19.12.2024
Coronavirus : lutter contre une épidémie
Tribune
30 janvier 2020
Le risque épidémique n’est pas nouveau, il a façonné l’humanité de manière spontanée et importée, avant même de jalonner l’Histoire. Lorsque de chasseur-cueilleur, l’Homme est devenu éleveur, il a perdu une vingtaine de centimètres de taille moyenne et quelques années d’espérances de vie, qu’il mettra environ dix mille ans à récupérer… oui, en ce moment même ! La proximité des animaux auprès des Hommes qu’imposaient les premières techniques d’élevage a favorisé la transmission des éléments pathogènes de l’animal vers l’Homme.
La peste noire a frappé de son sceau la fin du Moyen-Âge, en marquant les esprits pour le millénaire à venir de 50 millions de morts et 8 ans de paix autour du bassin méditerranée après le début de l’épidémie. 150 ans plus tard, de l’autre côté de l’océan, c’est à la variole que les conquistadors doivent leur victoire sur les populations amérindiennes.
30 millions de morts pour la grippe espagnole à la sortie de la Première Guerre mondiale, le double des pertes humaines de cette guerre qui vient de se finir et que tout le monde s’accorde à qualifier de boucherie.
Plus proche de nous, le SARS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 nous a fait peur. On a répété l’expérience moins de 6 ans plus tard avec la grippe aviaire qui déclenche des plans de vaccination massive, qui seront par la suite très critiqués autant par leurs ampleurs que par leurs coûts.
Virus, bactéries et autres organismes pathogènes sont aussi petits que source d’inquiétude, notre imaginaire puisant dans l’inconscient collectif que sous-tend cette rapide fresque historique, au risque de basculer parfois en hystérie collective.
Et c’est là, le maillon faible du risque épidémique : l’Homme, et surtout sa peur qui va se nourrir des fausses rumeurs et propager un comportement non adapté, qui parfois se révèle plus pathogène que la maladie elle-même.
Les fausses rumeurs, ce sont elles qui ont permis en 2014 à Ebola de faire un peu plus de 11 000 morts, le mode de transmission touchait à la culture et aux traditions ancestrales. Il est alors plus aisé de penser qu’un bain d’eau salé permettait de se protéger du virus que de remettre en cause les préceptes ancestraux de mises en terre des défunts. Les théories du complot dont les réseaux sociaux se sont fait la caisse de résonnance ont attisé cette méfiance de la population. Aujourd’hui, pour ne pas répéter les mêmes erreurs et limiter l’épidémie au maximum, il est important de faire la part des choses et de ne pas céder à la panique, aux fakemed et aux théories en tout genre…
Identification du Coronavirus
Et non pas « coronarovirus » comme on le voit souvent sur internet. Pourquoi ce lapsus ? Une « coronaro » est l’examen diagnostic et thérapeutique clef en cas de coronaire (artère vascularisant le cœur) bouchée, un infarctus en devenir en somme. Les maladies cardio-vasculaires étant très présentes dans nos sociétés, c’est un mot que l’on entend relativement souvent et le cerveau fait le raccourci.
Ce « Novel 2019-Co » virus est une nouvelle souche de virus de la famille des coronavirus qui n’avait pas été identifiée chez l’homme auparavant. Il sera probablement nommé différemment le jour où l’on parviendra à identifier l’animal dont il est originaire.
Une des particularités de ce coronavirus est de pouvoir infecter les animaux et l’Homme. Comme cela a été le cas pour le SARS (Syndrome respiratoire aigu sévère) en 2002, transmis à l’homme par la civette, et le MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient) en 2012 avec le dromadaire. C’est donc une zoonose. Il est primordial d’identifier l’animal source de l’épidémie, afin de limiter les risques de résurgences de la maladie dans l’espace (dans une ville voisine), mais aussi le temps.
Le 31 décembre 2019, le premier cas d’une pneumonie inconnue s’est déclaré au « marché de la mer » de Wuhan (Chine). D’autres cas similaires ont suivi, amenant les autorités à formuler l’hypothèse que la source provenait du marché, marché fermé le lendemain.
Très rapidement le système sanitaire chinois a identifié le virus et mis à jour sa séquence génétique. Suivant le protocole du règlement sanitaire international qu’elle a signé en 2005, la Chine a partagé cette détermination avec les autorités sanitaires régionales et internationales, telles que l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ce partage d’information a permis une identification rapide du Novel 2019-Co sur les cas importés au-delà des frontières de la Chine. Suivi d’un déclenchement rapide de recherche de contact et une prise en charge adaptée. C’est pourquoi aujourd’hui encore, les nombres de cas sont aussi limités hors des frontières de la Chine.
