13.12.2024
Élection présidentielle au Togo : « La frustration de savoir qu’on ne saura jamais la vérité »
Tribune
28 février 2020
L’élection présidentielle au Togo s’est tenue le samedi 22 février 2020. Selon les résultats annoncés mardi par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) du pays, Faure Gnassingbé est réélu pour un quatrième mandat avec plus 72 % des voix. Premières impressions de Gilles Yabi*, président de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest basé à Dakar.
« La partie semblait jouée d’avance. Le président Faure Gnassingbé au pouvoir, depuis 2005, à la suite de son père qui a dirigé le pays pendant près de trois décennies, se préparait à une réélection dès le premier tour. De nombreux analystes s’interrogeaient sur l’enjeu réel de cette élection : un scrutin à l’issue programmée pour donner une légitimité démocratique à un régime indéboulonnable ? Ou un test concluant de la crédibilité du discours sur les progrès démocratiques au Togo ?
Le vote du 22 février au Togo est venu s’ajouter à la longue liste des élections africaines qui s’achèvent en laissant les observateurs pantois quant à la sincérité des résultats.
Le processus n’est certes pas terminé puisque les résultats annoncés par la commission électorale — une victoire historique du président sortant avec 72,36 % des suffrages exprimés, soit une progression de 10 points par rapport à l’élection de 2015 — devront être validés par la Cour constitutionnelle. Mais chacun sait que ce n’est pas à cette étape qu’il faut s’attendre à des surprises.
J’ai toujours pensé que la plus grande source de frustration lorsqu’on suit les élections dans plusieurs pays du continent, n’est pas tant la certitude de l’existence de fraudes mineures ou majeures avant, pendant ou après le vote, que le fait de sortir de cette séquence électorale en sachant qu’on ne saura en fait jamais quel candidat a réellement gagné et avec quel score.
Aucune certitude quant à la sincérité des résultats donnés. Aucune certitude sur l’ampleur des irrégularités signalées et dénoncées. Aucune certitude sur l’impact de manipulations antérieures du fichier électoral pour limiter la participation électorale dans des lieux donnés ou pour accroître artificiellement cette participation et les votes favorables dans d’autres localités…
Au Togo, la commission électorale a réalisé l’exploit de donner des résultats officiels provisoires dès le lendemain du vote, soit le dimanche 23 février alors qu’ils n’étaient attendus que dans la soirée du 24. En d’autres circonstances, cette célérité pourrait être considérée comme un indicateur de transparence, la durée du traitement des résultats étant généralement mauvais signe. Mais au Togo, tous les dispositifs qui auraient pu permettre d’apprécier la vraisemblance des résultats en se basant sur un échantillon représentatif de bureaux de vote et sur l’utilisation des téléphones portables pour remonter rapidement les résultats locaux ont été soigneusement écartés. Au dernier moment, plusieurs missions d’observation de la société civile ont été privées d’accréditation. Aucune possibilité non plus pour les médias de communiquer des résultats de bureaux de vote juste après le dépouillage comme c’est le cas dans d’autres pays comme le Sénégal…
Dans ces conditions, les résultats si vite communiqués par la commission électorale ne peuvent que convaincre les partisans nombreux et peut-être effectivement majoritaires du président sortant (on ne le saura jamais) et estomaquer les partisans de l’alternance, peut-être pas aussi minoritaires que ne l’indiquent les maigres scores des candidats de l’opposition réunis, qui, à 5, capitalisent moins de 28 % des voix.
Lorsque l’on travaille à donner du sens aux élections dans nos pays en mettant l’accent sur les programmes, le débat d’idées, et que l’on continue de croire à l’idéal d’une gouvernance démocratique, dont les élections crédibles sont une condition nécessaire mais pas suffisante, un scrutin à la togolaise fait réfléchir encore davantage aux perspectives politiques et sociétales de la région.
S’il est certain qu’on n’aura jamais le sentiment de savoir qui a réellement gagné et avec quel pourcentage, il est aussi certain que les populations togolaises de l’intérieur comme de la diaspora restent profondément divisées quant à la légitimité du président en place depuis quinze ans, qui devrait gouverner pendant au moins cinq années encore, potentiellement dix, puisque la limitation à deux mandats n’entre en vigueur que maintenant. Cette certitude oblige toutes celles et ceux qui se sentent concernés par la paix, la sécurité, la cohésion et le bien-être collectif des peuples de notre partie du monde à rester engagés dans tous leurs combats.
Ceci dit, si un jour au Togo, et dans beaucoup d’autres pays, on pouvait juste ne pas avoir la tentation de penser après chaque scrutin qu’on aurait pu, et peut-être dû, se passer de processus électoraux coûteux et consacrer ressources et énergie à répondre à des défis vitaux, cela ferait sans doute une source de frustration et de déprime en moins. »
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Note : ce texte est une version remaniée d’une publication de Gilles Yabi publiée sur sa page Facebook.
* Analyste politique et docteur en économie du développement, Gilles Olakounlé Yabi a œuvré comme analyste politique principal puis comme directeur du Bureau Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group, organisation internationale non gouvernementale qui œuvre pour la prévention et la résolution des conflits armés. Titulaire d’un doctorat en économie du développement de l’Université de Clermont-Ferrand (France), Gilles Yabi a également été journaliste à l’hebdomadaire Jeune Afrique à Paris avant de s’installer à Dakar (Sénégal). Gilles Yabi intervient régulièrement depuis plus d’une quinzaine d’années dans les médias internationaux sur les questions de paix, de sécurité et de gouvernance politique et économique en Afrique de l’Ouest.