Samjiyon, en Corée du Nord, échappera-t-elle au destin funeste de toutes celles qui l’ont précédée ailleurs dans le monde ?
En Corée du Nord, un vaste mouvement de propagande a accompagné cette semaine l’inauguration d’une ville nouvelle, bâtie selon les principes de l’utopie socialiste, Samjiyon. Partout ailleurs dans le monde, les villes construites sur ce type de modèles s’effondrent.
Quelles sont les caractéristiques de la ville utopique dans le modèle socialiste ? En quoi Samjiyon en est un des avatars ?
Ce type de construction urbaine répond à des schémas idéologiques précis. Rapidité de son exécution, mobilisation de masses, gigantisme des monuments…Nous sommes dans la performance architecturale. Le but est d’impressionner et dans le même temps de masquer la misère, l’exploitation d’une population tenue en servage. L’un des exemples les plus connus dans le monde communiste fut l’édification de l’Assemblée Nationale Populaire et le musée d’Histoire et de la Révolution à Pékin sur la place Tiananmen, en 1958, et ce, en quelques mois seulement, alors que le pays commençait à être plongé dans une crise majeure (la famine et ses quarante millions de victimes…) provoquée par le Grand en avant. Samjiyon s’inscrit dans cette tradition, cette propagande. Située à quelques kilomètres de la frontière chinoise, elle correspond à une région historique, celle de la résistance des communistes coréens contre les Japonais. Elle se trouve aussi au pied du mont Paetku qui, dans la mythologie politique du régime nord-coréen associe la famille régnante des Kim à des divinités quasi surnaturelles. L’inauguration en grande pompe de la ville par le dirigeant Kim Rong-un le hisse au rang de démiurge constructeur, bravant les éléments et partant, l’hostilité des Etats-Unis. Ce geste pourrait annoncer une réalisation cette fois-ci beaucoup plus martiale en cette veille de Noël, comme un nouveau tir de missile par exemple…
Que ce soit en Pologne, à Nowa Huta, en Allemagne, avec Eisenhüttenstadt, ou en Suède avec le « Million Program », des projets de ce type ont été mis en place dans les années 1950 en Europe. A quoi ont-ils abouti socialement et économiquement ?
Même si la finalité de certains de ces projets répondait à des besoins de propagande, il s’agissait aussi de reloger des gens dans des régions qui, rappelons le, avaient été entièrement détruites pendant la guerre. Ici à Samjiyon, ville au climat continental, dotée d’importantes infrastructures de ski, il s’agit, peut-être, de satisfaire une partie de la nomenklatura, de ses familles voire de l’ouvrir à terme à un tourisme chinois qui rapportera des devises au régime. L’aménagement de l’espace de cette ville en aires fonctionnelles correspond aussi à un besoin politique: la surveillance de la population dans ses faits et ses gestes. C’est « surveiller et punir » à l’ère d’internet et du ludisme totalitaire. L’efficacité d’un tel projet se juge ici moins en termes économiques que politiques.
Finalement, est-ce un véritable projet de planification qui a été mis en place ou est-ce plutôt une vaste opération de soft power, emblématique de la dictature de Kim Jong Un ?
Les deux. Et ce mélange des genres démontre une fois de plus la redoutable efficacité du régime à s’adapter à une conjoncture qui lui est certes hostile mais dont il parvient à tirer profit.