19.12.2024
Vers la paix en Ukraine ?
Interview
11 décembre 2019
Le sommet sur l’Ukraine a eu lieu le lundi 9 décembre à Paris et a réuni la formation Normandie, composée des présidents français, ukrainien, russe et de la chancelière allemande. Cinq ans après le début de la crise ukrainienne, quelles nouvelles perspectives ce sommet ouvre-t-il sur la situation en Ukraine ? Le point de vue de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France en Russie.
Quels étaient les objectifs de ce sommet ? Ont-ils été accomplis ?
L’objectif principal était la relance du processus de Minsk, encalminé depuis trois ans.
Avoir réussi à réunir les quatre principaux protagonistes — les présidents ukrainien, russe, français et la chancelière allemande — est en soi un résultat, signifiant une relance politique majeure d’un processus qu’on estimait presque moribond.
Des mesures de confiance ont été prises lors de ce sommet : le cessez-le-feu est consolidé, un nouvel échange de prisonniers devrait avoir lieu avant la fin de l’année, le désengagement militaire de la ligne de front devrait être effectif en mars 2020, le déminage reprend…
La dérive qui faisait que le Donbass s’éloignait de plus en plus de l’Ukraine peut commencer à s’inverser : le pont de Stanytsia Louhanskaia a été remis en service avant le sommet et de nouveaux points de contact seront établis dans les 30 jours, les habitants du Donbass pourront aller chercher leur retraite ou se faire soigner de l’autre côté de la zone de contact… La confiance envers l’Ukraine pourrait revenir petit à petit dans le Donbass, ce qui serait un élément positif pour l’application des accords de Minsk.
La formation Normandie a prévu de se réunir à nouveau en mars prochain, signifiant une relance concrète du processus de paix entre la Russie et l’Ukraine.
Où en est la situation dans le Donbass ? Quelle est la réalité du conflit sur le terrain ?
Le conflit dans le Donbass a généré depuis ses débuts entre 13 000 et 14 000 morts. Depuis les accords de Minsk, il est de plus faible envergure, et aujourd’hui on peut en parler davantage comme une zone de tensions que comme une zone de conflit ouvert, même si des accrochages et incidents ont toujours lieu.
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, élu en 2019, a — relativement — réussi à faire reculer l’influence des groupes paramilitaires loyalistes ukrainiens et des groupements d’extrême droite dans l’armée ukrainienne, ce qui a contribué à alléger la tension dans les zones de contact.
Le retrait, avant le Sommet, des troupes armées des deux camps de trois points de contact où des affrontements réguliers avaient lieu — Petrivsky, Stanytsia Louhanskaia, Zolote —, les échanges de prisonniers, ont également contribué à l’apaisement de la situation. Le processus de cessez-le-feu est donc en train de se consolider. Et l’on peut raisonnablement penser qu’avec le sommet qui vient de se tenir, celui-ci, prévu par les accords de Minsk, soit de mieux en mieux respecté.
La France et l’Allemagne sont investies dans la résolution du conflit depuis le début de celui-ci. Leur rôle est-il déterminant dans la résolution de ce conflit ?
Les accords de Minsk résultent bien du travail mené par la France et l’Allemagne en vue du règlement du conflit. Ils ont fait suite à la création du format Normandie (Ukraine, Russie, France, Allemagne), en marge des cérémonies d’anniversaire du Débarquement du 6 juin 1944, le 6 juin 2014. Cela s’est fait sans les Américains, qui ne voulaient pas de cette réunion. Dès le départ, ce format à quatre a marqué le rôle d’impulsion de la France et de l’Allemagne, qui se sont positionnées en arbitre entre l’Ukraine et la Russie.
La création de ce format Normandie avait permis la signature d’un premier accord à Minsk en septembre 2014, resté lettre morte avant que les accords de Minsk II en février 2015 ne deviennent le cadre de la négociation de paix grâce à la caution internationale de la France et de l’Allemagne, aux côtés de l’Ukraine et de la Russie. Ces accords prévoient, outre un cessez-le-feu et des mesures de confiance, le retour du Donbass à l’Ukraine avec un statut spécial.
Les deux pays ont ensuite joué un rôle important notamment avec l’introduction d’un des éléments clés de la résolution du conflit, « la formule Steinmeier », du nom de l’ancien ministre allemand des Affaires étrangères. Celle-ci, approuvée maintenant tant par les Ukrainiens que par les Russes, a permis de concrétiser un aspect important de l’Accord de Minsk 2, celui du statut spécial du Donbass. Elle articule l’organisation d’élections au Donbass validées par l’OSCE avec la mise en place d’un statut spécial d’autonomie dans le cadre des institutions ukrainiennes, assurant ainsi le retour à l’intégrité territoriale du pays. À nouveau, c’est l’Allemagne, avec l’appui de la France, qui a présenté cette formule et l’a faite approuver. Son acceptation a été une des conditions mises par la Russie à la tenue du Sommet à quatre.
Les accords de Minsk étaient portés à bout de bras par la France et l’Allemagne, car ils n’ont jamais été acceptés avec enthousiasme par Washington ni par une partie de l’opinion ukrainienne, qui estime qu’ils ont été signés lors d’une période de faiblesse de l’Ukraine et qu’ils comportent des clauses qui ne sont pas favorables aux intérêts du pays. De même, une partie importante des gens du Donbass préféreraient un rattachement pur et simple à la Russie. Jusqu’à présent, la Russie n’avait pas fait beaucoup d’efforts non plus. Maintenant grâce à la France le dialogue est renoué.
En définitive, le processus de Minsk réactivé se déroule sous les auspices de l’Allemagne et de la France, cette dernière ayant actuellement le rôle moteur pour des raisons conjoncturelles liées aux difficultés de la politique intérieure allemande.