06.11.2024
Nigéria : un pays à l’épreuve du Covid-19 et de la désorganisation des échanges agroalimentaires
Presse
3 avril 2020
Deux-tiers de la population sous le seuil de pauvreté. D’abord le contexte. Un Africain sur six vit au Nigeria. Avec 210 millions d’habitants, c’est le pays le plus peuplé du continent. Il y a deux fois plus d’individus à nourrir aujourd’hui qu’à la fin des années 1990. Les taux de natalité actuels projettent à plus de 400 millions le poids démographique du Nigeria à l’horizon 2050, ce qui le classerait au troisième rang des pays du monde les plus peuplés. 60 % des Nigérians ont moins de 25 ans. Deux-tiers de la population se situe en dessous du seuil de pauvreté.
Si la capitale se situe au centre du pays, à Abuja, depuis 1991, le véritable centre névralgique se trouve sur le littoral du golfe de Guinée. Lagos, c’est à la fois le quart du PIB du Nigeria et la cinquième plus grande mégalopole de la planète, avec 23 millions d’habitants, là où ils n’étaient à peine qu’un petit million en 1970… Alors que le pétrole est la ressource phare de ce géant africain, soutenant son développement, sa croissance et son lot de corruptions, il faut préciser que le foncier constitue une autre richesse de ce pays. Les terres agricoles, qui couvrent plus de 70 % de la superficie nationale, sont évaluées à 70 millions d’hectares. Seule l’Afrique du Sud fait mieux sur le continent. Cet espace foncier est très convoité car 40 % des terres ne sont pas encore exploitées.
La quête quotidienne de l’eau. En outre, l’eau n’y est pas répartie équitablement et fait également l’objet d’une quête quotidienne. Au Nigeria, les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont légion. Ils sont moins connus que ceux qui opposent musulmans et chrétiens, notamment avec l’irruption ces dernières années de Boko Haram. Ce groupe islamiste radicalisé contrôle le Nord-Est du territoire. Les populations y sont victimes de violences multiples : près de 30 000 morts et 2 millions de déplacés en raison des attaques de cette secte depuis 10 ans. En outre, plus de 5 millions d’individus sont en situation de détresse alimentaire absolue dans ces confins septentrionaux du pays.
Le Nigeria n’est pas épargné par les problèmes sanitaires. Si ses moyens sanitaires sont faibles, il dispose d’expériences récentes avec Ebola. Surtout, le pays fait déjà face à la fièvre de Lassa. Cette épidémie meurtrière revient régulièrement en Afrique de l’Ouest et de manière sans cesse plus agressive avec près de 300 000 personnes malades chaque année, selon l’OMS . La transmission se fait par contact direct avec du sang, des urines, des selles ou d’autres liquides biologiques d’un malade, mais aussi par les excrétions de rongeurs. Or, les rats pullulent dans le pays, à commencer dans les quartiers informels et les bidonvilles de Lagos. Les autorités ont invité la population à ne plus manger certains aliments, comme le gari, une farine de manioc qui peut régulièrement être attaquée par les rongeurs… Autant dire que le Covid-19 ajoute une difficulté à une situation déjà bien complexe.
Le 28 février, le premier cas du continent africain est enregistré au Nigeria. Le 23 mars, les écoles ferment et les rassemblements religieux sont limités à 50 personnes. Le 29 mars, le Président Muhummadu Buhari décrète un confinement total pour Abuja et Lagos. Lui-même est sous surveillance, tant le nombre de personnes proches du pouvoir et dans le gouvernement sont en quarantaine et présentent des symptômes.
La nourriture, un achat au jour le jour. Dans la capitale comme dans la mégalopole de Lagos, l’armée patrouille mais peine à faire respecter la distanciation sociale devant tant de densité humaine. Les magasins alimentaires restent ouverts, comme dans tous les autres pays du monde. Mais comment respecter le confinement alors que le repas du jour dépend pour beaucoup du travail de la veille, que les achats de nourriture se font sur des marchés populaires et qu’il n’est jamais possible de faire des stocks pour la très grande majorité de la population, faute d’argent mobilisable et de place à domicile ? Ne pas pouvoir sortir, travailler et donc ne plus avoir de revenus, va appauvrir beaucoup de personnes. Le manque de nourriture fera autant de victimes supplémentaires à celles du virus.