L’identification du virus est primordiale pour apporter les soins adaptés au patient lui-même. La recherche de contact n’amène rien au patient, mais protège la population dans son ensemble. C’est le principe de la santé publique. Or protéger la santé publique (la population) permet à moyen et long terme de protéger l’individu. C’est donc un cercle vertueux et indispensable.
La transmission interhumaine est établie depuis le 19 janvier, avec l’hypothèse forte d’une transmission dans le cadre d’un contact étroit. La maladie se transmettrait par les postillons (éternuements, toux) dans un rayon d’un mètre. La recherche des personnes contacts (c’est-à-dire les gens ayant été en contact étroit avec des cas confirmés de coronavirus) et leur mise en observation ont pour objectif de limiter la propagation du virus sur des transmissions de seconde, troisième et quatrième générations.
Le Novel 2019 Co en définitions et quelques chiffres :
Le coronavirus entraîne des signes cliniques d’infection respiratoire aiguë basse, de la fièvre, une toux… d’un banal rhume à la pneumonie grave pouvant entraîner le décès du patient. Cependant la grande majorité des personnes infectées présentent une pathologie modérée, donc non sévère.
En date du 27 janvier, on dénombre 2798 cas et 80 décès, tous en Chine.
La majorité de ces décès sont survenus chez des patients qui étaient déjà porteurs de pathologies telles que l’hypertension artérielle, le diabète et maladies cardio-vasculaires pouvant diminuer l’efficacité du système
Sur les 2798 cas de Novel 2019 Co confirmés, 37 sont apparus hors de Chine. Trente-quatre d’entre eux avaient été à Wuhan dans les 14 jours précédant l’apparition des symptômes. Les trois restants seraient des cas de transmission dite de seconde génération. C’est-à-dire qu’ils auraient eu des contacts directs, avec des patients étant allés au marché de Wuhan.
Actuellement, il y a en Chine 5794 cas suspects en attente de confirmation/infirmation d’une infection, de quoi faire potentiellement grimper les chiffres de cas confirmés très rapidement. C’est également le cas aux États-Unis, où 73 patients sont en attente du même diagnostic.
N’est considéré comme « cas suspect », qu’un patient présentant des signes cliniques d’infection respiratoire aiguë basse grave nécessitant une hospitalisation, associée à une des deux conditions suivantes :
- Ayant voyagé ou séjourné dans la ville de Wuhan en Chine dans les 14 jours précédant la date de début des signes cliniques.
- Ayant eu un contact étroit avec un cas confirmé d’infection au 2019-nCoV, pendant que ce dernier était symptomatique.
La composante géographique et/ou le contact étroit avec un cas confirmé sont donc déterminants pour faire de vous un « cas suspect », puisque les signes cliniques eux ne le sont pas.
« Mais que fait le gouvernement ? »
Plusieurs niveaux de préparation et de prévention
- Le système de santé français lui est prêt depuis 2003. Prêt à recevoir et prendre en charge des patients suspects et/ou confirmés.
- Des établissements de références sont identifiés, où sont pris en charge les cas suspects (trois en France à ce jour, et qui sont tous passés par le marché de Wuhan) et les contacts mis en observation pendant 14 jours (temps d’incubation maximal du Novel 2019-Co).
- Les services d’Urgence et SAMU sont formés à la prise en charge en cas de patient suspect (même si les recommandations à la population sont de ne pas aller aux urgences si vous suspecter une infection au Novel 2019-Co, mais d’appeler le 15).
- Les agences régionales de Santé s’occupent de la procédure d’identification et de suivi des cas contacts.
- L’Institut Pasteur a développé un test diagnostic permettant d’avoir des résultats rapidement.
- Informations aux voyageurs :
- Un système d’information a été mis en place dans les aéroports afin de sensibiliser les voyageurs au risque épidémique et d’améliorer leur vigilance en cas d’apparition de symptômes. Ces posters dans les aéroports ont été source de railleries sur les réseaux sociaux, mais cibler les populations en mouvement est pourtant l’un des outils les plus efficaces dans la lutte contre les épidémies. C’est comme ça que l’Inde en 2009 a su éradiquer la Poliomyélite de son territoire, en vaccinant et informant les populations dans les gares, aux arrêts de bus, dans les trains… Aujourd’hui, 11 millions de personnes prennent l’avion chaque jour, dans un contexte d’épidémie qui pourrait potentiellement devenir une pandémie (pathologie présente sur tous les continents), il est indispensable de cadrer les aéroports.
