21.11.2024
Les Uns et les Autres
Correspondances new-yorkaises
7 janvier 2020
On peut se demander quel diable a poussé Nancy Pelosi, l’inamovible cheftaine du parti de l’âne à la Chambre des représentants, à lancer il y a quelques mois cette étrange procédure de destitution contre Donald Trump. Procédure qui semble en ce début d’année s’enliser, mais qui finira bien par arriver tôt ou tard entre les mains des sénateurs où elle se conclura bien évidemment en faveur du président américain.
Vu les dernières enquêtes d’opinion, c’est peu dire que le bien-fondé de la démarche peine à convaincre au-delà des électeurs démocrates. Interrogée en décembre par CNN, Nancy Pelosi a d’ailleurs été contrainte de se livrer au difficile exercice de justifier sa position contre le président états-unien. Position qui constitue un revirement par rapport à celles qu’elle a pu prendre par le passé. En 1998, elle s’était en effet refusée à soutenir la procédure enclenchée contre Bill Clinton – on peut comprendre, c’était son patron, et puis Weinstein n’avait pas encore fait parler de lui -. Mais, plus étonnant, quelques années plus tard, elle n’avait pas souhaité pousser les démocrates à lancer une procédure contre le président républicain George W. Bush, pourtant son adversaire politique, et alors que celui-ci avait menti sur la présence d’armes de destruction massive en Irak. Une décision dont la logique est difficilement compréhensible aujourd’hui, mais qu’elle a tenté d’expliquer au moyen d’arguments particulièrement alambiqués : « Je savais qu’il n’y avait pas d’ADM en Irak. Il n’y en avait vraiment pas. […] Je savais que la présentation des faits au public était erronée. Mais après avoir dit ça, de mon point de vue, cela ne constituait pas un motif de destitution. » Ok…
S’apercevant de l’incompréhension que peut susciter une telle position, la guerre en Irak ayant tout de même fait plus de 100 000 morts, Nancy Pelosi a essayé de se rattraper aux branches. Sans grand succès : « Les républicains avaient entamé une procédure de destitution contre Bill Clinton quelques années auparavant ; je ne voulais pas que cela devienne un mode de vie dans notre pays ». En d’autres termes, Nancy Pelosi a donc expliqué avoir refusé de tenter de destituer George W. Bush, responsable de centaines de milliers de morts sur la base d’un mensonge, pour que la procédure ne devienne pas « un mode de vie » de la politique américaine. Mais elle n’a pas hésité à lancer la démarche contre Donald Trump pour une affaire bien moins grave et alors qu’aucune preuve véritablement tangible n’étaye les accusations. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky répétant par ailleurs à l’envi qu’il n’y a pas eu de quiproquo, c’est-à-dire que Trump ne lui a jamais dit que l’aide américaine était conditionnée à l’ouverture d’une enquête sur l’entreprise ukrainienne qui employait le fils de Joe Biden.
À en croire donc les sondages, tout ce cirque est loin d’avoir convaincu l’opinion et a plutôt renforcé l’image d’un président qui après avoir été innocenté sur le dossier russe n’en finit pas d’être harassé par les démocrates alors qu’il est occupé à combattre les méchants Iraniens. Ainsi d’après Real Clear Politics, le nombre de personnes favorables à la destitution est en baisse depuis le mois d’octobre, alors que celui de celles qui s’opposent à la démarche augmente. Plus grave pour le camp démocrate en vue de la présidentielle de novembre, la cote de Trump remonte dans trois États clés. Dès octobre, le président américain battait tous les prétendants démocrates dans le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie. Et toujours à en croire Real Clear Politics, son avance s’est aujourd’hui largement creusée, notamment vis-à-vis de Joe Biden. Entre une procédure de destitution, qui apparaît de plus en plus motivée politiquement, et des indicateurs économiques qui sont tous au vert, les électeurs indécis semblent malheureusement à l’heure actuelle pencher en faveur de Donald Trump.
So, Nancy, why did you do that?! … Maintenant et sur ce dossier ? Tant de meilleures opportunités se sont présentées depuis trois ans… Est-ce pour conserver une influence, et donc un pouvoir, qui commençait à vous échapper au profit des nouvelles étoiles de l’aile gauche du Parti, dont la jeune et brillante Alexandria Ocasio-Cortez que vous ne comprenez pas et qui vous fait tellement peur est la figure de proue ?
Enfin, pendant ce temps, la vie n’en continue pas moins au parti des ânes et du haut de ces moins 5 % dans les sondages, Michael Bloomberg, nouveau champion autoproclamé du progressisme, n’en finit pas de faire preuve d’humanisme et de charité sociale en offrant, par exemple, un job de Noël à certains de ses concitoyens les plus défavorisés.
En effet, on a très récemment appris que l’équipe de campagne de Bloomberg avait embauché une société de centre d’appels, ProCom, pour faire de la communication téléphonique et cela en utilisant des personnes incarcérées dans au moins une prison américaine : le centre correctionnel Eddie Warrior, une prison pour femmes à sécurité minimale d’une capacité de plus de 900 personnes. Les détenues démarchaient donc des électeurs au téléphone afin de les convaincre de voter pour le généreux multimilliardaire. Ces militants d’un genre nouveau devaient mettre fin à leurs appels en révélant que ceux-ci étaient financés par la campagne Bloomberg – par contre, interdiction bien évidemment de dire qu’ils appelaient de derrière les barreaux. « Nous ne le savions pas, nous n’aurions jamais permis une chose pareille ! », a déclaré la porte-parole de Bloomberg, Julie Wood, après que l’affaire ait éclaté. « Nous ne croyons pas à cette pratique et nous avons maintenant mis fin à notre relation avec le sous-traitant en question. »
Mais rassurez-vous, progressistes de tous les pays, l’équipe de communication de Michael Bloomberg n’a pas dit son dernier mot ! Rien qu’au cours des trois premières semaines qui ont suivi l’annonce tardive et tant espérée par les couches populaires de sa candidature, l’ancien maire de New York a dépensé environ 120 millions de dollars, ce qui, selon Politico, représente plus du double des dépenses publicitaires combinées de tous les autres candidats démocrates en 2019.
Avec tout ça, aucun doute n’est donc permis, le grand soir est pour bientôt pour notre insoumis américain !
Quant à Joe Biden, jamais à court d’une idée lumineuse pour convaincre les électeurs démocrates de se déplacer en masse le jour du vote, il vient de déclarer qu’il envisageait sérieusement de choisir un républicain comme colistier. Donc comme possible vice-président…
Entre nous, à voir les uns et les autres, Nancy, Michael et Joe, on peut se demander si repousser l’âge du départ à la retraite est vraiment une bonne chose…
Sur ce, bonne année à toutes et à tous !
______________________________________
Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son prochain ouvrage, « Pauvre John ! Le cauchemar américain », sortira courant 2020 chez Max Milo.