Coronavirus : ces cadavres dans le placard qui gênent la Chine dans son offensive de charme
Face à l’attitude américaine la Chine tente de se montrer sous un jour plus solidaire avec les pays fortement touchés par l’épidémie proposant notamment beaucoup d’aide à la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Cette « politique de séduction » peut-elle permettre un rapprochement plus profond entre Pékin et l’Union Européenne ?
Emmanuel Lincot : Le régime autoritaire de Pékin a su en très peu de temps masquer ses carences, faire oublier ses mensonges, truquer la vérité en tentant de faire accroire que le Covid-19 n’était pas d’origine chinoise (pour conjurer les demandes de réparations sans doute…). Son énorme machine de propagande est à l’œuvre et nous nous retrouvons pris au piège d’un régime coupable de ne pas avoir pris les mesures sanitaires suffisantes à temps et qui désormais, sous couvert d’une politique humanitaire, généreuse et prétendument désintéressée, réussit le plus extraordinaire enfumage de l’histoire : exporter un virus et faire payer à la France notamment l’achat de millions de masques fabriqués à Shenzhen. Outre la monstruosité d’un tel procédé que nous ne devons pas laisser impuni en exigeant du gouvernement chinois des réparations pour la mort économique de nos sociétés et la disparition bientôt de dizaine de milliers de nos concitoyens, nous devons dénoncer les agissements de la Chine à exporter vers l’Espagne, entre autres exemples, un matériel défectueux. Ne soyons pas dupes: Pékin va continuer à nous diviser et détourner les plus fragiles de nos voisins de Bruxelles. « L’opposé coopère » écrivait Héraclite… : puisse cette crise sans précédent se traduire par une totale remise à plat de nos choix à la fois en matière de politique étrangère et économique et revenir à des équilibres plus sains.
Bathélémy Courmont : Il y a deux réponses à cette question. D’une part, la Chine a besoin d’une reprise très rapide de l’activité économique mondiale. Elle est aujourd’hui le principal acteur de la mondialisation, première puissance exportatrice notamment, et elle est donc le pays le plus dépendant de la mondialisation des échanges. Cette reprise est indispensable pour Pékin. C’est aussi une nécessité politique. Le régime chinois puise sa légitimité dans la croissance économique et sociale, et tout ralentissement de l’économie soulève potentiellement le risque d’une crise de légitimité, sorte de rupture du mandat céleste, pour reprendre une terminologie propre à la Chine impériale. Dès lors, la Chine va redoubler d’efforts pour que la crise sanitaire soit la moins longue, et donc la moins douloureuse possible, et cela passe par une assistance apportée aux pays les plus affectés. On parle souvent des aides à des pays comme l’Italie ou la France, mais Pékin se tourne aussi vers les pays africains ou vers l’Asie du Sud-est, car ce sont des partenaires essentiels pour la croissance chinoise.
D’autre part, la Chine s’est engagée depuis près de deux décennies dans une immense opération séduction dont l’objectif est de renforcer son image et d’accroître sa capacité d’influence. En déployant une stratégie de soft power reposant tant sur ses caractéristiques culturelles que des moyens financiers exceptionnels, la Chine parvient à soigner son image. Cette image a été écornée avec la crise du coronavirus et ses origines à Wuhan. Aussi il est désormais indispensable pour Pékin, afin de tourner la page, de se mettre au chevet des pays qui en ont besoin. Enfin, en procédant de la sorte à un moment où les Etats-Unis s’isolent un peu plus, la Chine cherche à renforcer une bataille planétaire pour l’influence, et cherche ainsi à capitaliser sur ses moyens.
Il ne faut évidemment pas négliger la solidarité chinoise, qui est notamment une réponse à la solidarité dont la Chine a bénéficié quand elle en avait particulièrement besoin. Mais aux côtés de cette solidarité, l’opportunité ne saurait non plus être sous-estimée. Attention cependant côté chinois à ne pas confondre réactivité et précipitation. On relève en effet que les stocks de tests envoyés à plusieurs pays européens s’avèrent défectueux. Si de tels problèmes sont persistent, c’est l’image de la Chine qui pourrait en être affectée. Dans cette bataille d’influence, il n’y a pas de place pour l’improvisation.
Une fois le gros de la crise sanitaire derrière nous, et malgré la responsabilité de Pékin dans la propagation de l’épidémie, ce rapprochement peut-il perdurer ? En d’autres termes, l’épidémie va-t-elle marquer un tournant dans la relation entre les Etats-Unis et l’Europe, un tournant qui annoncerait un rapprochement entre l’UE et Pékin ?
Emmanuel Lincot : Pékin n’est pas à l’abri d’un « China bashing » qui, de Los Angeles à Bruxelles, pourrait réveiller l’ensemble de l’Occident. Paradoxalement, Donald Trump va être réélu parce que les Américains ont la faiblesse de croire que la souffrance est source de rédemption et que sa politique dure à l’encontre de la Chine était de toute façon la meilleure. N’oublions jamais non plus que la nation américaine des pères fondateurs s’est construite contre l’Europe. C’est aussi un pays d’immigrés qui pour les premières générations ayant quitté l’Europe avaient le vieux continent en détestation. Donald Trump, Allemand d’origine, représente encore tout cela pour beaucoup d’Américains. Que l’Europe sombre, c’est son problème, pour répondre abruptement à votre question, et non celui des Américains. Bref, il n’y aura pas de corridor humanitaire entre les Etats-Unis et l’Europe. Et que la Chine espère en tirer bénéfice, c’est évident tout comme les Européens pourront difficilement renoncer à la politique de charme que lui avanceront les Chinois. Ils y répondront en ordre dispersé tandis que les opinions exigeront de leurs dirigeants un retour à la nation.
