ANALYSES

Coronavirus : 3 manières de demander des comptes à la Chine (sans aggraver la situation mondiale)

Presse
18 avril 2020
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
L’Union européenne peut-elle « demander des comptes » à la Chine à propos de la gestion de la crise du Covid19 dans la mesure où elle se trouve dans une situation de forte dépendance industrielle, notamment en ce qui concerne le matériel médical ?

Les déclarations récentes d’Emmanuel Macron demandant des explications à la Chine en accordant à ce sujet un entretien au Financial Times peuvent entrer dans une logique de confrontation. Demander des comptes à la Chine comme le demandent un certain nombre d’organes de presse américains voire, en France, Le Figaro, vont dans le sens d’une prise de conscience générale en Occident que la Chine est allée beaucoup trop loin soit dans son laxisme au commencement de la crise ou dans sa détermination de masquer la réalité des faits en faisant pression, on le sait, sur l’OCS et l’OACI. Les économies chinoise et américaine s’écroulent. Côté américain, nous allons dépasser dans les semaines à venir plusieurs dizaines de millions de chômeurs. Côté chinois, l’échec d’une relance par la consommation se fait déjà sentir. Des millions de PME y ont été réduites en cendres et des millions de jeunes fraîchement diplômés ne pourront accéder à l’emploi. Dans l’un comme dans l’autre cas, on sera tenté de chercher un bouc-émissaire. Pour l’Europe, c’est l’Allemagne dont la dépendance aux marchés extérieurs, chinois notamment, est la plus forte. Pas la France qui même si elle a connu par ailleurs un réel retard dans la fabrication de son matériel médical a pour objectif d’autonomiser sa chaîne de production.

Demander des comptes à la Chine est parfaitement légitime au vu de la catastrophe. Toutefois, le régime chinois qui n’en est pas à sa dernière manipulation, rappellera à l’opinion que des réparations avaient été exigées à plusieurs reprises par les puissances impérialistes européennes, et notamment à l’issue de la révolte des Boxers (1900), lesquelles avaient largement participé à l’effondrement de la dernière dynastie impériale, onze ans plus tard. Une radicalité politique s’ensuivit: dictatures blanche (Tchang Kaï-shek) puis rouge (Mao Zedong). Cyniquement, nous sommes tout à fait en droit de nous demander aujourd’hui si nous devons tenter de continuer la poursuite d’une coopération avec la Chine ou au contraire la pousser dans ses retranchements. A quelle fin ? L’écroulement du régime engendrerait une situation d’anarchie telle qu’elle nous débarrasserait d’un régime autoritaire aussi odieux que pernicieux. Nous ne pouvons pas imaginer un seul instant que la Maison Blanche n’y ait pas pensé. Après tout, c’est un scénario que Graham Allison auteur du « Piège de Thucydide », une somme importante de la polémologie contemporaine a envisagé.

Quels sont les outils diplomatiques et institutionnels dont dispose l’UE pour agir ?

Avant même de penser à des outils, pensons à notre situation géographique. Les principaux axes des Nouvelles Routes de la Soie convergent vers l’Union Européenne. Pourquoi ? Parce que l’Union Européenne est le premier partenaire commercial de la Chine. Sans l’Union Européenne, la Chine perd une source très importante de ses revenus. Imposons aux dirigeants de Pékin un « deal »: l’ouverture des parts de son marché qui nous est encore largement fermé, l’annulation des dettes africaines qu’elle prendra en charge. Bref, on l’aura compris, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Union Européenne est en position de force. Elle l’est aussi pour le système social qu’elle promeut. Service hospitalier gratuit, prise en charge des plus défavorisés,couverture sociale pour les chômeurs: le modèle européen fait aussi la différence non seulement vis à vis de la Chine mais aussi vis à vis des Etats-Unis. Le déconfinement et l’après-crise vont révéler au grand jour ces différences. C’est en cela aussi que résident les atouts de l’Union Européenne. Le temps travaille pour elle. Elle fera des envieux. Mais sur le plan institutionnel, il convient de revoir avant tout notre partenariat stratégique avec la Chine. Tout simplement parce que celle-ci ne respecte pas nos accords. Deux exemples suffiront: dans le domaine de la gestion des océans, l’attitude de la Chine est absolument désastreuse. En Polynésie française comme au large de l’Afrique. Dans le domaine de la sécurité alimentaire, de l’hygiène, la situation y est cauchemardesque. Est-il acceptable de voir réapparaître les marchés d’animaux exotiques partout en Chine, eux qui sont à l’origine du Sras comme, probablement, du Covid-19 ? Évidemment non. Et cela nous renvoie au laxisme, à l’irresponsabilité criminelle des autorités chinoises. Comment procéder ? Les moyens de pression sont nombreux et graduels : pénalités, mesures protectionnistes du côté européen, expulsion de diplomates, d’hommes d’affaires ou d’étudiants chinois, interdiction des médias chinois et de leurs organes de propagande dans les pays européens, suppression des instituts Confucius et autres officines d’espionnage, neutralisation des centres de hacking chinois par des ripostes cyber ciblées, reconnaissance diplomatique de Taiwan, soutien massif aux dissidents chinois, aux communautés religieuses rebelles ou aux indépendantistes ouighours. Devons nous allonger la liste ?… Aux dirigeants chinois de réfléchir. A nous de réapprendre à nous battre.

Finalement, l’Union a-t-elle intérêt à s’opposer, alignée avec les pays anglo-saxons, au régime chinois ?

Cette période de crise est une opportunité. La rivalité sino-américaine va s’accentuer. A nous de nous démarquer de ces deux pôles. Ni le modèle américain, ni le modèle chinois ne peuvent nous satisfaire. A nous de nous imposer en pensant à nos intérêts stratégiques, à notre souveraineté. C’est une question de volonté et de survie spirituelle, de ce pour quoi nos aînés ont donné leur vie: la défense du monde libre !
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