Dans le pays de Jumia, leader africain du e-commerce, peut-on espérer une réponse du côté des solutions technologiques pour garantir la logistique alimentaire ? Doit-on y voir un signe avec l’aide actuellement apportée par Alibaba, conglomérat chinois du numérique dont le fondateur Jack Ma ne cache plus son intérêt pour l’Afrique et le Nigeria ? Quid, demain, de la situation dans les zones rurales du Nigeria, où les services de santé manquent le plus souvent et où l’on aura encore plus tendance à combattre le Covid par la foi et des cérémonies religieuses collectives ? Comment confiner ces territoires et notamment ceux du Nord, alors que le terrorisme y prédomine et que le pouvoir du gouvernement y est nul ? L’apport de médicaments et d’aliments sera probablement le meilleur moyen pour Boko Haram de poursuivre ses opérations d’allégeance territoriale et d’emprise mentale sur les communautés vulnérables. La criminalisation de la sécurité sanitaire et alimentaire prospère toujours dans de telles conditions géopolitiques de guerre. La pandémie du Covid-19 accentuera la tendance.
Manque de blé. Enfin, un mot sur les relations extérieures du Nigeria. Lagos est aussi le premier port africain. Les flux perdurent pour le moment. Il faut dire que le pays en a besoin, notamment pour exporter son or noir, d’autant que l’effondrement du prix du pétrole depuis quelques semaines accable déjà l’économie nationale et met au défi la solvabilité du Nigeria dans les prochains mois. Sur le plan des échanges agricoles, le pays se doit également de préserver le commerce. Ses productions horticoles, ses épices, son thé et surtout son cacao permettent au Nigeria de vendre en moyenne annuelle pour 1,5 à 2 milliards de dollars sur les marchés internationaux. Mais sa balance alimentaire est déficitaire. Le pays importe pour 4 à 6 milliards de dollars en moyenne par an. Russie, Brésil et États-Unis constituent les principaux fournisseurs. Produits de la mer, produits laitiers, sucre mais surtout céréales sont achetés en masse. 40 % de la facture alimentaire totale est ainsi constituée de blé. 5 millions de tonnes qu’il faut faire venir de l’extérieur tous les ans, pour satisfaire aux besoins nationaux, car la seule production locale ne couvre que 5 % de la consommation nigériane.
Le pays est devenu l’un des plus gros importateurs de blé de la planète. Il a en revanche fait le choix de doper la riziculture, passée de 2,4 à 4,8 millions de tonnes en dix ans, faisant ainsi du Nigeria le plus gros producteur africain. Les autorités rêvent d’autosuffisance sur cette autre céréale prisée de la population. Cela s’inscrit d’ailleurs dans une politique plus globale visant à développer l’agriculture et l’agro-industrie dans le pays, secteur qui emploie la moitié de la population active. Mais tout est relatif encore à ce stade entre le déclamatoire et les faits, comme l’illustre le riz : un tiers de sa consommation est issu des importations, soit 2 millions de tonnes par an.
Poudrière. Le Nigeria se préoccupe donc des mesures de restriction à l’export prise dernièrement par le Vietnam et le Cambodge. Comme beaucoup de nations, le Nigeria est confronté à cette périlleuse équation : produire beaucoup plus sur son territoire, avec les contraintes que l’on connaît, mais continuer à pouvoir s’approvisionner sur les marchés mondiaux pour construire l’intégralité de sa sécurité alimentaire. Si les chocs commerciaux internationaux s’accumulent, entre pétrole à bas coût et déraillement des chaînes agricoles, que la pandémie du Covid-19 se diffuse largement dans le pays et que le confinement de 200 millions d’habitants ne soit pas réalisable dans les faits, le Nigeria pourrait devoir affronter une série de problématiques stratégiques. Un pays d’avenir certes incontournable, une poudrière aujourd’hui inflammable.