21.11.2024
La nausée
Correspondances new-yorkaises
31 mars 2020
New York City, vendredi 27 mars. Voici près d’une semaine que le gouverneur de l’État, Andrew Cuomo, a poliment demandé à ses administrés de rester confinés chez eux. Pas ordonné, demandé.
Rien d’illégal donc à se promener en couple, voire en famille, à se réunir au parc, jouer au basket, etc. Le maire de New York, Bill de Blasio, vient même d’annoncer, en ce magnifique vendredi printanier, que plusieurs avenues de la ville seraient interdites à la circulation, afin de permettre aux citadins de se dégourdir les jambes tout en ayant la possibilité, vu l’espace disponible, de respecter la distanciation sociale recommandée. Really ? … Avec tout ça, c’est sûr, la population va suivre les recommandations de confinement !
Après avoir lu la presse française de ces derniers jours, je me demande où les correspondants des grands quotidiens voient une ville fantôme. Soit ils sont rentrés en France, et « correspondent » de là, soit, cachés sous leurs couettes, ils se basent sur les images des quartiers de bureaux et des sites touristiques, eux bien évidemment vides, qui tournent en boucle sur les chaînes d’info en continu.
Non, the City that never sleeps ne s’est pas transformée en royaume de la Belle au bois dormant. Loin de là.
En ce glorieux vendredi 27 mars, les parcs sont donc pleins, les enfants jouent dans les rues, et rien qu’en face de chez moi, je peux voir un groupe de joyeux sexagénaires bedonnants assis autour d’une table oubliée sur la terrasse du resto grec qui a dû fermer. À quelques mètres d’eux, trois types admirent une Harley rutilante au soleil, tandis qu’un peu plus loin des ouvriers travaillent sur le chantier d’un immeuble résidentiel en construction.
Car oui, les irresponsables qui régissent notre État et notre belle ville, n’ont pas encore jugé opportun à cette date de décréter l’arrêt de tous les chantiers privés ! Il serait trop triste de ralentir l’édification à Times Square du nouveau Hard Rock Hotel ! Trop cruel de priver les ouvriers, qui ont l’obligation de se rendre sur le site, des frissons liés aux risques de contamination du Covid-19 ! Allons ! Ne soyons pas cheap ! Qu’est-ce que pèsent la santé et la vie de quelques blues collars et de leurs familles, en comparaison de la nécessité d’ouvrir au plus tôt un temple de la culture tel que le Hard Rock Hotel !
New York City, vendredi 27 mars. J’ai aujourd’hui 50 ans et j’ai la nausée.
Il aura fallu le weekend à Andrew Cuomo et Bill de Blasio pour accorder, un tant soit peu, leurs violons. Il leur aura fallu attendre que les États-Unis, avec lundi 156 391 cas confirmés, soit quasi devenus le nouvel épicentre mondial du virus, et New York, avec 66 500 cas et près de 1200 décès, l’épicentre de l’épicentre, pour réaliser qu’il fallait décréter l’arrêt des chantiers de constructions, et commencer à se dire qu’il pourrait être opportun de rendre les mesures de confinement plus strictes et de verbaliser ceux qui ne les respecteraient pas au risque de perdre quelques électeurs.
Quant à Donald Trump, avec grandiloquence, il annonçait samedi soir qu’il allait sans doute placer l’État de New York en quarantaine, avant de se rétracter quelques heures plus tard disant qu’en fait l’idée n’était pas si bonne et que d’ailleurs elle n’était pas de lui. L’athée que je suis regrette de n’avoir aucun dieu à prier pour qu’il nous protège des imbéciles qui nous gouvernent.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son prochain ouvrage, « Pauvre John ! Le cauchemar américain », sortira courant 2020 chez Max Milo.