13.12.2024
Pourquoi l’Afrique, les Afriques seraient-elles systématiquement en situation d’incapacité face à ses crises ?
Tribune
14 avril 2020
Dans le contexte du COVID-19, un avenir sombre sur les plans sanitaire, économique, politique, humanitaire est envisagé pour le continent africain. Ce scénario a enclenché des projets de création de fonds d’urgence. Si ce soutien est apprécié, l’absence de visibilité des acteurs africains, ou de leur expression, dans les médias occidentaux, crée les conditions d’un malaise.
Les vulnérabilités de certains écosystèmes déjà fragilisés et la baisse des prévisions de croissance du continent de près de deux points (1,8 % contre 3,8 % initialement prévu)[1] risquent de mettre certains pays à rude épreuve dans le contexte du COVID-19. Les scénarios les plus sombres circulent. Antonio Guterres, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, au cours d’une allocution télévisée sur des chaînes françaises, avec pour objectif sous-jacent d’alerter la communauté internationale et de débloquer un fonds d’urgence de 3 000 milliards de dollars, a avancé que le continent dénombrerait « nécessairement des millions de morts »[2] et pourrait devenir le foyer d’une seconde vague de contaminations. De nombreux Africains se sont sentis offusqués par les ressorts de cette communication, utilisant la peur pour provoquer des réactions. En quelques minutes, toutes les images négatives d’un continent à la traîne, tendant la sébile, « The horror! The horror! » de Joseph Conrad, ont été à nouveau convoquées, ignorant toute complexité ou l’existence même de l’engagement de nombreux acteurs africains dans cette lutte : États, citoyens, médecins, entreprises, qui, dans de nombreux cas, démontrent leurs capacités de résilience et de créativité (production locale de solutions hydroalcooliques ou phase de tests de dépistage par les scientifiques de l’Université de Makerere, en Ouganda, par exemple).
Le 1er avril, une note du CAPS (Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français) intitulée « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique », supposément confidentielle, dans un contexte déjà peu favorable aux Français, particulièrement en Afrique de l’Ouest, est publiée dans le journal La Tribune, sous le titre « Comment la France imagine une possible implosion de l’Afrique face au COVID-19 ». Cette note a diversement été appréciée. Sur les réseaux sociaux, beaucoup ont témoigné de leur exaspération à l’égard d’une France paternaliste, prédisant tout à la fois un avenir catastrophiste et avançant des voies de solution sans qu’a priori, ni les intellectuels, ni les think tanks ou centres de prospectives africains, n’aient été consultés. Ce n’est là qu’une supposition puisque le cadre méthodologique de cette note n’est pas connu. Certains intellectuels ont en revanche été moins critiques. Le professeur Achille Mbembe, par exemple, appelant à la retenue, a souligné dans un post Facebook « cette note est un des nombreux éléments versés dans le dossier de préparation des décisions, là où il faut en prendre. Pas d’hystérie, donc ! ». Peut-être convient-il également de rappeler que la prospective, notamment lorsqu’il s’agit de considérer un scénario pessimiste, n’est pas du ressort de la futurologie – même si, sur le fond, l’expérience historique montre que certains éléments sont en effet réunis pour enclencher un processus d’effondrement de certains États classés comme « fragiles » – mais de l’anticipation, de la volonté de créer un sursaut.
Sur un plan tout à fait différent, une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux rapporte les propos de deux professeurs de médecine français tenus sur LCI, chaîne française de télévision en continu. L’un avance, en souhaitant « être provocateur [sic]», que des vaccins-tests contre le COVID-19 soient envisagés sur des populations africaines qui n’ont « pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation », comme c’est parfois le cas sur des prostituées concernant certaines études sur le VIH. Il n’en fallait pas moins pour susciter un tollé, convoquant racisme et arrogance française, laissant désormais place davantage à la défiance qu’à la méfiance : d’une Afrique une fois encore insultée. La fois de trop ?
Ces différentes séquences ont donné le sentiment aux Africains qu’ils étaient privés de la parole, de leur parole, de leurs analyses, et qu’elles ne donnaient pas à voir les dynamiques enclenchées, que les réussites soient en fin de compte au rendez-vous ou non, comme c’est le cas dans toutes autres parties du globe. Pourquoi l’Afrique, les Afriques seraient-elles systématiquement en situation d’incapacité face à ses crises ?
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[1] Interview de la sous-directrice du Bureau Afrique du PNUD sur l’impact économique et social du COVID-19 et des mesures urgentes à prendre, le 5 avril 2020.
[2] Interview d’Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, le 27 mars 2020.