ANALYSES

Le Coronavirus, « game changer » pour les rapports de force politique ?

Presse
2 mars 2020
Usines fermées, productions en partie gelées, forte chute du tourisme… on connaît déjà l’impact lourd du coronavirus sur l’économie mondiale au premier semestre 2020. Mais si l’économie est fortement touchée, le virus pourrait avoir des conséquences politiques toutes aussi lourdes. Début février, la population chinoise a sévèrement critiqué son gouvernement, remettant notamment en question la gestion de l’épidémie. Alors que l’épidémie se propage, les populations ukrainiennes ou encore iraniennes ont également sévèrement critiqué leur gouvernement. Pourquoi cette colère soudaine ?

Le développement rapide de l’épidémie en Chine et les difficultés à y apporter des réponses ont en effet suscité de fortes critiques, sur les réseaux sociaux notamment, en Chine. La mort de Li Wenliang, le médecin de Wuhan qui avait alerté les autorités dès décembre mais ne fut pas entendu, a également mobilisé une opinion publique aussi inquiète que mécontente du traitement de cette épidémie. Il faut comprendre que la mise en quarantaine de centaines de millions de personnes, la paralysie quasi totale du pays le plus peuplé au monde et les inquiétudes liées à la dissémination du virus ont provoqué un émoi dans la population chinoise, qui a demandé logiquement une plus grande transparence. La Chine est le pays au monde qui compte le plus grand nombre d’internautes, aussi cette « épidémie » d’informations, vraies et fausses, est rapidement devenue difficile à contrôler. Dans des pays comme l’Ukraine – où on ne déplore pas la présence d’un foyer infectieux – et l’Iran, qui est très fortement exposée, la réaction de colère s’explique par la même inquiétude. Au Japon, la mauvaise gestion de la crise du Diamond Princess a contraint les autorités à présenter des excuses publiques, anticipant des critiques. On commence également à observer de vives critiques dans d’autres régimes démocratiques et qui communiquent a priori en toute transparence sur ces questions, comme la Corée du Sud et l’Italie, deux pays où le nombre de cas a fortement cru en quelques jours. De nombreux Sud-coréens déplorent une lenteur dans l’organisation des secours, et une incapacité du gouvernement à avoir anticipé cette épidémie. Si le nombre de cas augmente brutalement en France, il est certain que des critiques semblables se multiplieront.

Certains observateurs estiment que le ralentissement de l’économie mondiale pourraient remettre en question la réélection de Donald Trump, lequel doit sa popularité en raison, notamment, de ses bons résultats économiques. Un tel scénario est-il réellement crédible ? Une telle épidémie peut-elle mener à 1/2 ce point changer l’opinion d’une population vis à vis de ses dirigeants ?

C’est une hypothèse qui semble relever du fantasme des « anti-Trump » plus que d’une probabilité. D’abord, quels sont les indicateurs permettant d’affirmer qu’il y aura un ralentissement significatif de l’économie mondiale? L’impact pour la Chine est évident, mais sera-t-il durable, et entrainera-t-il le reste du monde? Peut-être, ou pas du tout. Ensuite, et c’est un autre sujet, l’élection de novembre 2020 aux Etats-Unis ne se jouera pas, contrairement à de nombreuses précédentes, sur l’économie. « It’s not only the Economy, stupid! » semblent même proposer comme slogan les Démocrates (en une intéressante inversion du slogan de Bill Clinton en 1992) dans leurs débats dans le cadre des Primaires. L’économie américaine se porte bien, mais les Américains peuvent-ils en dire autant? Non, rétorquent notamment Sanders et Warren. Les enjeux identitaires, les guerres culturelles, l’image des Etats-Unis ou les questions sociales pèseront beaucoup dans le scrutin de novembre. Enfin et surtout, il faudrait que les conséquences économiques soient catastrophiques pour que l’opinion publique se retourne contre le pouvoir, aux Etats-Unis ou ailleurs. Et sans faire preuve d’un optimisme déplacé, l’impact du coronavirus restera relativement limité. Aux Etats-Unis, on relève cette année une grippe saisonnière très agressive, avec un bilan très nettement supérieur aux précédentes années, depuis le H1N1 de 2010. 26 millions de malades identifiés, et déjà plus de 16 000 morts. Des chiffres qui donnent le vertige face au coronavirus. Pour autant, fait-on mention d’un impact de cette grippe sur l’économie américaine au point de fragiliser le pouvoir? Non.

En Afrique, notamment en RDC, Ebola avait eu pour effet d’ébranler la confiance de la population en ses dirigeants. Un tel schéma est-il ici possible ? Peut-on imaginer que l’épidémie donne lieu à des soulèvement de population ou au contraire peut-elle permettre à des gouvernement de consolider leur pouvoir ?

La RDC n’avait pas les moyens de contrer l’épidémie d’Ebola, ce qui explique son manque de crédibilité aux yeux de la population.C’est donc un cas particulier. Cependant, on observe que des dirigeants peuvent être fragilisés par une mauvaise gestion de l’épidémie, comme je le mentionnais plus haut dans le cas de la Corée du Sud ou du Japon, et sans doute très vite de l’Italie. Le cas de la Chine est, paradoxalement, tout l’inverse. En limogeant les plus hauts responsables politiques de la province du Hubei et de la ville de Wuhan, Xi Jinping a repris la main et a renforcé sa légitimité, en désignant des coupables des erreurs commises dans les premières semaines. Ajoutez à cela une situation qui semble s’améliorer, avec un nombre de malades en baisse – le nombre de patients sortis des hôpitaux augmente aujourd’hui plus rapidement que le nombre de nouveaux cas, selon les chiffres officiels chinois. Si la colère et l’inquiétude s’imposait dans l’opinion publique chinoise il y a quelques semaines, fragilisant potentiellement le pouvoir, ce dernier voit sa légitimité renforcée dès lors qu’il démontre sa capacité à endiguer l’épidémie. En estimant que le coronavirus est « la plus grande urgence sanitaire en Chine depuis 1949 », Xi Jinping a adopté une très habile stratégie de sortie de crise: le bilan humain et même économique sera justifié compte-tenu de la gravité de l’épidémie; et son aura sera renforcée dès lors que l’épidémie sera totalement contrôlée. Il y aura des gagnants et des perdants dans cette crise sanitaire internationale, tout dépendra de la capacité de réaction, mais aussi et surtout des stratégies de communication l’accompagnant.
Sur la même thématique