffisantes pour faire face à la situation actuelle qui est d’une gravité exceptionnelle. Et donc les prix du pétrole n’ont pas vraiment remonté. Cela dit, l’accord n’a pas encore commencé à s’appliquer. Ce sera le cas à partir du 1er mai prochain. Et il faudra attendre quelques semaines pour voir comment cet accord sera appliqué et mis en œuvre pas chacun de ses signataires.
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