13.12.2024
Élections en Afrique : « Le Président. Comment sait-on qu’il est temps de partir ?»
Tribune
18 mars 2020
En 2013, le cinéaste camerounais, Jean-Pierre Bekolo, signait une fiction pamphlet : « Le Président », sous-titré « Comment sait-on qu’il est temps de partir ? ». Cette question, en 2020, reste d’une étonnante actualité au regard des séquences présidentielles passées, ou à venir, au Togo, en Guinée ou même en Côte d’Ivoire.
Satire politique de présidents qui s’accrochent au pouvoir, le cinéaste Jean-Pierre Bekolo a choisi le Cameroun, pays dont il est originaire, comme cadre de l’action de son film mi-fiction, faux documentaire. À la veille d’un scrutin, le chef de l’État, en exercice depuis 42 ans, dont on devine qu’il est tout aussi omniprésent qu’omnipotent dans la vie de ses concitoyens, est introuvable. La population est en émoi et s’interroge : disparition, décès ou démission ? Par petites touches impressionnistes, on découvre par la voix de femmes, de jeunes, de moins jeunes, d’intellectuels et de prisonniers politiques, les espoirs déçus, voire anéantis, par ce règne sans partage et que pourtant avaient laissé entrevoir la période des indépendances. Jean-Pierre Bekolo prend cependant le parti d’humaniser ce président et de le camper dans une séquence introspective. Loin de l’affolement médiatique urbain en filigrane, il suit les pérégrinations de son président tandis que ce dernier cherche à rejoindre le village de sa défunte épouse et se perd en chemin, métaphore de sa déconnexion avec le quotidien de ses concitoyens. Au cours de ce voyage, il rencontre un rappeur bien connu du public camerounais – d’où le mélange des genres mi-fiction faux documentaire – Valsero, encore appelé Général Valsero, qui tente de lui expliquer la difficulté des jeunes diplômés, qui jonglent entre petits jobs et le souhait de vivre et non de survivre, tandis que la classe politique se vautre dans l’opulence et l’économie de rente. Il pointe ces inégalités qui rongent le pays et obèrent l’avenir de la jeunesse. Il l’interroge : « Quand avez-vous rencontré un homme simple qui vous parle de ses problèmes de tous les jours ? ». Le président entend, mais il n’écoute pas. Sans heurts et sans fracas, il finit toutefois par renoncer au pouvoir. Une femme lui succède. Aube d’une ère nouvelle.
Si le cinéaste a choisi d’ouvrir son film sur une promesse de changement, la réalité est tout autre. La proximité de son personnage avec le président Biya, l’identification de personnes réelles comme Valsero, ou d’autres, lui ont valu la censure. En 2018, le président Paul Biya, aujourd’hui âgé de 87 ans, remportait l’élection présidentielle, sanctionnant désormais 38 années à la charge suprême. Quant au rappeur Valsero, qui a pris position en faveur de l’opposant Maurice Kamto, il a été incarcéré de janvier à octobre 2019, suite à sa participation à une manifestation, qui pour rappel n’est pas autorisée dans le pays.
Au-delà de la narration, à l’esthétique originale, Jean-Pierre Bekolo pose de vraies questions : la longévité des présidents, pourtant mortels, au pouvoir, et le désir d’alternance démocratique par une jeunesse en attente de changement.
« Comment sait-on qu’il est temps de partir ? »
En Afrique, les situations sont plurielles et en fonction des trajectoires historiques et des contextes socio-politiques, l’alternance démocratique est plus ou moins incertaine. Au Sénégal, en 2012, le président Abdoulaye Wade a tenté de se présenter à sa propre succession pour un troisième mandat, mais s’est heurté à la mobilisation de la jeunesse et de la société civile portée par le collectif « Y-en-a-marre ». Au Burkina Faso, le régime de Blaise Compaoré a, quant à lui, été emporté, après 27 ans de pouvoir, en 2014, par le mouvement « Du balai citoyen ». Les mobilisations collectives, dans certains cas, ont créé les conditions de l’alternance démocratique, mais demeure toujours l’épée de Damoclès d’une révision constitutionnelle.
