21.11.2024
Tensions entre les Etats-Unis et l’Iran : en Irak, la France est « dans une situation très délicate »
Presse
7 janvier 2020
La présence de la France en Irak ne date pas d’hier, puisqu’elle agit dans la lutte contre le terrorisme depuis fin 2014, avec d’autres forces occidentales. A l’époque, c’est à la demande de l’Irak qu’est mise en place la coalition antiterroriste. Au sein de ce groupe, la France participe activement, aussi bien avec ses forces aériennes qu’avec des instructeurs – quelques centaines – pour former les soldats irakiens. Après, les relations diplomatiques n’ont cessé de se renforcer de façon satisfaisante entre les deux pays, qui y trouvaient tous les deux leur compte. Pour l’Irak, c’était sa souveraineté, et pour la France c’était faire le pari, assez juste, de se dire que si Daech se développait et contrôlait de façon durable une partie de l’Irak – avec des structures importantes aussi bien sur le plan militaire que politique, et dans sa communication – alors l’Europe serait menacée.
L’intérêt de la France est donc essentiellement de protéger sa population. Tout part d’abord de là. Ensuite se sont créés de réels liens politiques. De la visite de François Hollande dans le pays en janvier 2017, à la venue du Premier ministre [irakien] en France en mai dernier. La question des prisonniers de l’Etat islamique n’est que très récente. Quand l’Irak accepte, de façon totalement exceptionnelle et surprenante, de loger temporairement des ressortissants Français accusés d’avoir combattu au sein de l’Etat islamique au lieu de les expulser vers leur pays, c’est surtout un élément supplémentaire pour montrer que les relations sont excellentes. C’est presque un détail dans l’histoire des bonnes relations entre les deux pays.
Pourquoi, alors, Emmanuel Macron a-t-il rappelé à Donald Trump son « entière solidarité » après l’attaque de l’ambassade américaine à Bagdad ?
Karim Pakzad: Cette position va à contresens du développement des relations qu’il y a eu entre les deux pays. Je considère même qu’elle est contre-productive. Elle fait perdre un statut privilégié à la France, qu’elle a hérité de 2003, lorsqu’elle a dit « non » à George Bush, refusant d’accompagner les Etats-Unis dans leur guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. Une position alors perçue comme très courageuse. Dans l’histoire du pays, l’intervention de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU, le 14 février 2003, est restée dans les mémoires. C’est un discours remarquable et remarqué dans le monde entier. La France prend alors la tête de l’opposition à l’action des Etats-Unis, faisant l’analyse, qui va s’avérer juste, que cette guerre, au lieu de stabiliser la région et installer la paix, provoquera encore plus de désordre. La France avait vu juste, puisqu’on sait désormais que l’Etat islamique est le pur produit de cette intervention. C’est exactement le même cas de figure que nous avons aujourd’hui. Les Etats-Unis violent la souveraineté d’un pays et les règles internationales.
Cette fois-ci, la France s’est placée en solidarité avec son allié américain, sans tenir compte de ce qu’il s’est passé, de façon aveugle. La seule raison étant celle de suivre une règle diplomatique très ancienne qui est celle de se dire que les Etats-Unis sont toujours nos alliés. Mais peut-on réellement parler d’un allié lorsque le pays ne prend jamais en compte les intérêts français ? Peut-on parler d’un allié lorsqu’il agit sans même consulter la France ?
Alors pourquoi les Etats-Unis agissent de la sorte, menant la France dans son sillage, personnellement, je me pose la question. Je crois que Donald Trump tente de maintenir la tension pour favoriser l’opinion dans son pays en son sens. Mon intuition étant celle de me dire qu’il était parfaitement au courant que des échanges avaient lieu entre l’Arabie Saoudite et l’Iran – deux puissances régionales pourtant rivales – et que le Premier Ministre irakien faisait la médiation. Et c’est d’ailleurs le jour où le général Soleimani était attendu en Irak, dans le cadre de ces tractations, qu’a eu lieu son assassinat.
Au-delà de perdre son statut de partenaire diplomatique, la France risque-t-elle de perdre un allié économique dans la région ?
Karim Pakzad: Absolument. Entre l’intervention des Etats-Unis et la guerre contre Daech, l’Irak est un pays à reconstruire entièrement. S’il a beaucoup de problèmes, notamment la corruption, cela reste un pays riche, notamment grâce au pétrole. Avec ses relations avec le pays, la France avait réussi à trouver une place privilégiée. [Un milliard d’euros devaient être affectés, via l’Agence française de développement, à des projets de reconstruction, NDLR.] La France a déjà beaucoup perdu dans la région, notamment à cause des sanctions américaines en Iran, mais aussi à cause de relations dégradées avec la Turquie et totalement inexistantes avec la Syrie. Alors, si on perd aussi cet allié, c’est l’influence du pays dans la région qui devient ultra-limitée. La France est donc clairement dans une situation délicate. En principe, elle soutient les Etats-Unis, de l’autre, elle y perd ses intérêts.
Y a-t-il un réel danger pour les ressortissants français ?
Karim Pakzad: Selon moi, les Français sur place ne risquent rien pour le moment. Présent pendant deux ans sur place, j’ai vu la situation à Bagdad. Et je peux vous dire que, si l’ambassade n’est pas dans la zone verte [la zone sécurisée où se situe l’ambassade américaine, NDLR], elle ne risque pas grand-chose, tant la France a une bonne image dans le pays. Pour vous donner une idée, en septembre 2016, j’ai vu des gens se plaindre de ne pas trouver de place à l’Alliance française pour apprendre le français ! Aujourd’hui, personne n’envisage que l’ambassade puisse être exposée.
Sur le plus long terme, tout dépend évidemment de l’évolution de la situation. Car théoriquement, si on suit la charte de l’Otan, la France devra venir en aide si les Etats-Unis sont visés. Donc, en théorie, un conflit est possible. Mais pour l’instant, Emmanuel Macron et ses partenaires de l’Union européenne ne sont pas dans cette position-là, préférant celle de la discussion, à la recherche d’une solution. Il suffit de voir que, malgré la solidarité affichée avec Donald Trump, Emmanuel Macron a appelé toutes les parties. Preuve qu’il veut surtout calmer le jeu.
Propos recueillis par Felicia Sideris