OTAN : la stratégie d’Emmanuel Macron vis-à-vis de Donald Trump
Sur qui Emmanuel Macron peut-il compter pour appuyer sa cause ?
D’abord, et il est important de le rappeler, il peut compter sur un contexte, celui d’une alliance confrontée à des défis existentiels. Un élargissement prolongé mais qui ne s’accompagne pas d’une refonte des missions et des objectifs de l’OTAN; un Allié, la Turquie, qui s’engage dans une opération militaire contre les partenaires d’autres Alliés (les Kurdes), et choisit de se fournir auprès de la Russie pour ses systèmes de défense; un président américain qui ne semble pas très enthousiaste à l’idée de venir en aide aux Européens dans le cas d’un conflit (comme ses prédécesseurs d’ailleurs); et, plus que tout autre aspect, des alliés européens qui confondent OTAN et protection bienveillante américaine, et qui oublient qu’ils ont eux-mêmes des obligations dans ce que Washington qualifie, en toute logique, de burdensharing. A moins de se voiler la face ou de faire preuve d’un atlantisme aveugle doublé d’un binarisme un peu dépassé car héritier de la Guerre froide, force est de reconnaître que l’OTAN ne peut plus fonctionner sur les bases qui sont les siennes actuellement, et que si rien n’est fait, sa mort sera de fait déclarée à courte ou moyenne échéance, depuis Ankara ou depuis Washington sans doute. Le constat d’Emmanuel Macron est juste, et il a raison en le faisant de chercher à provoquer un débat.
Ensuite, Emmanuel Macron peut compter sur de nombreux alliés objectifs, qui ne partagent peut-être pas (et parfois pas du tout) ses vues sur les orientations qu’il souhaite donner à l’OTAN, mais qui le rejoignent sur le constat que l’alliance doit changer. Erdogan d’abord, qui visiblement souhaite s’émanciper d’une alliance dont la réaffirmation autour du concept de sécurité collective pourrait l’isoler, et ne voit rien de mal dans le fait de se rapprocher de Moscou et ainsi fragiliser l’interopérabilité. Notons à cet égard que c’est plus du côté des Etats-Unis et des Etats d’Europe centrale et orientale, pas de la France, qu’il convient sur ce point précis de trouver des désaccords irréconciliables avec Ankara. Erdogan ne le dit peut-être pas encore, mais il considère que l’OTAN n’est plus qu’un club de « vieux copains » au sortir duquel chacun vit sa vie comme il le souhaite. Trump ensuite, qui fut des dirigeants actuellement en poste le premier à claironner (à raison) que l’OTAN doit changer, et que le manque d’implication des Européens est devenu inacceptable pour Washington. Si l’un des chefs d’Etat présents à Londres estime que l’OTAN est en état de mort cérébrale, c’est bien lui!
On peut également mentionner le cas de Boris Johnson, qui s’interroge évidemment sur la place du Royaume-Uni dans la défense européenne au-delà du Brexit, et qui voit légitimement dans l’OTAN un outil qu’il convient de maintenir. A condition toutefois de lui donner un nouvel élan, ce qui ne sera pas fait autrement qu’en le provoquant, comme Macron le fait. Reste le cas d’Angela Merkel, qui a pris ses distances avec Emmanuel Macron sur ce sujet, en bonne chancelière allemande soucieuse de ne pas froisser l’allié américain. Mais elle sait tout aussi bien que le président français que l’OTAN se montre inefficace en Ukraine, qu’elle complexifie la relation avec Moscou, qui semble aujourd’hui prise en otage par les Etats Baltes et la Pologne (comme si rien n’avait changé depuis 1990), et qu’elle atrophie depuis une génération la construction européenne de sécurité et de défense. En mentionnant qu’elle « doit être préservée », Angela Merkel ne s’éloigne pas d’Emmanuel Macron, ce dernier n’ayant pas souhaité la mort de l’OTAN, mais annoncé sa mort cérébrale. La chancelière allemande n’est pas plus hostile à des réformes profondes que son homologue français, elle a juste des moyens militaires, et donc une influence sur ces questions, beaucoup plus limités.
Pour ces différentes raisons, il serait illusoire de considérer que le constat d’Emmanuel Macron est totalement iconoclaste et sorti de nulle part. Le Président de la République a eu, d’une certaine manière, le courage de dire tout haut ce que les autres pensent tout bas depuis des années.
Est-il le seul à faire ce diagnostic sur l’organisation internationale ?
Cela fait plus de vingt ans que l’OTAN répète sans conviction à chacun de ses sommets qu’elle se réforme et s’oriente vers de nouvelles missions et de nouveaux objectifs stratégiques. Au point de lasser les observateurs autant que les participants de ces sommets. Et depuis la même période, ses Etats membres s’interrogent sur son sens, et sur la possibilité de voir ces réformes aboutir. Bien sûr, les crises comme l’Irak en 2003 (qui voit la majorité des membres de l’OTAN intervenir tandis que d’autres, comme la France ou l’Allemagne, mais aussi la Belgique ou le Canada, y sont hostiles) ont mis en évidence les dissonances entre les alliés, mais le problème est plus fondamental. La campagne du Kosovo, la guerre que l’OTAN s’est offerte pour ses 50 ans en 1999, fut le révélateur de tensions transatlantiques profondes, et s’étaient à l’époque accompagnées d’appels très appuyés du Congrès américain à ce que l’alliance change pour éviter à l’avenir à Washington un traquenard comme celui de l’intervention au Kosovo, et dont la seule récompense vingt ans après semble être l’avenue Bill Clinton à Pristina – ce qui accessoirement fait grincer des dents du côté des Républicains… Succès militaire éclatant, la guerre du Kosovo a aussi été le révélateur des déséquilibres capacitaires et des problèmes de leadership qui y sont associés.
