ANALYSES

Le coronavirus et « les effets de la guerre sans la guerre »

Presse
28 mars 2020
Interview de Pascal Boniface - Sud Ouest
Voyez-vous un précédent à la crise virale que nous vivons ?

Non. Bien sûr, le choc du 11-Septembre a été énorme mais n’a frappé qu’un pays et ses effets matériels n’ont pas duré très longtemps. Avec le
coronavirus, le nombre de pays touchés et l’intensité dramatique sont plus grands. On pense aussi à la crise financière de 2007 dont les conséquences économiques semblent comparables mais ce qui inédit, c’est de voir le monde à l’arrêt : 80 % du PIB mondial est en suspens, comme si on avait les effets de la guerre sans la guerre.

La géopolitique, ce sont aussi les épidémies ?

Oui, bien sûr, car elles n’ont pas de frontières. Et l’on voit que la tentation des pays à se refermer sur eux-mêmes est une impasse. Limiter
l’ampleur de la crise passe par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui fait un travail efficace. Il est de bon ton de critiquer les organisations internationales mais on ne voit pas en quoi le monde irait mieux sans elles.

Moteur de croissance mondiale, la Chine est-elle aussi celui des épidémies ? 

Le Sras aussi était parti de Chine mais on a vu avec Ebola que les virus peuvent venir d’ailleurs. Reste que ce pays, avec la promiscuité hommes/animaux qui y règne et la circulation intérieure de millions de sans-papiers, est propice aux épidémies. En 2003, certains disaient que le Sras allait stopper la marche en avant de la Chine et monter la fragilité de son système. Mais Pékin a surmonté l’épreuve. Et il devrait en aller de même aujourd’hui.

Y avait-il avant l’irruption du virus en Occident la tentation d’y voir un moyen de ralentir la Chine ?

Je le crois. Certains ont cédé à la méthode Coué et s’il y a des reproches à faire au régime chinois, les critiques sont contredites par la
réalité du terrain. Non, la Chine n’a pas perdu avec le coronavirus son pari de rattraper les États-Unis. D’une part parce que le pays est en train de repartir de l’avant. D’autre part parce qu’une panne chinoise impacte les économies du Japon, des États-Unis ou de l’Europe : elle est aussitôt une panne mondiale.

Des démocraties asiatiques (Corée du Sud, Taïwan) ont endigué l’épidémie sans recourir au confinement à la chinoise. Comment l’expliquer ?

Ce qui me paraît plus décisif est l’autodiscipline et la solidarité qui caractérisent ces pays. Le sens collectif et celui du long terme y sont plus développés que chez nous et dans ces sociétés plus unies, il est plus facile de trouver un consensus. Il n’est pas forcément pertinent d’opposer dictature et démocraties : un pays comme Singapour ressemble à la Chine dans sa façon de limiter les libertés. Et qui aurait dit il y a quelques mois que les Français accepteraient de telles restrictions à leurs libertés : on voit que l’ampleur de l’imprévisibilité fait que l’on accepte des choses jusque-là inenvisageables.

Le virus n’a pas mis sous l’éteignoir la rivalité sino-américaine. Cela vous étonne ?

Non car un régime en difficulté a souvent besoin d’un bouc émissaire. Un ministre chinois a jugé bon d’accuser les Américains d’avoir introduit le virus en Chine. Et Donald Trump parle du « virus chinois ». Le président américain a réagi de la même façon en fermant les frontières de son pays aux Européens sans aucun préavis.

Cette crise rebat-elle les cartes pour la présidentielle américaine ?

C’est possible. Côté démocrate, Bernie Sanders a l’avantage de prôner un système universel de santé mais l’interruption de tous les meetings le pénalise davantage. Et outre le fait que l’establishment démocrate fait campagne pour Joe Biden, ce dernier peut se prévaloir de « l’Obamacare » (protection santé pour tous) qu’il soutenait quand il était vice-président. Ce sera un argument contre Trump.

Donald Trump est en danger ?

Son agressivité le montre. Jusqu’ici, il surfait sur la santé économique du pays retrouvée depuis 2010 et dont il a bénéficié en l’amplifiant. Il pouvait aller aux élections en s’en prévalant pour gagner un second mandat. Mais si la Bourse et le pétrole de schiste texan s’effondrent et que le chômage repart, les Américains le sanctionneront même s’il n’en est pas directement responsable. D’autant qu’on peut lui reprocher d’avoir eu un sérieux retard à l’allumage dans la lutte contre le coronavirus.

L’Europe est à l’arrêt. Est-ce le prélude à un nouveau déclin ? 

C’est trop tôt pour le dire. L’Union européenne, qui s’est dotée d’une Commission qui s’est proclamée « géopolitique », affronte un
énorme défi. Elle a décidé de répondre en essayant de s’abstraire de ses règles budgétaires trop contraignantes. Va t-elle pouvoir vaincre la tendance de ses États membres à se recroqueviller et à décider sans se concerter avec les voisins ? Certes, la santé n’est pas vraiment une compétence de
l’UE mais c’est sur sa capacité à minimiser la crise économique qu’elle sera jugée. Pour cette Commission la plus solide depuis le traité de Lisbonne de 2007, l’épreuve du feu arrive plus tôt qu’elle ne le pensait.

Êtes-vous inquiet pour le continent africain ? 

Qui ne le serait pas ? Ebola n’avait frappé que quelques pays mais l’épidémie avait été redoutable. Et dans beaucoup d’États africains, les systèmes de santé ont souffert des politiques d’ajustement structurel et de réductions budgétaires. Là aussi, les dépenses de santé sont insuffisantes et s’il est une leçon à tirer déjà de cette pandémie, c’est la réhabilitation indispensable de la valeur santé dont feu Philippe Séguin avait raison de dire qu’elle avait un coût mais pas de prix.
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