Bathélémy Courmont : D’une certaine manière, la crise actuelle ne fait qu’accentuer une dérive entre l’Europe et les Etats-Unis qui est ancienne, mais s’est renforcée après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et les guerres commerciales qu’il a engagées avec Pékin mais affectent dans le même temps la relation transatlantique. Il suffit de relire les articles de Paul Krugman dans le New York Times pour constater l’inquiétude que cette attitude soulève dans les milieux intellectuels américains. Au-delà des effets négatifs de l’administration Trump dans la relation de confiance entre l’Europe et les Etats-Unis, il convient de s’interroger sur le sens à donner à la relation transatlantique de nos jours. S’agit-il d’une communauté de défense, incarnée par l’OTAN? Mais pour faire face à quelle menace, à quel ennemi? S’agit-il d’un groupe de pays occidentaux, ce qui est culturellement et politiquement contraire aux valeurs véhiculées par la plupart des Etats qui en font partie? S’agit-il d’un partenariat fondé sur l’habitude, pour ne pas dire les traditions, mais qui ne signifie plus grand chose quand les valeurs portées par lesdits partenaires semblent désormais diverger? Dans ses articles très critiques des guerres commerciales de Trump, Krugman met en avant le risque de voir l’Europe se détourner des Etats-Unis et aller vers de nouveaux partenaires, la Chine en tête. Mais n’est-ce pas déjà le cas dans les faits? Oui et non. D’une part, le lien transatlantique reste fort, et survivra à la présidence Trump – celle-ci pouvant prendre fin dès janvier prochain, rappelons-le. L’Europe n’est donc pas en train de basculer d’un « grand frère » vers un autre, et se montre par ailleurs lucide mais méfiante vis-à-vis de la Chine. A l’inverse, il est indiscutable que les intérêts européens et chinois connaissent actuellement une convergence. Mise en avant de la multipolarité, enjeux globaux comme le réchauffement climatique, ou encore défense du libre-échange… La liste est longue, là où les relations avec Washington sur ces différents sujets sont devenues très tendues. En bref, l’Europe n’a pas vocation à s’aligner sur une grande puissance, mais à trouver sa place en restant fidèle à ses valeurs. Et si elle doit pour les appuyer trouver des partenaires en Washington ou Pékin, selon les circonstances, elle ne doit pas s’en priver. Mais clairement, le fait que les pays européens puissent désormais se tourner vers les Etats-Unis ou la Chine est un immense revers pour Washington, un signe de déclin, relatif mais réel.
Les Etats-Unis sont accaparés par l’épidémie de coronavirus dont la propagation s’est accélérée ces derniers jours sur leur territoire. Se faisant, ils semblent de plus en plus réfractaires à collaborer avec d’autres Etats en vue de luter de lutter contre le virus. En ce sens, l’épidémie de coronavirus ne marque-t-elle un nouveau tournant dans la politique isolationniste des Etats-Unis ?
Emmanuel Lincot : Cette crise montre surtout la nullité de l’administration américaine à comprendre le danger qui, depuis des semaines déjà, se profilait. Conséquences : en moins de cinq jours, on est passé d’une société de plein emploi à trois millions de chômeurs. Le plan de relance de plus de 2000 milliards de dollars ne suffira guère à amortir le choc dans une société extrêmement vulnérable, avec un système de santé encore plus défaillant que le nôtre, et où le welfare State s’est en grande partie désengagé. Ce à quoi nous assistons est un « courage fuyons généralisé » et les déclarations surréalistes d’un Donald Trump espérant que les Américains se retrouveront bientôt dans les églises pour célébrer Pâques prêtent cyniquement à sourire surtout à Pékin qui profite de ce désarroi abyssal pour multiplier, depuis ces derniers jours, les provocations dans le sud de la mer de Chine ou à l’encontre de Taïwan.
Bathélémy Courmont : Elle ne fait que confirmer la politique extérieure de Donald Trump, qui s’est évertué depuis son arrivée au pouvoir à ériger des murs autour de son pays. Il aurait été surprenant, presque impensable, qu’il opte pour une coopération internationale accrue. L’isolationnisme américain ne doit plus être vu comme un mythe ou un repoussoir, c’est une réalité que de multiples initiatives unilatérales, le retrait de grandes institutions ou traités, ou encore une préférence nationale martelée n’ont fait que renforcer. La décision de Trump d’interdire aux Européens d’entrer en territoire américain semble loin désormais, tant les développements de la crise du coronavirus furent nombreux depuis, et tant l’immense majorité des pays a adopté des mesures semblables. Mais elle s’est accompagnée dans le cas américain de l’identification d’un virus « étranger », d’une Europe qualifiée de « nouvelle Chine », et donc devenue indésirable, et d’une absence manifeste de considération pour le développement de la pandémie ailleurs que sur le sol américain – comparer les discours du président américain avec ceux des dirigeants d’autres grandes puissances est à ce titre édifiant. Au-delà du fait que la crise a été très mal gérée et que les Etats-Unis sont désormais le principal foyer de l’épidémie, cette attitude a un peu plus creusé un fossé entre Washington et le reste du monde, y-compris ses amis et partenaires de longue date. En terme d’image, c’est une catastrophe dont les effets seront durables, et il faudra un autre locataire de la Maison-Blanche que Donald Trump pour recoller les morceaux. Cette crise sera aussi politique, comme en témoigne le bras-de-fer dans lequel plusieurs gouverneurs se sont déjà engagés avec l’Administration et un système fédéral qui montre ses limites. Mais pour l’heure, les Etats-Unis s’enlisent dans une gestion unilatérale de la plus grave crise sanitaire que ce pays ait connu, et ce sont les Américains qui sont le plus à plaindre.