ANALYSES

La vision africaine de l’économie bleue

Tribune
7 avril 2020
Par Dr Patrick Ferras, Président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’, et Jessica Ekon, diplômée d’IRIS Sup’ en Défense, sécurité et gestion de crise


Un an après le sommet de l’économie bleue au Kenya en novembre 2018, l’Union africaine vient de diffuser sa stratégie dans ce domaine complexe et large. Ce texte vient enrichir la réflexion africaine sur l’exploitation des ressources maritimes d’un État jusqu’à l’utilisation des mers et des océans pour le transport maritime international[1]. Plusieurs autres documents ont posé les bases de la réflexion. Ils ont tous comme cadre de référence la vision 2063[2] de l’Union africaine. Cette vision n’est pas un retour aux États-Unis d’Afrique de Nkrumah ou Nyerere. C’est l’affirmation d’une « Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens, et représentant une force dynamique sur la scène mondiale ». Un des buts principaux est de développer l’économie bleue et celle des océans pour accélérer la croissance économique. Plusieurs domaines prioritaires ont été définis : les ressources maritimes et l’énergie, les transports maritimes, les opérations portuaires, la gestion durable des ressources naturelles et la conservation de la biodiversité.

Parmi les nombreux documents de l’Union africaine, deux retiennent notre attention. La Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans (Stratégie AIM 2050 de 2014) a pour vision générale de « favoriser la création d’une plus grande richesse des océans et des mers d’Afrique en développant une économie bleue florissante, durable, sécurisée et respectueuse de l’environnement[3] ». Le partage de l’information, la communication, la collaboration, la coopération et le renforcement des capacités restent la philosophie fondamentale, avec l’objectif général de réaliser un développement et une intégration accrue du continent[4]. La Charte de Lomé (2016) a pour objectifs principaux de prévenir et réprimer la criminalité nationale et internationale, protéger l’environnement en général et l’environnement marin dans l’espace des États côtiers et insulaires, promouvoir une économie maritime, l‘économie bleue/marine, florissante et durable[5]. En appui de ces textes, l’analyse de la Stratégie de l’économie bleue de l’Afrique parue fin 2019 nous paraît importante.

Pour les dirigeants africains, cette économie bleue est synonyme de préservation des ressources naturelles, respect de l’environnement et croissance durable bénéfique pour tous. Portée par cette dynamique favorable, l’Union africaine, pose dans cette stratégie, les bases nécessaires pour une transition vers une économie maritime, sûre, prospère, durable et intégrée, en conformité avec l’objectif 14[6] du développement durable. Il s’agit d’inciter l’ensemble des États à mieux prendre en compte les nouveaux enjeux dans le cadre de la (re)formulation de leurs stratégies nationales et régionales.

Avec ses 38 États côtiers, le continent africain dispose d’innombrables atouts pour tirer profit de l’économie bleue. Mais de nombreux obstacles environnementaux, institutionnels, économiques, sécuritaires restent à franchir pour réaliser cet objectif ambitieux. La mauvaise gouvernance, le changement climatique, la pêche illégale, la piraterie, les trafics de stupéfiants freinent le développement d’une économie bleue pérenne. Face à l’accroissement de la pression démographique, de la prévention de l’insécurité alimentaire et de la satisfaction de la demande énergétique, l’économie bleue revêt une dimension stratégique.

La stratégie de l’économie bleue de l’Afrique se décline autour des cinq thématiques suivantes[7] :

  • Pêche, aquaculture, et conservation des écosystèmes ;

  • Navigation maritime, transport et commerce ;

  • Énergie durable, extraction de minéraux, gaz, industries innovantes ;

  • Durabilité de l’environnement, changement climatique, et infrastructures côtières ;

  • Gouvernance, institutions et actions sociales.


Elle repose sur le développement du tourisme continental, l’exploitation minière des fonds marins, du carbone bleu reconnu pour limiter les effets du changement climatique et protéger les écosystèmes côtiers, marins et d’eau douce, sans oublier l’approfondissement des connaissances en matière de biotechnologies marines et aquatiques. Les objectifs stratégiques sont principalement le développement d’une offre de transport de cargaison compétitive, la modernisation des infrastructures portuaires, ainsi que la coordination de la sûreté[8].

La stratégie de l’économie bleue de l’Afrique est un projet fédérateur autour de l’exploitation des potentiels de l’économie bleue, la coopération maritime, et le développement durable. Si la question de l’économie bleue est abordée dans plusieurs documents officiels, il s’agit du premier cadre stratégique de référence qui lui est spécifiquement dédié à l’échelle continentale. Le document a le mérite de placer la réalisation de l’économie bleue à l’ordre du jour. Si elle a pour objectif d’exhorter les États à accélérer la concrétisation de l’économie bleue à l’échelle nationale et régionale, sa valeur demeure symbolique. L’absence de suivi d’étapes, d’engagements contraignants laisse les États libres d’imposer leur rythme de croisière jusqu’au lointain horizon de 2063. Le texte est très ambitieux, mais risque de manquer de résultats concrets et mesurables à court et à moyen terme d’autant qu’ils devront s’appuyer très probablement sur un financement des partenaires extérieurs.

L’avenir nous dira si la présente stratégie aura permis d’insuffler une dynamique durable sur la thématique de l’économie bleue, car elle demeure fondamentale dans le recentrage de l’Union africaine sur des priorités essentielles.

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[1] Il représente 90% du commerce mondial.

[2] Elle a été publiée en 2015 par Madame Nkosazana Dlaminin Zuma, l’ancienne présidente de la Commission de l’Union africaine et représente ce qu’entend réaliser le continent sur une période de 50 ans allant de 2013 à 2063.

[3] La Stratégie maritime intégrée pour l’Afrique, 2014, p. 12.

[4] Ibid. p. 13.

[5] Article 3 de la Charte de Lomé.

[6]L’objectif 14 concerne la conservation et l’exploitation durable des océans, mers et ressources marines

[7] Stratégie de l’économie bleue de l’Afrique, Union africaine, 2019, p. 11.

[8] Stratégie de l’économie bleue de l’Afrique, Union africaine, 2019, pp. 22-23 et 29-32.
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