19.12.2024
« La demande pétrolière devrait reprendre au 2e semestre 2020 »
Presse
19 avril 2020
Les prix du pétrole ont effectivement baissé depuis la finalisation de l’accord entre pays Opep et non-Opep (ce que l’on appelle souvent l’Opep+) le 12 avril. C’est un paradoxe puisque cet accord prévoit une baisse de la production très importante. En fait, les marchés anticipaient une réduction de la production encore plus importante, de l’ordre de 15 à 20 millions de barils par jour. De plus, l’accord conclu il y a quelques jours est un accord de l’Opep+.
L’Opep+, ce sont 23 pays, dont 13 pays membres de l’Opep et 10 pays non-Opep dont la Russie. Certains escomptaient un accord plus large impliquant un plus grand nombre de pays producteurs et cette alliance possible avait déjà été baptisée Opep++ ou Opep+++ par certains médias. Par ailleurs, les réductions de production décidées par l’Opep+ n’entreront en vigueur qu’à partir du 1er mai.
Enfin, ce qui a été décidé est jugé par les marchés comme insuffisant pour compenser l’effondrement de la demande pétrolière mondiale. Le vendredi 18 avril, en fin de journée à Londres, le prix du Brent de la mer du Nord était de 28,40 dollars par baril, contre environ 68 dollars le baril le 6 janvier (-58%). Certes, le Brent ne dépassait pas 22-23 dollars le baril à la fin mars mais les cours ont remonté avant les décisions de l’Opep+ et ont perdu du terrain après sans, pour l’instant, retomber au creux de la fin mars.
L’attitude des marchés pourrait changer à l’avenir en fonction de l’application de l’accord de l’Opep+, des décisions qui pourraient être prises par d’autres pays producteurs, de la réduction de la production des États-Unis et de l’ampleur réelle de la chute de la demande pétrolière au second trimestre.
Le niveau de réduction décidé par les producteurs est-il suffisant pour espérer un redressement des prix du pétrole ?
L’Opep+ a décidé une réduction de production de 9,7 millions de b/j (Mb/j) en mai-juin 2020. Cette réduction passerait à 7,7 Mb/j au cours du second semestre 2020 et à 5,8 Mb/j entre janvier 2021 et fin avril 2022. Cette réduction est sans précédent dans l’histoire de l’Opep depuis 1960. Pourtant, la chute de la consommation pétrolière mondiale devrait être supérieure, voire largement supérieure, à celle de la production au cours du trimestre actuel car elle pourrait être comprise entre 12 et 23 Mb/j.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Opep+ a lancé un appel aux autres pays producteurs en leur demandant de réduire eux aussi leur production de 5 Mb/j. Si cet objectif était atteint, et rien ne permet de dire aujourd’hui que ce sera le cas, environ 15 Mb/j seraient retirés du marché. Le premier trimestre 2020 a été très dur pour le secteur pétrolier et le second sera terrible. Mais il ne faut pas uniquement regarder le premier semestre.
On peut espérer une reprise économique, et donc une hausse de la demande pétrolière, au second semestre. À ce jour, les efforts des producteurs sont insuffisants pour le second trimestre mais adéquats pour l’ensemble de l’année 2020 dans l’état des projections actuelles. Bien sûr, celles-ci seront constamment révisées dans un climat d’incertitude sans précédent.
L’Opep et ses alliés pourront-ils aller au-delà des niveaux de réduction actuels ?
Pour l’Opep+, la première priorité est de faire en sorte que les réductions de production décidées en avril soient appliquées le plus rigoureusement possible dès le mois de mai. Imaginons que le taux d’application soit de 80%, cela représenterait une réduction effective de production de 7,8 Mb/j, contre 9,7 Mb/j annoncés.
Il faut absolument viser les 100% dans la mise en œuvre de l’accord d’avril. Ce n’est pas gagné d’avance. La deuxième priorité est de poursuivre le dialogue avec des pays producteurs en dehors de l’Opep+ en vue d’obtenir que plusieurs d’entre eux apportent leur contribution au rééquilibrage du marché. Et il ne faut pas exclure des réductions encore plus fortes à court terme.
Les capacités de stockage et la production américaine constituent-elles les facteurs les plus déterminants dans la conjoncture actuelle ?
Les États-Unis sont le premier producteur mondial de pétrole et ils jouent forcément un rôle clé sur le marché mondial. Ce pays n’a pas décidé formellement de réduire sa production mais celle-ci va de toute façon baisser en 2020 du fait du niveau très bas des prix du pétrole. Les compagnies pétrolières américaines sont en train de diminuer leurs coûts et leurs investissements, ce qui a un impact sur leurs activités de forage.
Dans ses dernières projections, le département de l’Énergie des États-Unis estime que la production de pétrole brut du pays baissera de 1,2 Mb/j entre 2019 et 2021 (moyennes annuelles). Entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020, la chute serait supérieure à 1,7 Mb/j. Les évolutions des stocks pétroliers (brut et produits raffinés) sont très suivies par les marchés et exercent une forte influence sur l’évolution des cours de l’or noir.
Du fait de la surproduction massive actuelle, ces stocks augmentent, ce qui renforce les pressions baissières sur les prix. Du côté des producteurs, la seule option est de réduire l’offre pour limiter cette surproduction et, donc, ce surstockage. Au cours des quatre dernières semaines, les stocks pétroliers aux États-Unis ont augmenté de 76 millions de barils, ce qui est énorme.
À quelle perspective d’évolution de la demande et des prix de brut peut-on s’attendre pour le reste de l’année ?
La consommation pétrolière mondiale pourrait baisser de 5 à 10 Mb/j en 2020 par rapport à la moyenne 2019 qui était de 100 Mb/j. Ce sera la première baisse de la consommation mondiale depuis 2009 mais elle sera beaucoup plus importante qu’en 2009. On aurait donc une consommation mondiale comprise entre 90 et 95 Mb/j pour l’ensemble de l’année 2020, sans doute plus proche de 90 que de 95 Mb/j en l’état actuel de nos informations.
Au vu de la chute massive de la demande au cours du second trimestre, il y a un potentiel de chute des prix que l’on ne peut pas écarter complètement. Le second semestre devrait être marqué par une reprise de l’économie, une hausse de la consommation pétrolière et une remontée des prix à moins que l’on ne subisse une seconde vague de confinement en 2020, une hypothèse qu’il faut garder à l’esprit. Tout dépend en effet de l’évolution de la pandémie et des politiques des États qui s’efforcent de freiner son expansion et de la faire reculer à terme.
La crise pétrolière que nous connaissons est la conséquence d’une crise économique mondiale, elle-même découlant d’une crise sanitaire et cet enchaînement logique rend les prévisions beaucoup plus difficiles que d’habitude. Mais chaque chose en son temps. Face à de telles incertitudes, il est très difficile de voir plus loin qu’à court terme. Et le court terme, c’est le second trimestre qui est plein de périls sanitaires, économiques et pétroliers. Une large coopération entre producteurs est indispensable dans cette période cruciale. Une fois passé ce trimestre, la situation restera très difficile et très complexe mais le pire sera probablement derrière nous.