- Il n’y a pas à ce jour de screening « température » aux aéroports de manière générale, parce que la température peut avoir été occultée par un doliprane, parce qu’on peut avoir une fièvre due à un paludisme, une otite, une angine, une réaction vaccinale…
- Si on voyage vers l’Asie, évitez tout contact avec des animaux vivants ou morts ni ne mangez de viande crue ou peu cuite.
- Informations à la population :
- Privilégier le lavage de main, utiliser des mouchoirs jetables, éternuer dans son coude, comme c’est le cas en temps de grippe saisonnière.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a à ce jour pas déclaré l’urgence sanitaire d’ordre international, en argumentant le petit nombre de cas importés (les 37 cas sur 2798 au total à ce jour) et l’importance des moyens mis en place par la Chine pour circonscrire l’épidémie.
La Chine a déjà 3 municipalités, dont Wuhan, qui ont mis en place une quarantaine. La recherche de cas suspects est très active au sein des hôpitaux et dans la population générale dans la ville de Wuhan, les marchés sont inspectés, toutes les provinces de Chine recherchent de nouveaux cas. La population est sensibilisée sur les mesures à respecter.
Quelle est la suite ?
La suite immédiate s’écrit au jour le jour, beaucoup d’incertitude encore autour de ce nouveau coronavirus : son taux de létalité, son mode exact de transmission, son origine, sa gravité, sa contagiosité… Au jour du 28 janvier, hors des frontières de la Chine et si vous ne revenez pas de Wuhan et sa région, il est fort probable qu’individuellement le risque soit assez faible. En termes de santé publique, le risque lui est considéré comme élevé, toujours parce qu’il y a 11 millions de personnes qui voyagent chaque jour.
À plus longue échéance, que savons-nous ?
Nous savons d’ores et déjà que de nombreux coronavirus ont déjà été identifiés circulant parmi les animaux sans encore avoir été transmis à l’homme. Ce n’est a priori qu’une question de temps et d’opportunité pour voir l’apparition d’une nouvelle maladie émergente. Comme c’est le cas aujourd’hui, comme cela a été le cas dans les années 70 avec le virus Ebola et en 2014.
Une maladie émergente a pour origine le monde animal (souvent la faune sauvage). C’est une introduction surprise d’un nouvel agent pathogène (aujourd’hui le Novel 2019-Co) suivie d’une dissémination dans une population non immunologiquement préparée.
Cet évènement nécessite généralement une coexistence de 3 phénomènes :
– Modification de l’écosystème : des travaux de déforestation, d’irrigation, des zones suburbaines non contrôlées, des déplacements de population.
– Acquisition de mécanisme de résistance aux médicaments par l’agent infectieux. On touche là à notre problématique de plus en plus présente d’émergence de bactérie résistante aux antibiotiques.
– Baisse de la vigilance des systèmes de contrôle, voire une absence de contrôle. Il est ici question de problématique de financement des systèmes de santé qui est un problème partagé par tous.
En 2001, la déclaration d’Abuja engageait les pays de l’Union africaine à allouer au moins 15 % de leur budget à l’amélioration du secteur de la santé. En 2012, seule la Tanzanie avait atteint cet objectif, quatre pays en 2014… Du fait de sa forte présence géographique dans la bande tropicale (haut lieu de biodiversité), l’Afrique représente 25 % du poids des pathologies au niveau mondial.
Lors de l’alerte pandémie de la grippe aviaire en 2005, 13 laboratoires ont été financés à travers l’Afrique pour identifier les virus de la grippe sans rien prévoir sur le côté curatif ou préventif des populations. Idem en 2009 avec la grippe A H1N1, les pays industrialisés investissaient dans la prévention et le côté curatif, quand aucune prévention efficace n’était prévue pour les pays à bas revenus, dont les efforts étaient entièrement orientés vers la détection.
Ce déséquilibre dans les moyens mis en œuvre et leurs objectifs, questionne l’éthique bien sûr, mais surtout la pertinence scientifique. La mondialisation et le flux régulier et irrégulier de personnes chaque jour dans le monde rendent caduc ce raisonnement. Si on continue à considérer une « médecine tropicale » et une « médecine occidentale », on risque d’accentuer drastiquement nos problèmes de pandémie à l’avenir.
D’autant plus que le changement climatique, grand pourvoyeur de « modification des écosystèmes », va multiplier les occasions de voir éclore de nouvelles maladies émergentes, là-bas comme ici.