25.11.2024
« Les Occidentaux sont aujourd’hui hors-jeu en Syrie »
Presse
14 mars 2020
D’où partait la France quand le conflit a éclaté en Syrie ?
Après quelques hésitations au printemps 2011, une ligne officielle a été tracée par François Hollande,
fondée sur le renversement du régime de Bachar el-Assad, stigmatisé comme un dictateur qui, de manière avérée, réprimait son peuple. Il y a eu, d’emblée, ce qu’on a pu qualifier de « posture morale » selon laquelle la France ne pouvait pas soutenir de régime meurtrier. Il a été décidé de soutenir des opposants et la question revenait à déterminer lesquels. L’option a été de privilégier une opposition politique dite « modérée », avec un « Conseil national syrien » reconnu par la France en novembre 2011, dans le prolongement de la constitution d’un noyau armé à partir de juillet 2011, actant l’échec des manifestations pacifiques. Le problème, c’est que cela renvoyait à une sorte de représentation auto-réalisatrice qui ne coïncidait pas toujours avec la réalité du terrain. D’aucuns ont, de fait, rapidement considéré que cette opposition « modérée » n’existait pas réellement, ou était très relative et ce, alors que dans le même temps s’affirmait de plus en plus fortement une opposition militarisée à connotation islamiste et, plus tard, djihadiste. Cela soulevait la question de la pertinence du financement et de l’armement de cette opposition armée et renvoyait à des contradictions qui n’ont pas été levées au début de la crise.
Comment cette posture française a-t-elle évolué durant la guerre ?
Pendant le mandat de François Hollande, la ligne a été quasiment inchangée et était officiellement relayée par le Quai d’Orsay. On sait aujourd’hui que, dès fin 2012, le gouvernement a décidé d’armer l’opposition au régime de Damas, en considérant que l’on avait les « toutes les garanties nécessaires » pour ce faire. Le problème était que les groupes destinataires n’étaient pas aussi sûrs que ce que l’on pensait puisqu’on a appris ensuite que certaines de ces armes s’étaient retrouvées entre de mauvaises mains. C’eût été admettre qu’il y avait une porosité entre les divers groupes et qu’il existait en réalité une dynamique d’« islamisation», voire de « djihadisation » grandissante de certains de ces groupes souvent les plus performants sur le plan militaire, des groupes bénéficiant de financements en provenance des pétromonarchies et donc que l’obédience « modérée » était pour le moins sujette à caution. C’est là qu’on touche aux limites de la « posture morale » initiale. Mais la ligne française ne s’est pas départie de son postulat initial, qui n’a quasiment pas varié jusqu’en 2015.
Quand y a-t-il eu un tournant ?
Il y a eu un premier basculement fin août 2013 avec la transgression de la « ligne rouge » initialement fixée par le président Barack Obama sur l’utilisation des armes chimiques et que ce dernier a finalement décidé de ne pas faire respecter au motif qu’il refusait de faire entrer les États-Unis dans le risque d’engrenage de la guerre civile syrienne. François Hollande s’est alors retrouvé seul, alors même qu’il était déjà très engagé et qu’il attendait de participer conjointement aux États-Unis à l’opération militaire en représailles au bombardement chimique. Avec la marche arrière d’Obama, la France n’était plus en mesure de finaliser son engagement militaire mais aussi, plus largement, de faire prévaloir sa stratégie vis-à-vis du régime de Damas. Le vrai tournant, ce sont les attentats de 2015. Les contradictions sous-jacentes de la posture française initiale ont surgi à partir de ce moment-là. Ceux qui perpétrèrent les attentats étaient issus d’une obédience islamiste explicitement extrémiste, prégnante sur le terrain syrien au point d’avoir quasiment annexé la rébellion anti-Assad. La lutte anti-terroriste s’est imposée de manière prioritaire, sur le renversement du régime.
La ligne a-t-elle changé avec l’arrivée de Macron au pouvoir ?
En avril 2017, le candidat Emmanuel Macron met encore sur le même plan Daech et Bachar el-Assad. Mais son objectif déclaré n’est pas tant le renversement du président syrien que de restaurer une forme de dissuasion renvoyant au principe de la « ligne rouge ». Le changement de ton est encore plus net à partir du moment où il devient président. Ce qui est validé le 4 janvier 2018, lors de ses vœux au corps diplomatique : « Je considère que nous devons sortir de postures morales qui parfois nous impuissantent. » Et d’ajouter : « Nous devons aussi sortir de concessions faites à certaines puissances qui pensent qu’à quelques-uns, reconnaissant une partie d’une opposition désignée depuis l’extérieur, ils pourraient régler de manière stable et durable la situation en Syrie. » Les puissances en question sont celles qui ont financé nombre de groupes rebelles de plus en plus radicalisés, notamment les pétro-monarchies du Golfe. Il conclura son discours en précisant : « En Syrie, nous avons un ennemi, Daech. (…) Le peuple syrien a un ennemi, il s’appelle Bachar el-Assad. »
Que peut faire la France à l’avenir ?
À partir du moment où les États-Unis se sont désengagés de manière unilatérale du théâtre syrien, la France n’est plus réellement en mesure de peser sur le devenir politique syrien durablement annexé depuis 2017 par les partenaires du processus d’Astana que sont la Russie, l’Iran et la Turquie. Les Occidentaux en général et les Européens en particulier se retrouvent en quelque sorte « hors-jeu ». La seule marge de manœuvre pour les Européens renvoie aux enjeux financiers conditionnels d’une hypothétique reconstruction de la Syrie, dans la perspective d’une transition politique et d’une paix future. Mais on en est encore loin.
Entretien réalisé par Laureen Piddiu