19.12.2024
Et si Donald Trump décidait de quitter l’OTAN en 2020 ?
Tribune
20 janvier 2020
Disons-le tout de suite, c’est peu probable, tant l’Alliance transatlantique sert les intérêts bien compris des Européens certes, mais aussi des Américains. Donald Trump devrait en outre affronter l’opposition du Congrès qui a adopté l’an dernier, à la quasi-unanimité de ses membres, des motions de soutien de l’Alliance destinées à éviter un retrait. Néanmoins, la Constitution américaine le permettrait. Il pourrait donc dans l’enthousiasme de sa réélection, avec l’imprévisibilité et l’impulsivité qui le caractérisent, décider de sortir du traité de l’Atlantique Nord aussi vite qu’il est sorti de l’Accord de Paris ou du traité avec l’Iran. Alors, comme disent nos amis anglais : What if ?
Un excellent policy game[1] réalisé par la Körber Stiftung et l’IISS a montré que les Européens réagiraient en ordre dispersé. Au-delà de cette simulation, il ne fait aucun doute que pour les Polonais, les Baltes et les Nordiques, la disparition de l’OTAN constituerait une menace existentielle. Ils activeraient le plan B : celui d’accords bilatéraux de défense avec les États-Unis, qu’ils ont du reste déjà pour partie conclus ; ce qui en dit long sur la crédibilité de l’Alliance. Pour l’Allemagne, le retrait américain de l’OTAN constituerait une rupture et l’obligerait à changer du tout au tout son architecture de sécurité. Probablement, ses dirigeants se tourneraient vers la France et le Royaume-Uni afin d’obtenir une extension de leur garantie nucléaire. En réponse, les lignes rouges des Britanniques sont bien connues : pas d’armée européenne ni d’alliance dans le cadre de l’Union européenne. En échange d’un soutien théorique, ils demanderaient l’accès au Fonds européen de la défense et la mise en sommeil d’initiatives trop intégratrices. La France devrait accepter une conversation sérieuse avec l’Allemagne sur la question nucléaire, avec en jeu une codécision à l’image de la double clef américaine dans l’OTAN. Quant aux autres États européens, ils ne bougeraient sans doute pas, car ils ne perçoivent pas la Russie comme aussi menaçante.
Mais si on peut douter de la probabilité d’un retrait américain de l’OTAN, il est certain que sa simple menace exercerait des tensions énormes sur l’unité européenne. Pourquoi Donald Trump se priverait-il de ce puissant levier, lui qui voit en l’Union un ennemi commercial ? Si elle se disloquait, il n’aurait plus face à lui que des États isolés à qui il lui serait facile d’imposer ses deals. La menace est d’autant plus crédible que les Américains dans leur grande majorité se sont persuadés qu’ils subventionnent la protection de l’Europe et que les États qui veulent continuer à en bénéficier doivent payer plus. Tout serait alors sur la table. Il ne s’agirait plus seulement d’acheter des armements, ce qui est déjà le cas, mais de s’aligner sur la politique étrangère américaine que ce soit vis-à-vis de la Chine, de l’Iran ou de tout autre sujet tel que le gaz russe. L’opposition entre les États prêts à des concessions et les autres pèse déjà sur notre unité. Si elle s’aggravait, elle pourrait faire imploser l’Union.
Pour conjurer ce risque, il est urgent de construire sans attendre, et pour de bon, une défense commune qui nous mette à l’abri d’un tel chantage. Les initiatives prises depuis 2016 vont dans le bon sens, mais ne dépassent pas le stade de la coopération. Quant aux initiatives porteuses de changement, tels le Fonds européen de la défense et l’Initiative européenne d’intervention, elles ne produiront leurs effets que dans une dizaine d’années, au mieux. La construction d’une authentique défense européenne, entendue au sens de défense de l’Europe, par l’Europe et pour l’Europe, suppose de passer de la coopération à une plus grande intégration des moyens d’action militaires. Pour cela, il faudra en tout premier lieu construire une instance de décision politique crédible, c’est-à-dire qui soit à la fois efficace, légitime et indépendante de l’entente ou de la mésentente conjoncturelle des dirigeants nationaux : un conseil de sécurité européen. Il faudra ensuite une chaîne de commandement opérationnel robuste, capable d’articuler des forces nationales, comme le fait le commandement militaire de l’OTAN. Ce pourrait du reste être lui, si les Américains (et les Turcs) quittaient l’organisation. Il faudra ensuite un budget commun avec des ressources fixes, qui mette la construction de l’outil militaire à l’abri des conjonctures nationales. Et il faudra enfin au niveau européen, une planification de défense et une planification opérationnelle dignes de ce nom. Le reste, c’est-à-dire l’interopérabilité, les capacités et l’européanisation de l’industrie de défense, suivra.
Le problème est que tous les États européens ne croient pas ou ne veulent pas d’une telle défense européenne. Ils peinent à se penser en tant qu’Européens, faisant partie d’un tout plus grand qu’eux-mêmes. Ne voyant le monde qu’à travers leur prisme national, ils se réfugient dans un protectorat qui les conforte par sa puissance et les rassure d’autant plus qu’il est lointain.
Alors que faire ? Le plus urgent est qu’Allemands et Français retrouvent le chemin de la concorde, dans le silence qui sied aux projets fondateurs, et qu’ils agrègent autour d’eux les autres États européens convaincus. Il faut sortir du statu quo et des faux-semblants, assurer la cohérence de ce qui a été fait jusqu’à présent et progresser vers l’indispensable unité d’action dont l’Europe a besoin.
Même si les Américains ne quittent pas l’OTAN, la responsabilité des Européens dans leur défense doit s’accroître. Il en va désormais de la survie de l’Union.
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[1] Liana Fix and Bastian Giegerich – Körber Stiftung and International Institute for Strategic Studies – War on the Rocks 29 novembre 2019 –- European Security in Crisis: what to expect if the United States withdraws from NATO.