17.12.2024
« La crise pétrolière n’est pas une bonne nouvelle pour la planète ! »
Presse
18 avril 2020
Dans quelles circonstances a été signé l’accord du 12 avril 2020 ?
Il y a d’abord eu plusieurs sommets de l’OPEP et de l’OPEP , qui regroupe en plus des 13 pays du cartel pétrolier, 10 autres pays dont la Russie. Lors d’une réunion le 6 mars, Moscou a refusé les réductions de production proposées.
Cet échec a provoqué une très forte réaction saoudienne. L’Arabie saoudite a mal vécu le rejet de la Russie. Le royaume a fait savoir qu’il reprendrait sa marge de manœuvre à compter du 1er avril, puisque la Russie ne voulait plus coopérer. Riyad a donc annoncé une forte augmentation de sa production et de ses exportations de pétrole pour privilégier la défense de ses parts de marché, quitte à faire plonger les cours.
Pourquoi la Russie a-t-elle refusé de diminuer sa production début mars ?
Les compagnies pétrolières russes n’étaient pas enchantées de devoir réduire leur production. Elles l’ont fait savoir à leur gouvernement. La Russie a aussi fait valoir qu’elle avait déjà baissé sa production dans le passé. Mais surtout, Moscou a reproché aux États-Unis de continuer à augmenter la leur et donc de menacer les parts de marché russes.
La nouveauté est que les États-Unis ont joué un rôle de médiateur inédit entre Moscou et Riyad…
Donald Trump a en effet décroché son téléphone pour parler à son homologue russe Vladimir Poutine et au prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane. Il leur a fait passer le même message : la chute des prix est trop brutale, elle met en danger le marché qui est déjà fragilisé par l’impact du coronavirus.
Donc une entente, implicite en tout cas, s’est nouée entre les trois plus grands producteurs de pétrole, c’est-à-dire les États-Unis, qui occupent la première place, la Russie et Arabie saoudite. À eux trois, ils représentent entre un tiers et 40 % de la production pétrolière mondiale.
Est-ce une simple trêve ou un accord plus durable ?
C’est plus qu’un armistice. Ensuite, évidemment, comme tous les accords, beaucoup de choses dépendent de la façon dont il est appliqué et mis en œuvre. Il est encore trop tôt pour le dire car nous n’avons que quelques jours de recul et que l’accord ne commencera à s’appliquer qu’à partir du 1er mai. Mais on peut d’ores et déjà affirmer qu’il s’agit là d’un accord extraordinairement ambitieux, sans précédent depuis la fondation de l’OPEP en 1960 et de l’OPEP plus récemment.
Pourquoi ?
Cet accord est sans précédent par l’ampleur de la réduction de production annoncée en termes de volume : près de 10 millions de barils par jour (b/j). Il faut rappeler que, en 2019, la production pétrolière mondiale était de 100 millions de b/j. Donc, l’accord du 12 avril 2020 représente une réduction de 10 %. On n’a jamais vu ça.
L’accord est astucieux parce qu’il prévoit plusieurs phases. Le maximum de réduction – 9,7 millions de b/j – est programmé pour mai et juin 2020. Ensuite, au deuxième semestre 2020, les réductions sont un peu moins fortes à 7,7 millions de b/j parce qu’on fait l’hypothèse que l’économie repartira au second semestre et donc qu’elle entraînera la consommation pétrolière à la hausse. Enfin, troisième étape, à partir du 1er janvier 2021 jusqu’au 30 avril 2022, les réductions de production ne seraient plus que de 5,8 millions de b/j.
C’est la première fois que l’OPEP conclut un accord sur une période aussi longue. Normalement, les décisions de l’OPEP portent sur quelques mois jamais sur deux ans. Ce qui signifie qu’à période exceptionnelle, solution exceptionnelle.
Cet accord peut-il enrayer la chute des cours du brut ?
La crise pétrolière que nous vivons actuellement est unique. On a déjà enregistré de fortes chutes des prix, entre l’été 2014 et le début 2016, en 2008, à la fin des années 1990, ou encore en 1986. Mais ce qui est exceptionnel, c’est que cette crise est marquée par une très forte chute de la demande liée à la pandémie de coronavirus, ce qui n’était pas le cas lors des précédentes ou en tout cas, pas de cette ampleur. C’est ce qui a conduit les pays producteurs de l’OPEP à parvenir à un accord en avril alors que certains, comme la Russie, l’avait refusé en mars.
Autre inconnue : quelle sera l’ampleur de la réduction de la demande au second trimestre 2020, qui correspond au pic de la pandémie du Covid-19 et de ses impacts économiques ? 12 millions de b/j ? 15 millions ? 20 millions ?
Ce qui est sûr, c’est que la chute de la consommation mondiale de pétrole sera massive. Il faut rappeler que c’est la première depuis 2009 qui correspond à la crise financière de 2008. Depuis 2010, cette consommation n’a fait qu’augmenter, y compris en 2019.
Quels pays pétroliers seront les plus affectés ?
C’est un coup de massue absolument redoutable, potentiellement catastrophique pour certains d’entre eux, comme le Venezuela, l’Iran, l’Irak, le Nigeria, l’Angola ou encore l’Algérie.
95 % des recettes d’exportation algériennes sont tirées du pétrole et du gaz. Il faudra serrer la ceinture de plusieurs crans. Et les conséquences économiques et sociales ne seront pas les mêmes dans un pays riche comme le Qatar, en Algérie ou en Irak, sans parler de l’Iran ou du Venezuela qui sont sous sanctions américaines.
Quel est l’impact de cette crise pétrolière sur la transition énergétique ?
Entre le 6 janvier 2020 et la fin mars, le prix du pétrole a baissé de 66 % ! Et quand le pétrole est très peu cher, cela signifie que cette source d’énergie est encore plus compétitive qu’auparavant. Et donc cela ne facilite pas, bien au contraire, la transition énergétique et la montée en puissance de sources d’énergie non carbonées qu’il s’agisse des renouvelables ou du nucléaire.
Bref, une très forte baisse du prix du pétrole comme c’est le cas en ce moment n’est pas une très bonne nouvelle pour la planète. La transition énergétique est facilitée par un prix du pétrole élevé. Or, il s’est effondré.