ANALYSES

Procédure d’impeachment contre Trump : péril ou aubaine ?

Tribune
12 décembre 2019


La procédure d’impeachment lancée contre Donald Trump étouffe la vie politique américaine, alors que les primaires démocrates vont bientôt se tenir, à un an des élections présidentielles. Cette procédure d’impeachment peut-elle avoir un impact réel ? Le point de vue de Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS.

Où en est-on pour la mesure d’impeachment contre Trump ? A-t-elle plus de chances d’aboutir que les précédentes ?

La procédure sera certainement menée à son terme, mais aura très peu de chances d’aboutir à la destitution du président. Les deux chefs d’accusation qui ont été retenus — à savoir abus de pouvoir et obstruction au travail parlementaire — vont donner lieu à un vote à la Chambre des représentants. Celle-ci va très certainement voter la mise en accusation et ensuite, le Sénat se transformera en tribunal pour juger Donald Trump.

Étant donné le rapport de force entre républicains et démocrates au Sénat, il faudrait que vingt sénateurs républicains votent l’impeachment, ce qui, en l’état, n’a aucune chance d’arriver. Il y en aura peut-être quelques-uns mais pas plus. D’autant que les auditions publiques qui ont lieu à la Chambre de représentants n’ont pas occasionné de retournement de l’opinion chez les électeurs républicains, comme l’auraient souhaité les démocrates. L’opinion publique est extrêmement clivée pour ou contre Trump ; ce niveau d’opposition est inédit dans l’histoire récente du pays.

Si l’on compare cette procédure à celle vécue par Nixon en 1974, par exemple, l’ancien président républicain avait de grandes chances de subir un impeachment face à un Congrès démocrate et il avait alors démissionné. Le rapport de force politique est favorable à Trump au Sénat.

Cette mesure d’impeachment met-elle en danger la campagne de Trump pour être reconduit en tant que candidat des républicains et pour briguer un second mandat ?

En tant que candidat, Trump n’est pas du tout mis en danger et a même tendance à être renforcé dans son propre camp par cette procédure d’impeachment. Celle-ci conforte une dynamique qu’il a mise en place depuis son élection : la galvanisation de ses sympathisants. Sa stratégie est d’être réélu dans un certain nombre de swing states, car, à ce stade, il a très peu de chance de remporter le vote national et doit donc gagner, comme en 2016, dans un petit groupe d’États pivots. La procédure ne le met pas en danger comme candidat républicain parce que les élus du Grand Old Party se rangent derrière lui, plus par solidarité politique et donc par intérêt électorat que par conviction.

Étant donné qu’il ne sera probablement pas destitué, il diffusera largement le message qu’il a, selon lui (et non pas dans les faits), été blanchi deux fois — suite au rapport Mueller sur l’ingérence russe dans la campagne de 2016 et dans l’affaire ukrainienne — pour servir ses arguments. Trump fera tout pour faire de la procédure d’impeachment une force.

Comment la mesure d’impeachment peut-elle être utilisée dans le camp démocrate ? Où en la primaire démocrate ? Y a-t-il un candidat démocrate qui émerge ?

Il est encore trop tôt pour dire ce qu’il va en être, mais il est sûr que côté démocrate, on mènera la charge contre le Trump corrompu, le Trump traître à la nation, le Trump qui agit pour ses intérêts personnels et non pour les intérêts des États-Unis… Car il n’y a aucun doute quant au fait qu’il a souhaité établir un marchandage (un « deal ») avec le président ukrainien : une aide financière américaine en échange d’une enquête contre Joe Biden et son fils. Les faits sont accablants.

Néanmoins, il n’y a pas encore de candidat.e démocrate qui émerge. Jusqu’au déclenchement de la procédure d’impeachment, Joe Biden était en tête, mais il est fragilisé par les soupçons (infondés) sur son fils Hunter. Les débats télévisés entre les différents candidats démocrates ont aussi permis à d’autres figures d’avancer leur pion, comme Elizabeth Warren, ou de se faire remarquer, comme Pete Buttigieg.

La première primaire démocrate aura lieu début février et son résultat est très incertain pour l’instant. Pour l’heure, le fait d’avoir énormément de candidats fragilise le parti, l’empêchant d’avoir une ligne claire et un programme consensuel auprès de ses électeurs, au vu des grandes différences entre Joe Biden et Elizabeth Warren par exemple.

Trump profite pour le moment d’être seul face à une multitude de candidats démocrates, mais au fur et à mesure des primaires, un ou une prétendant.e se détachera à gauche, ce qui changera totalement la partie et établira un nouveau rapport de force. Le suspense est à son comble pour novembre 2020.
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