En effet, on observe une évolution : les coups d’État militaires des années 1980-1990 ont progressivement été suppléés par des coups d’État constitutionnels. Au Togo, par exemple, la révision de la Constitution en 2016, après 15 ans au pouvoir, a permis au président Faure Gnassingbé de se représenter pour un quatrième mandat, le 22 février dernier, et de remporter l’élection avec plus de 70 % des voix. Et à l’argumentaire « démocratique » d’être savamment rôdé, permettant de justifier le sophisme suivant : à nouvelle Constitution, nouvelles orientations gouvernementales, donc alternance en marche dans l’Histoire. Dans un contexte socio-politique résilient, la France a pris acte de ces résultats tandis que des organisations sous-régionales, comme la CEDEAO, ont félicité le président de cette victoire qui tutoie volontiers le sacre.
Suivant l’exemple togolais, le président Alpha Condé en Guinée, a souhaité soumettre à ses concitoyens le 1er mars, un vote législatif couplé à un référendum autorisant à une révision de la Constitution, qui lui aurait permis de remettre les compteurs mandataires à zéro. Face aux manifestations du FNDC (Front national de défense de la Constitution), au retrait de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), de l’UA (Union africaine) de ne pas légitimer par leur présence, ce double scrutin en raison d’irrégularités dans le fichier électoral, le président Condé a reculé. S’il a annoncé un report des élections, le fichier électoral ne pourra être prêt avant plusieurs semaines. Or, conformément aux dispositions de la CEDEAO, il est interdit de réviser la Constitution au cours des six mois qui précédent une échéance présidentielle. La conjugaison de la pression intérieure et internationale pourrait, selon toute vraisemblance, entraîner une normalisation du processus électoral, offrant au président Condé la possibilité de quitter le pouvoir en octobre prochain. Ce scénario paraît crédible, à moins de ne trouver une nouvelle argutie juridique, alors que son homologue ivoirien Alassane Ouattara vient d’annoncer, à coups de renforts médiatiques, sa retraite de la vie politique.
Le 5 mars, prenant visiblement tout le monde de court, le président Alassane Ouattara, lors de son discours sur l’état de la nation, présenté en Congrès au centre Félix Houphouët-Boigny à Yamoussoukro, après des mois d’incertitudes, a officialisé son renoncement à un troisième mandat. Assez étonnamment, cette décision qui est un non-événement au regard de la Loi fondamentale – qui n’autorise pas plus de deux mandats –, a été présentée comme historique et saluée comme telle par un tweet du président français Emmanuel Macron : « Je salue la décision historique du Président@AOuattara_PRCI, homme de parole et homme d’État, de ne pas se présenter à la prochaine élection présidentielle. Ce soir, la Côte d’Ivoire donne l’exemple ». Cet élan enthousiaste, soupesé au regard de la banalité de la déclaration, vaut le plus long des discours sur l’inquiétude qui régnait dans les chancelleries à l’égard de cette possible candidature – au regard de la révision constitutionnelle de 2016, qui aurait permis de ne pas comptabiliser les deux premiers mandats – dans un contexte ouest-africain tendu, et peu à peu gagné par la menace terroriste, tout autant que sur les liens de connivence entre Paris et Abidjan. Toutefois, l’annonce d’une révision constitutionnelle, qui doit être entérinée par la voie parlementaire avant la fin de ce mois, atténue la portée « historique » de la non-candidature du président Ouattara à sa propre succession. Un point qui n’est pas tout à fait de l’ordre du détail, mais a été pour partie éclipsé par la révérence du président, laissant sur leur quant-à-soi une partie des Ivoiriens.
De la description de ces différentes situations, on observe une minoration de la voix des urnes, et donc du choix des citoyens africains, sinon au prix de manifestations mortifères couplées à la pression internationale, laquelle d’ailleurs répond à des logiques propres et non systématiques qui interrogent quant à leur relativité, la jauge étant la possible déstabilisation de proche en proche de l’Afrique de l’Ouest.
À la question « comment sait-on qu’il est temps de partir », on ajouterait volontiers la question suivante « quand sait-on que l’on a fait son temps ? » dans sa double acception : un bilan à défendre, mais également un départ à assumer. Mais là encore, la variable d’ajustement semble très incertaine et l’accommodation semble prévaloir.