ANALYSES

Coronavirus : la Chine tente d’échapper à ses responsabilités en trollant le monde

Presse
23 mars 2020

On sait désormais que le gouvernement chinois avait connaissance du virus avant qu’il n’en fasse part. Le gouvernement chinois a, par le passé, eu l’habitude de cacher un certain nombres d’informations. Aujourd’hui a-t-on une idée de ce que savait réellement l’Etat chinois avant que l’épidémie ne soit rendue publique ? Sait-on pendant combien de temps environ ils ont tenu ces informations secrètes ?


Barthelemy Courmont : La difficulté des autorités chinoises à prendre la mesure de l’urgence sanitaire a été rapidement pointée du doigt, et a même dans un premier temps, entre fin janvier et début février, fragilisé le pouvoir central. On se souvient ainsi de Xi Jinping, resté très discret pendant une période inhabituellement longue, tandis que les chiffres indiquant le nombre de malades et de victimes grimpait à très grande vitesse. La question du manque de réaction de Pékin fut également très vite révélée par plusieurs lanceurs d’alerte chinois, en particulier le docteur Li Wenliang, mort le 6 février à Wuhan, et qui avait dès fin décembre alerté les autorités du danger du nouveau virus. La Chine a perdu quelques précieuses semaines dans l’organisation de sa réponse, mais c’est finalement assez peu de temps quand on observe la vitesse avec laquelle la gestion de la crise s’est ensuite mise en place. On sait aussi qu’afin de reprendre la main, Pékin a désigné les responsables de cette réaction retardée, en l’occurrence les responsables du PCC de la ville de Wuhan et de la province du Hubei. Un bon moyen de clore les débats, sachant que ces mesures coïncidèrent avec l’annonce de résultats plus positifs dans l’endiguement du virus. Globalement, on peut dire désormais que la Chine a eu une réaction appropriée et accompagnée de succès, mais il ne faut pas non plus oublier les errements des premières semaines, et le peu de crédit qui fut alors accordé aux premiers lanceurs d’alerte.

Emmanuel Lincot : Il existe toujours dans une chaîne administrative un « gap » entre la captation de l’information, le faire-savoir remontant vers les centres de décision concernées et la mise en oeuvre d’une politique de réaction. La Chine comme la France le prouvent. Pour autant, et la différence est de taille, en Chine, le conflit, le débat d’idées, la transparence des choix politiques sont étrangers à la nature du régime. A l’inverse, ce qui anime une démocratie c’est sa capacité à discuter les choix du gouvernement et de rapporter les faits sans tenter d’en masquer l’importance ni l’authenticité. Même si le gouvernement français essaie de nous faire accroire que les personnels soignants et les policiers vont être bientôt équipés de masques qui à tous nous manquent cruellement, personne n’est dupe, et les journalistes de notre pays n’en continuent pas moins à faire leur travail, à dénoncer les délais de livraison ou à mettre le doigt sur le fait qu’au mépris de la réflexion stratégique la plus élémentaire notre gouvernement n’avait pas à se dessaisir de ses stocks pour les offrir généreusement à la Chine. Que l’on critique enfin le choix suicidaire des gouvernements précédents d’avoir laissé à la Chine le quasi-monopole mondial de la fabrication de paracétamol montre la vivacité des débats et la bonne santé de notre démocratie.  Rétrospectivement, le nombre de victimes du coronavirus en Chine paraît avoir été clairement ramené à la baisse. C’est récurrent dans l’histoire de la dictature chinoise que d’instrumentaliser l’histoire voire de la réécrire. Les moyens de censure y sont tels que dans quelques années cette crise aura été tout bonnement marginalisée. Les manuels d’histoire n’en parleront pas ou peu, pas plus qu’ils ne parlent du Grand Bond en Avant lancé par Mao Zedong qui avait provoqué, en 1958, la mort de 40 millions de personnes. L’entreprise de falsification des faits historiques est dans la nature d’une société dictatoriale. Il y a quelques semaines, un porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères annonçait que ce virus était sans doute le fruit d’une tentative de déstabilisation militaire américaine puis, Donald Trump réagissant en ne cessant de qualifier désormais  le coronavirus de « virus chinois » – le gouvernement chinois a émis l’hypothèse que ce virus n’était sans doute pas d’origine chinoise. Changement de ton mais la stratégie à terme reste la même: déjouer toute velléité pour les Etats étrangers de demander des réparations à la Chine…

En se montrant, faussement transparente, la Chine ne cherche-t-elle pas à duper la communauté internationale et à faire oublier sa part de responsabilité dans l’épidémie ?


