25.11.2024
«Les électeurs démocrates ont davantage voté pour déloger Donald Trump que pour investir Joe Biden»
Presse
11 mars 2020
J’estime en effet que les dés sont jetés depuis le Super Tuesday de la semaine dernière. Sanders est distancé et ne peut plus remonter arithmétiquement compte tenu des échéances à venir. Andrew Yang l’a d’ailleurs reconnu cette nuit, avant de déclarer son soutien à Joe Biden. Joe Biden sera par conséquent le candidat démocrate face à Donald Trump à la prochaine élection présidentielle.
Beaucoup de commentateurs estimaient pourtant que Bernie Sanders avait de très bonnes chances de l’emporter il y a encore quelques semaines. Comment expliquez-vous la perte de dynamique de sa campagne et les déceptions qu’il peut nourrir par rapport à 2016, sur la mobilisation des jeunes et de l’électorat rural par exemple?
En réalité, Sanders n’est jamais vraiment parvenu à se construire une dynamique dans cette campagne, malgré un beau score dans le Nevada où il était parvenu à s’appuyer sur l’électorat hispanique. Cet électorat prend la question sociale très à cœur et a été séduit par des propositions de Sanders comme le Medicare For All. Les Latinos n’ont par ailleurs pas peur du socialisme car ils ont souvent de la famille dans des pays où le socialisme est au pouvoir. Le reste de la population américaine appréhende le socialisme avec davantage de méfiance.
Je pense par ailleurs que la campagne de Bernie Sanders n’a jamais vraiment démarré. Sanders a fini deuxième dans l’Iowa alors qu’il devait l’emporter très largement. Dans le New Hampshire, près de chez lui, il n’a gagné que de peu. Sa candidature n’a jamais vraiment convaincu au-delà de 30% des démocrates et s’est heurtée à un plafond. Il n’a par ailleurs pas du tout su séduire l’électorat afro-américain.
Les électeurs ont très vite compris que Joe Biden était beaucoup mieux placé que Bernie Sanders pour l’emporter en novembre 2020. Son objectif de battre Donald Trump, sur lequel sa candidature est entièrement fondée, répondait en effet aux demandes de l’électorat démocrate, celui-ci voulant à tout prix déloger l’actuel président de la Maison-Blanche.
On peut néanmoins relever que Joe Biden a difficilement réussi à lever des fonds pendant la campagne et que les élites du parti démocrate ont mis énormément de temps à lui faire confiance. Par ailleurs, il est difficile de se souvenir d’un moment marquant ou d’une proposition forte liés à sa candidature. Joe Biden ne va-t-il pas emporter cette primaire malgré lui?
Je rejoins en effet ce constat. J’ai d’ailleurs écrit dans mon dernier ouvrage que très peu d’Américains ont été marqués par le bilan politique de Joe Biden et se souviennent de son action, alors même qu’il est sur la scène politique depuis 45 ans! C’est un homme transparent qui a réussi à traverser toute l’histoire politique américaine récente. Et en même temps, il apparaît comme une figure sympathique.
Joe Biden est un homme transparent qui a réussi à traverser toute l’histoire politique américaine récente.
Les Américains n’ont selon moi pas eu véritablement envie de voter pour lui. Désireux d’effacer le traumatisme de novembre 2016, ceux-ci ont en revanche voté en faveur du retour à l’ordre établi avant Donald Trump. Ils ont manifesté leur nostalgie de l’ère Obama. Les démocrates voulaient simplement gagner, et ce peu importe le candidat. Joe Biden était cependant le mieux placé, en tant qu’ancien vice-président d’Obama.
Joe Biden va-il, contrairement à Hillary Clinton en 2016, réussir à mobiliser la gauche du parti et de l’électorat démocrate face à Donald Trump?
Je le pense. Le contexte est beaucoup moins morose qu’en 2016 pour les classes moyennes et la demande de justice sociale et de combat contre les inégalités me semble moins forte. En 2016, Hillary Clinton n’était par ailleurs pas la candidate idéale car elle paraissait beaucoup trop déconnectée et installée dans le paysage politique sous Obama. Elle ne fut rien d’autre qu’une erreur de casting.
À l’inverse, Joe Biden n’apparaît pas comme un opportuniste et un ambitieux. Il a servi l’État pendant de longues années, et son bilan en tant que vice-président a été largement salué. Les récentes attaques extrêmement violentes de Donald Trump contre lui n’enlèveront rien à ses succès.
En novembre, le camp démocrate sera uni comme un seul homme pour déloger Donald Trump de la Maison-Blanche.
Joe Biden a déjà réuni la quasi-totalité du camp démocrate: Pete Buttigieg, Amy Klobuchar, Andrew Yang, Kamala Harris, etc. Bernie Sanders va évidemment en faire de même, tout comme Elizabeth Warren. Le camp démocrate sera uni comme un seul homme, non pas pour élire Joe Biden, mais pour déloger Donald Trump. Je m’attends à une forte mobilisation de l’électorat. On note d’ailleurs que la participation à la primaire démocrate est excellente et dépasse presque celle de 2008. Tous ces signaux sont extrêmement positifs pour Joe Biden.
Qu’en est-il de l’épidémie de Coronavirus? Celle-ci peut-elle s’inviter dans la campagne et nuire à l’administration Trump…
Je pense qu’il faut différencier la gestion de l’épidémie et les déclarations de Donald Trump. La gestion de l’épidémie par la task force du vice-président Mike Pence est relativement bonne. Le gouverneur de l’État de Washington, Jay Inslee, avait exprimé quelques réserves à son encontre, mais celles-ci sont désormais de l’histoire de l’ancienne. On peut par ailleurs relever que les démocrates et les républicains sont parvenus à travailler main dans la main au Congrès. Ensemble, ils ont voté un plan d’urgence très ambitieux de 8,3 milliards de dollars pour lutter contre la propagation de l’épidémie, alors même que la Maison-Blanche ne souhaitait initialement investir que 2,5 milliards de dollars. Contre le coronavirus, l’essentiel du travail est fait, non pas par le président lui-même, mais par des agences gouvernementales. Je pense notamment au Center for Disease Control and Prevention (CDC) qui fonctionne extrêmement bien. Les Américains appliquent par ailleurs rigoureusement les recommandations sanitaires qui leur sont données.
À rebours de cette efficacité, les déclarations de Donald Trump sur l’épidémie sont stupides et déconnectées des inquiétudes des Américains. Et ce alors même qu’il avait parfaitement compris les angoisses et la colère de son peuple au moment de sa campagne très intelligente en 2016. La peur du Coronavirus est transpartisane aux États-Unis et Donald Trump sous-estime cette donnée essentielle. Il ambitionne de rassurer les marchés en niant la gravité de ce qui se joue, mais cela ne marchera pas. La croyance selon laquelle le gouvernement est là pour protéger les individus en période de crise est profondément enracinée aux États-Unis. Nous sommes en période de crise et l’on attend autre chose du Président.