Les présidents américains successifs, George W. Bush puis Barack Obama, n’avaient pas la brutalité de Donald Trump, mais leur opinion sur l’alliance n’était pas fondamentalement différent, notamment quand ils exigeaient des Européens une augmentation de leurs budgets de défense. L’élargissement à de nouveaux alliés sans armée ni moyen n’a fait que creuser un peu plus ce fossé. Comme si, côté américain, on ne voyait plus dans les bénéfices de l’OTAN que la possibilité de renforcer les liens avec des Etats européens et de leur vendre du matériel militaire, tout en se plaignant dans le même temps de plus en plus de leurs origines de « Vénus » (pour reprendre les critiques de Rober Kagan).
Emmanuel Macron n’est pas le premier à faire ce diagnostic sévère sur l’OTAN, la seule différence étant, comme évoqué plus haut, le contexte.
Le Président de la République semble avoir fait sienne une stratégie diplomatique d’interventions qu’on pourrait qualifier de « musclées ». Cette stratégie est-elle payante ?
Nous sommes en droit de le penser. Peut-être d’ailleurs l’insulte d’Erdogan à Emmanuel Macron est-elle un bon indicateur de ce succès, tout autant que les propos maladroits de Donald Trump sur le fait que le président français aurait été insultant à l’égard de l’Alliance – ce qui en soi ne veut absolument rien dire, soit dit en passant. La diplomatie a changé. Ne voit-on pas d’ailleurs des diplomates, anciens ambassadeurs notamment, raconter sans détour leur carrière, et s’en prendre même parfois frontalement aux dirigeants de pays dans lesquels ils officient? Si la fonction et le langage de l’ambassadeur ont changé, c’est aussi une réalité qu’on relève chez les dirigeants des grandes puissances.
Après les rencontres guindées puis les relations amicales, c’est peut-être le temps d’un parler plus direct, au risque de froisser la sensibilité de ceux qui n’ont pas vu le vent tourner. Ces méthodes musclées, qu’on attribue souvent aux régimes autoritaires ou aux dictateurs et populistes de tous horizons, Erdogan, Duterte, Bolsonaro, Orban… ne pourraient pas être, de manière plus civile il s’entend, être pratiquées par les dirigeants des grandes démocraties? Tout dépend de ce que l’on entend par méthodes musclées. S’il s’agit de s’en prendre à la personne, comme l’a encore fait Erdogan il y a quelques jours (comme l’avait fait de manière indigne Bolsonaro en septembre), alors non, ce ne sont pas des méthodes payantes, mais qui au contraire isolent et invitent au mépris, parce que cela est, comme le dit Trump, « insultant ».
S’il s’agit en revanche d’attaquer de front des institutions, il ne s’agit pas cette fois d’insultes mais de diagnostics, les institutions étant portées par ceux qui les font autant que par ceux qui les défont. Ne reproche-ton pas aux dirigeants européens leur absence de réactivité, leur incapacité à élever la voix et à prendre l’initiative? Le style que propose le Président de la République semble, sur ces questions de diplomatie et de sécurité internationale, aussi adapté aux réalités contemporaines que revigorant pour la vieille Europe que nous incarnons et défendons.
Cette stratégie s’accompagne-t-elle d’une diplomatie française efficace, nous permettant de peser à plusieurs sur les questions internationales ?
Evidemment. C’est la stratégie initiée et incarnée par Charles de Gaulle, que certains de ses successeurs ont tenté de reprendre, François Mitterrand et Jacques Chirac en particulier, et qu’Emmanuel Macron a fait sienne avant même son arrivée au pouvoir, rompant ainsi avec ses deux prédécesseurs. Mais cette stratégie ne gagne en efficacité que quand elle s’accompagne d’un contexte favorable. Et c’est le cas. Crise de légitimité des Etats-Unis sur la scène internationale, Brexit, transition de pouvoir à venir en Allemagne…
La France n’est peut-être plus depuis longtemps une grande puissance, mais son influence est certaine, et les indicateurs sur le soft power ou la capacité d’influence ne s’y trompent pas. Cette stratégie ne gagne en efficacité également que quand elle est cohérente, et les propos d’Emmanuel Macron sur l’OTAN le sont, puisqu’ils s’inscrivent dans la continuité de son positionnement depuis son arrivée au pouvoir. Elle gagne en efficacité enfin dès lors qu’elle impulse un élan collectif et n’est pas isolée. Et sur ce point, c’est de la défense et de la sécurité en Europe dont il s’agit, aussi la concertation, le dialogue et le compromis ne doivent pas être éclipsés par la prise d’initiative, mais ils ne doivent pas non plus réduire cette dernière au silence.