Barthelemy Courmont : En fait, que signifie exactement « faussement transparente »? Soit la Chine est transparente, soit elle ne l’est pas. Ou alors elle l’est sur certains aspects, moins sur d’autres. Sur le bilan humain chinois, nous pouvons nous montrer circonspects. Par contre, sur le fait que l’épidémie a été, sinon totalement éradiquée, du moins endiguée, la réalité est là: Pékin a atteint des résultats qui ne peuvent qu’inciter les autres pays touchés par le coronavirus à faire preuve de sagesse et à regarder quelles méthodes ont été privilégiées par les médecins et autorités de Chine. Il s’agit d’un enjeu sanitaire avant d’être une question politique ou idéologique.
On voit depuis quelques semaines s’accumuler les tentatives de désinformation et accusations de responsabilités dans le déclenchement de cette crise. Cela a, dans les faits peu d’importance dès lors qu’il s’agit d’une pandémie mondiale, comme l’a déclaré l’OMS. Peu importe en effet au stade actuel de savoir si ce virus vient de Chine (ce qui semble le plus évident), d’Italie (comme de nombreuses fake news en provenance de Chine cherchent à le proclamer) ou même des Etats-Unis (accusation absurde du porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères). On note en revanche, et c’est plus important, que la Chine multiplie désormais les initiatives en direction des pays les plus touchés. Envoi de matériel et d’équipes médicales à l’Italie, envoi de masques en France, aides vers tous les pays d’Afrique… La Chine est aujourd’hui le seul pays au monde qui peut se permettre de venir au chevet des autres dans cette crise mondiale. Un juste retour des choses, puisque plusieurs pays, dont la France, ont apporté une aide à la Chine quand elle en avait besoin, et témoigné une solidarité très appréciée en Chine (on se souvient notamment des joueurs du PSG arborant un maillot sur lequel était inscrit « Stay strong China », en anglais et en mandarin). C’est aussi évidemment un moyen pour Pékin de redorer son image et de passer à autre chose. La Chine ne veut pas être vue uniquement comme le foyer du virus, mais désormais comme le pays qui apporte des réponses pour en sortir. Certains y verront de l’instrumentalisation, mais la réalité est plus simple: la Chine a besoin de la mondialisation et souhaite donc au plus vite un « retour à la normale », et la Chine sait qu’en apportant son aide aux autres, son image en sortira renforcée. n’importe quel autre pays ferait de même, s’il en avait les moyens, démocratie ou dictature.


Emmanuel Lincot : C’est évident. Des pans entiers de notre économie vont être ravagés. En toute bonne conscience, Pékin met en oeuvre une « diplomatie du masque » en offrant à l’Italie mais aussi à la France du matériel médical voire des équipes soignantes. On voit le but de la manoeuvre: faire voler en éclat la solidarité – si elle existe – entre Européens et faire main basse à terme sur nos économies. Le temps joue en faveur de la Chine dont l’image sera, dans les faits très sérieusement dégradée aux yeux des opinions occidentales. Pékin a d’ores et déjà gagné la première manche: le régime sort renforcé de cette crise. Alors qu’il pouvait craindre la naissance de mouvements de contestation dans la région de Wuhan – là même où est né le virus – Xi Jinping a purgé l’administration d’éléments qui pouvaient lui être hostiles. L’hégémonie chinoise va s’accroître et Xi Jinping a compris dès le début que c’est dans les pays du Sud en particulier que cette pandémie née en Chine allait devenir bien plus qu’une arme bactériologique. C’est une arme idéologique. Au Sénégal, désormais, la presse accuse la France de vouloir « coronariser » l’Afrique francophone et Pékin se garde bien de dénoncer ces dérives. Non seulement Pékin ne reconnaîtra pas sa part de responsabilité mais cette crise va scinder le monde entre les thuriféraires de Pékin et ses détracteurs.

