19.12.2024
Covid-19 : les politiques de santé sont-elles à la hauteur de l’enjeu posé par le virus ?
Interview
25 mars 2020
Face à l’urgence de la situation, les autorités sanitaires ainsi que les chefs d’État doivent prendre des décisions afin d’endiguer le plus rapidement possible la pandémie mondiale de Covid-19. Alors que l’heure est au confinement, les laboratoires, à travers le monde, tentent de trouver une véritable solution thérapeutique. Le point sur la situation avec Anne Sénéquier, médecin psychiatre, chercheuse associée à l’IRIS et co-directrice de l’observatoire de la santé mondiale.
Les pays n’adoptent pas tous les mêmes politiques sanitaires pour lutter contre le coronavirus : certains misent sur le confinement comme au sein de l’Union européenne (UE), d’autres misent davantage sur le civisme, la traçabilité ou encore le dépistage de masse avec des bons résultats. Comment expliquer ces différences de politique sanitaire ? Peut-on dire que certaines sont plus performantes que d’autres ?
Comme toute politique, les politiques sanitaires s’appuient sur une compréhension locale ainsi que sur des valeurs culturelles. L’épidémie du Covid-19 a pour particularité d’être devenue une pandémie. Touchant la totalité du globe, chaque pays adopte, comme il en a l’habitude, sa stratégie en tenant compte de ses ressources, sa population, son fonctionnement et son propre agenda au moment de l’arrivée de l’épidémie…
On pourra, bien sûr, après coup, dire que telle stratégie a été plus efficace que telle autre. Mais il faudra se souvenir, à ce moment-là, que pour comparer les stratégies, il aurait fallu que les populations aient les mêmes caractéristiques (pyramides d’âges, état du système de santé, respects des règles par la population, etc.), et que l’épidémie démarre de la même façon dans les différents pays. Si nous devons avoir une certitude, c’est que ce n’est pas le cas. Il n’est pas question de dire que le confinement est plus adapté que le test de masse ou l’inverse, il faut trouver la stratégie adaptée à la situation actuelle, dans une population donnée.
En connaissant les “patients zéro”, et tant que la chaîne de transmission est visible, on peut dire que le test et la recherche de “cas contact” est une bonne stratégie. D’un autre côté, lorsque l’épidémie augmente au point d’avoir perdu cette chaîne de transmission et d’avoir des cas asymptomatiques, la logique sanitaire impose une distance sociale.
D’autre part, cette situation inédite et l’urgence de la situation poussent les autorités sanitaires à prendre des décisions, sans données scientifiques fiables pour certaines, et à fonctionner sur les bases de preuves empiriques.
Comment s’organise la collaboration entre les différents corps soignants des pays touchés par le Covid-19 pour tenter de l’endiguer et de mettre au point un vaccin dans les plus brefs délais ? Ne doit-on pas craindre une compétition entre les États pour être le premier à trouver le traitement qui retarderait finalement le processus ?
Comme le reste du fonctionnement de notre société actuelle, la recherche médicale se compose de deux branches-sœurs : la recherche d’État et les laboratoires privés. La recherche d’État a une problématique de manque de ressources financières. Pour beaucoup de pays, la santé reste un coût et non un investissement. Quant aux laboratoires privés, ils vont privilégier les médicaments et vaccins dits rentables… Tout simplement parce que la recherche et le développement pharmaceutique sont longs et très coûteux, sans garantie de résultat. C’est comme cela qu’on se retrouve avec des notions de « maladies orphelines » ou de « maladies tropicales négligées ».
Au-delà de ce fonctionnement, les chercheurs, eux, sont très mobiles, et l’on retrouve assez facilement des équipes internationales dans les laboratoires. Lors du début de l’épidémie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a, très tôt, joué le rôle de coordination de recherche, en faisant transiter les publications médicales et de recherche par le siège. Ainsi, l’organisation a pu identifier les manquements dans la recherche et le développement, et ainsi publier un « recherche et développement blueprint », qui permet aux différents laboratoires d’éviter les redondances.
De nombreux laboratoires, à travers le monde, sont en train de tenter de développer un vaccin et/ou un traitement contre le Covid-19, mais cela ne veut pas dire qu’ils abordent tous la question de la même manière. Et c’est une chance, car cela multiplie les chances d’aboutir à une véritable solution thérapeutique.
On a entendu dernièrement des informations, selon lesquelles Donald Trump aurait proposé des investissements dans un laboratoire allemand, afin de « réserver le vaccin aux Américains ». On est là davantage dans un message à son électorat : « America First… En toutes circonstances », que dans un scénario possible.
Qu’un éventuel vaccin ou traitement – une fois validé – ne soit pas disponible partout et pour tous, sera malheureusement une réalité, du fait de la logistique, de l’économie, de l’accès aux soins… Mais pas une volonté politique étatique.
Quid de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le cas du Covid-19 ? Son rôle est-il déterminant, sachant que des pays comme la France n’écoutent pas nécessairement ses recommandations notamment en matière de dépistage de masse ?
Cette épidémie est un inédit, et c’est là tout le problème de la situation. Apportant un même problème sur une temporalité à peu près similaire, elle devrait permettre l’émergence d’une véritable coordination et d’une coopération internationale. Même si les structures sont présentes (l’OMS, le CDC, l’UE, l’ONU…), on se rend compte qu’il est difficile (encore ! C’est une des grandes problématiques de l’Organisation des Nations unies, à laquelle la réforme de 2005 devait apporter une réponse) d’avoir une communication verticale et transversale efficace.
Pour autant, le rôle de l’OMS reste déterminant : elle relaie les informations clefs, les avancées sur les recherches, tout en apportant son expertise technique dans les différents pays. Elle est une véritable caisse de résonance, de partage d’expériences, d’approches novatrices. Cependant, comme tout organisme de l’ONU, l’OMS n’émet « que » des recommandations. À chacun de savoir les entendre ou pas…