« Roger Holeindre était un des derniers représentants du nationalisme soldatique »
La personnalité de Roger Holeindre était hors-norme. Issu d’un milieu modeste, autodidacte du journalisme qu’il avait exercé comme reporter notamment à Paris-Match, il ne parlait ni n’écrivait (dans ses romans et récits) la langue policée et classique de son ami Jean-Marie Le Pen. Son genre n’était pas l’argot parisien de François Brigneau, son compagnon des débuts frontistes, mais l’argot des chambrées militaires, langage usuel d’une vie vouée à l’armée et à une certaine conception de ses valeurs.
Arnaud Menu, qui a publié en 2019 un livre d’entretiens avec lui, le décrit en «éternel soldat de France» bardé de décorations gagnées au feu en Indochine puis en Algérie où il a servi dans les fusiliers-marins avant de trouver pour la vie sa famille chez les commandos parachutistes. Il était un des derniers représentants du nationalisme soldatique, cette tendance de la droite marquée par l’expérience d’un combat perdu et la volonté d’en finir avec un «Système» auquel sont imputées la défaite et la perte de la grandeur nationale. Avec pour conséquence, chez ceux qui comme lui se sont sentis trahis par «les politiques», la remise en cause de la démocratie traditionnelle. Roger Holeindre représentait au FN la génération de ceux qui ont vu finir l’Empire français. Sa mentalité se comprend en lisant son roman Requiem pour trois sous-off publié en 1974. Il y a de lui dans le personnage de Pierre Marchand, pour qui «l’armée, c’est une religion». Avec ses grands prêtres, les commandos parachutistes, vue comme une «caste rigoureuse, la caste des chevaliers des temps modernes». Avec, opposés à une haute hiérarchie militaire jugée arriviste ses héros silencieux et fidèles: les sous-officiers, précisément. Alain Sanders parlant d’un autre de ses livres, Le levain de la colère (1963), écrit: «Les héros du Levain de la colère ont choisi leur camp: c’est celui du courage, de l’insécurité, de la fidélité à la parole donnée ; c’est le camp des copains, de la famille, du clan». Ce sont les valeurs que Holeindre tentera de transmettre en créant en 1985 le Cercle National des Combattants (CNC) et ses Cadets, des jeunes de 8 à 14 ans qui prêtaient le serment suivant: «Je suis fier d’être un cadet. Mon idéal est lié au sol, à la famille, à la patrie.Je jure fidélité au drapeau de notre France.» Il faut dire que celui qui avait commis à 15 ans des actes courageux de Résistance disait avoir appris le patriotisme dans la pension où il séjournait adolescent et dont il sortit définitivement «de droite», non gaulliste s’entend, et même respectant le Maréchal Pétain tout en détestant l’occupant.
Désigné à son retour d’Indochine pour être instructeur guérilla/contre-guérilla, Holeindre veut continuer en Algérie. Ce qu’il fit, toujours commando, notamment près de Tébessa. Revenu à la vie civile, il y ouvrit une maison qui offrait loisirs et formation aux jeunes musulmans. Sa conception de la citoyenneté est alors celle d’un certain nombre de partisans de l’Algérie française: «Un drapeau, trois couleurs». Autrement dit l’assimilation, un changement dans l’approche de la population non-européenne, mais en aucun cas l’indépendance. Car elle était synonyme pour lui de livrer l’Algérie aux communistes et Roger Holeindre, il le montrera plus tard en créant le Front uni de soutien au Sud-Vietnam, était un anticommuniste viscéral, définitif. Outre la fidélité à la parole donnée, c’est ce qui le poussera à fonder le réseau Bonaparte. Cette participation à l’OAS lui vaudra trois ans et demi d’incarcération.
Tous les livres consacrés à la droite nationaliste ont écrit en détail son parcours ultérieur, le service d’ordre de la campagne Tixier-Vignancour en 1965, les affrontements physiques avec l’extrême-gauche en 1968, les divers épisodes de la pré-fondation du FN dans lesquels il joue un rôle de rassembleur, de facilitateur entre les multiples factions du camp national, qui se retrouve dans son restaurant, le Bivouac du Grognard. Militant unitaire, Holeindre continuait ainsi l’aventure du Cercle du Panthéon qui auparavant avait tenté de ressouder une mouvance brisée par la répression de l’OAS, déjà divisée entre nationalistes-révolutionnaires (Ordre Nouveau) et «nationaux» (Le Pen, Bidault) et dont s’étaient écartés les métapoliticiens de la future Nouvelle Droite.
Sa disparition a été saluée, de manière très factuelle, par Marine Le Pen, qui a rappelé ses actes de résistance et un de ses métiers, ouvrier métallurgiste. Mais Roger Holeindre était d’une autre génération dont les repères ne disent plus grand-chose aux bataillons des électeurs frontistes, et même aux jeunes militants. Dans son livre d’entretiens avec Arnaud Menu, il expliquait avoir dit, à l’Assemblée nationale, ce que le général Bigeard devenu ministre de Valéry Giscard d’Estaing écrira en 2006 dans son livre Adieu ma France. Même vision de la décadence, de l’armée comme creuset de la nation et colonne vertébrale du pays. Mais l’affaire algérienne les a fait se placer de deux côtés opposés alors que leurs idées étaient identiques.