17.12.2024
Déconfinement à Wuhan : les acheteurs chinois semblent avoir perdu le goût de la consommation
Presse
9 avril 2020
Les gens sont commotionnés. Imaginez: vous perdez vos proches, vos parents dont le corps a été abandonné dans des housses en plastique, sur le trottoir, des jours durant, avant d’être enfin emportés par les croque-morts vers les crématoriums, débordés de cadavres. Ce n’est parfois que des semaines plus tard que l’on a remis ce qu’il restait de vos proches, sous la forme d’urnes, anonymes, et dans un silence assourdissant. Il faut lire les commentaires désespérés de l’écrivaine Fang Fang, que le journal Le Monde a rapporté pour comprendre la portée de ce traumatisme. Bref, l’ambiance n’est pas à la fête mais bien au recueillement. Et dans un pays où le moindre rassemblement religieux ou des prières rendues publiques sont susceptibles d’arrestations, il faudra d’abord compter sur ses propres ressources spirituelles et intérieures pour faire face à l’émotion qui vous submerge. C’est cela la Chine communiste du Président Xi Jinping. Ce que l’on craint par ailleurs, c’est en effet une seconde vague de pandémie. Un nouveau foyer a été détecté au Henan par exemple. Et puis, l’effondrement de l’économie américaine va faire des dégâts en Chine même. Action, réaction: chacun va épargner ses économies en attendant des jours meilleurs car la pleine croissance ne sera certainement pas au rendez-vous. En Europe, la reconstruction sera lente. Certaines régions comme la Lombardie mettront du temps à panser leurs blessures. Mais à la différence de la dictature chinoise, nous sommes des démocraties. Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, n’y voit pas une clé de lecture pertinente. Moi, si. Et surtout, dans le contexte du déconfinement qui ne pourra pas être géré par de seules mesures technocratiques, froides et déshumanisées, comme le tracking.
Le carnet de commandes des entreprises chinoises s’amenuise de jour en jour malgré la sortie de crise et un plan de relance important n’arrive pas à rattraper cela. Comment l’effondrement de l’économie mondiale affecte-t-il les entreprises du pays ?
Il est encore trop tôt pour le dire mais tous les voyants sont au rouge et ce qui affecte avant tout la Chine et son gouvernement, c’est une crise de confiance majeure. La propagande de l’Etat-Parti aura beau claironner sur un mode triomphaliste son succès dans le règlement de cette crise, nul n’est dupe. Censure de l’information, mensonge sur le nombre réel de victimes, instrumentalisation de l’OCS et de l’OACI, projets hors-sols conduits par Xi Jinping à l’étranger dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie en injectant des centaines de milliards à perte dans l’économie de pays insolvables alors que ses concitoyens ne bénéficient d’aucun système de sécurité sociale, crainte, enfin, de la réaction des Etats-Unis dont nombre d’entreprises seront tentées de demander à la Chine des réparations…Tout cela rend l’avenir extrêmement incertain. Et de toute évidence si l’économie ne redémarre pas comme elle le devrait, l’Etat-Parti ne parviendra plus à acheter la paix sociale. Le corollaire de tout cela, c’est une implosion ou une solution tactique de sortie de crise qui, dans les cas les plus extrêmes, et nous l’avons vu dans le cas du Japon à la veille de la seconde guerre mondiale, peut être aussi le choix de la guerre.
La consommation intérieure a représenté plus de 58% de la croissance du pays en 2019 et le pays comptait là-dessus pour passer d’une économie d’exportatrice à consommatrice ? Comment la crise du coronavirus a-t-elle changé les plans du gouvernement chinois ?
L’atout de la Chine est d’être – au contraire de nos économies – autonome dans sa production manufacturière. En revanche, sa dépendance de l’extérieur en matière de high tech ou d’un point de vue de sa sécurité alimentaire la rendent extrêmement vulnérable. Et c’est là que nous devons y voir pour l’Union Européenne des opportunités à condition de forcer le gouvernement chinois à une réciprocité réelle. Si nous n’en prenons pas le chemin, c’est paradoxalement l’économie allemande et non la nôtre, beaucoup moins dépendante du marché chinois, qui en fera les frais. Il y a là encore un autre argument pour Paris dans ses négociations avec Berlin. Et c’est dans ce contexte tourmenté que nous reconnaîtrons des hommes qui n’auront pas eu froid aux yeux. Plus que jamais pensons, au poète Hölderlin: « Avec le danger croît ce qui sauve ».