Dès aujourd’hui et surtout une fois le gros de la crise derrière nous, la question des responsabilité risque d’être posée. Qu’elle pourrait être l’attitude de la Chine ? Serait-elle prête à accepter ses erreurs ?


Barthelemy Courmont : On voit bien, dans l’attitude des pouvoirs publics, en plus des aides évoquées précédemment, qu’il n’en sera rien. D’abord parce que les leçons à tirer seront avant tout nationales – cette crise mondiale est gérée au niveau national, elle sera jugée au niveau national, et on ne peut d’ailleurs que le déplorer. En France, les divergences feront rapidement surface dès que la courbe de l’épidémie se sera inversée, et le gouvernement recevra des critiques de tous bords. Idem dans les autres pays européens. On a observé la même tendance en Corée du Sud, où les Coréens n’ont pas tant critiqué les Chinois que leur gouvernement pour la gestion de l’épidémie, aujourd’hui contenue. Aux Etats-Unis, on commence déjà à anticiper sur les résultats de l’élection présidentielle de novembre, qu’il sera de plus en plus difficile pour Donald Trump de remporter, compte-tenu des critiques très vives sur sa gestion de la crise.
Ensuite parce que la Chine voudra très vite passer à autre chose, et reprendre sa marche. Il n’est pas dans la nature du régime chinois de faire amende honorable sur ses erreurs. Même Deng Xiaoping n’a jamais fermement condamné les crimes de Mao Zedong, parlant de « 40% d’erreurs contre 60% de bonnes mesures ». Le régime n’a jamais fait de droit d’inventaire sur Tian Anmen, sur le Grand bond en avant, sur la Révolution culturelle… Les débats et les purges qui les accompagnent se font à l’abri des regards, et ne sont certainement pas étalés sur la scène internationale. Il n’y a aucune raison que la crise du coronavirus y change quoi que ce soit, d’autant que le résultat est, comme je l’indiquais, que la Chine en sort « vainqueur ». Xi Jinping sortira renforcé de cette épreuve, il serait bien mal avisé dès lors de se lancer dans une autocritique.

L’après épidémie ne risque-t-il pas ainsi d’être source de fortes tensions politiques et géopolitiques voire même peut-être de conflits ? 


Barthelemy Courmont : En tout cas pas du fait de la Chine dans l’état actuel. Pékin est une puissance du statu quo, contrairement à ce que de nombreux analystes américains déclarent depuis des années. La mondialisation telle qu’elle se présente sert les intérêts de la Chine, qui continue son ascension irrésistible. Pourquoi vouloir changer les règles du jeu quand elles sont à votre avantage? A l’inverse, on le voit dans le cas des Etats-Unis, les puissances qui se sentent désavantagées par les règles en place sont plus susceptibles de chercher à les modifier. C’est ce que fait Donald Trump depuis plus de trois ans. Bref, les tensions politiques et géopolitiques n’ont pas attendu le coronavirus pour s’exprimer. En revanche, on peut d’ores-et-déjà s’interroger sur les rapports de force une fois que la crise sera derrière nous. Tout dépendra en fait de son ampleur selon les cas. On sait désormais que le pouvoir chinois sort renforcé de cette crise, mais qu’en sera-t-il aux Etats-Unis par exemple?

Emmanuel Lincot : L’après-crise sera la consécration d’un monde bipolaire d’un point de vue idéologique. La Chine fera de nouveau la promotion de ses « Nouvelles Routes de la Soie » avec d’autant plus de facilité que l’Occident n’aura aucun moyen financier pour riposter dans les pays du Tiers-Monde. Inversement, on peut supposer que le projet hégémonique chinois n’est pas sans risque pour nous-même et que les désormais parodiés « New Sick Roads » provoqueront une réaction des gouvernements occidentaux dans le choix de sanctuariser un certain nombre de nos secteurs d’activités dans le domaine pharmaceutique notamment, absolument stratégiques, qu’il est criminel d’avoir délaissé à la Chine ou à l’Inde dont le régime, dans les faits, ne vaut guère mieux.
Sur la même thématique