ANALYSES

Alternance à Madrid : vers un retour de l’Espagne en Amérique latine ?

Tribune
24 janvier 2020
 


L’Espagne est sortie en janvier 2020 d’une longue crise de gouvernabilité. Ses origines sont intérieures. Mais en Amérique latine, espace d’excellence de la diplomatie espagnole comme sur d’autres théâtres extérieurs, l’Espagne, faute de gouvernement de plein exercice, est apparue en retrait ces dernières années.

Mariano Rajoy (Parti populaire) a navigué à vue de 2014 à 2018. Pedro Sánchez, socialiste, dirigeait le gouvernement, de façon intérimaire, depuis le 1er juin 2018. Il préside l’Espagne avec toutes les compétences prévues par la Constitution après un vote du Congrès des députés, le 7 janvier 2020.

Cette capacité institutionnelle, appuyée sur une alliance inédite entre socialistes (PSOE) et Podemos, (UP), bénéficiant du soutien sans participation du PNV, peut-elle faciliter le retour de l’Espagne sur la scène internationale, et plus particulièrement en Amérique latine ?

En théorie, oui. Mais l’agenda intérieur, en particulier la gestion de questions sociales dormantes mais pressantes, la réforme du pouvoir judiciaire, la reconversion énergétique, et celle de l’épineux contentieux catalan, vont imposer leurs priorités. Le premier entretien télévisé de Pedro Sanchez le 20 janvier 2020, centré sur ces questions, n’a traité d’aucun sujet de politique internationale de façon significative.

Pour autant un certain nombre d’initiatives amorcées dès juillet 2018, le confirment. L’Espagne a posé les jalons d’un retour en Amérique latine, révélatrice d’une cohérence à long terme.

Pedro Sanchez a effectué plusieurs déplacements politiquement œcuméniques. Il a visité la Bolivie d’Evo Morales, le Chili de Sebastian Piñera, la Colombie d’Iván Duque, le Costa Rica de Carlos Alvarado, la Cuba de Miguel Díaz-Canel, le Mexique d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO). Le Roi, Philippe VI, le 12 novembre 2018, s’est rendu au Pérou, à Cuba, un an plus tard, pour commémorer le Ve centenaire de la fondation de La Havane, puis le 1er décembre, il a assisté à la prise de fonction du président AMLO. Cette ouverture sans exclusive a été rappelée au moment de la COP 25. Bien qu’organisée à Madrid, en décembre 2019, après le désistement du Chili, forcé par les évènements sociaux, la COP a été intitulée, COP Chili. Ce contexte a consolidé la tenue des deux prochains sommets ibéro-américains programmés, l’un en 2020 en Andorre, l’autre en 2022 en République dominicaine.

Ces visites ont été accompagnées de prises de position porteuses d’une double rationalité : celle de défendre le droit. Le Roi, le Président du gouvernement et le ministre des Relations extérieures ont défendu la liberté du commerce et des échanges, condamnant les sanctions adoptées par les États-Unis à l’égard de Cuba et de ses partenaires économiques. Concernant les droits humains, le respect des règles démocratiques, la situation vénézuélienne a fait l’objet de nombreuses remontrances adressées au président Maduro. Mais la nécessité du dialogue et de la négociation pour affronter les crises internationales, et celle du Venezuela en particulier a également été mise en avant à plusieurs reprises.

La situation, intérimaire, du gouvernement de Pedro Sánchez, de juin 2018 à janvier 2020, a sans doute pesé sur les choix affichés pour sortir de la crise vénézuélienne. Pedro Sánchez ne s’est pas associé au processus de Montevideo, inventé par le Mexique et l’Uruguay le 8 février 2019, privilégiant la voie du dialogue. Il a préféré, en reconnaissant comme président intérimaire Juan Guaidó, combiner la pression au dialogue. Afin sans doute de ne pas s’isoler des autres grands Européens qui avaient privilégié derrière les États-Unis, la voie des sanctions. Mais aussi de ne pas prêter le flanc à la critique sur les droits humains émanant de son opposition intérieure, Parti populaire, Ciudadanos et Vox. Aidé par la prise de fonction comme Haut représentant de la politique extérieure européenne de Josep Borrell, ministre des Relations extérieures de Pedro Sánchez en 2018-2019, et par ailleurs plus sûr de lui-même, le gouvernement espagnol priorise aujourd’hui le dialogue. C’est donc Arancha González Laya, nouvelle ministre des Affaires étrangères qui a reçu Juan Guaidó le 25 janvier 2020 à Madrid. La ministre, en accord avec le Haut représentant de l’UE, a signalé la disponibilité de l’Espagne pour accueillir une réunion du Groupe de contact sur le Venezuela mis en place à Montevideo le 9 février 2019.

Les grandes lignes d’un retour en Amérique latine, permettant à l’Espagne de valoriser sa place charnière entre deux continents, ont été justifiées le 6 novembre 2018 devant la commission des Affaires ibéro-américaines du Sénat, par le ministre des Affaires étrangères. Josep Borrell a rappelé en détaillant l’action de l’Espagne qu’il s’agissait « d’une politique d’État ». La continuité des sommets ibéro-américains a été renforcée le 26 novembre 2019 par la création de réunions de ministres des Affaires étrangères.

Reste à savoir si l’Amérique latine intéresse encore l’Europe ? Les derniers Conseils de politique extérieure ont été pour l’essentiel consacrés à l’Iran. Par ailleurs, la France, privilégie le Sahel, la Libye et l’Ukraine, l’Italie privilégie la Libye, et l’Allemagne la Libye et l’Ukraine. Le Venezuela a fait l’objet de simples rappels de condamnations antérieures. Reste à savoir aussi, si l’Amérique latine est en phase avec l’Espagne ? En mars 2019, une exigence d’excuses pour la colonisation a été présentée, à gauche, par le président mexicain. Et à droite, les autorités de fait en Bolivie ont expulsé le 30 décembre 2019 trois diplomates espagnols suspectés de vouloir exfiltrer des proches d’Evo Morales.
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