18.11.2024
Mobilisations sociales et politiques dans le monde : les femmes en première ligne
Presse
25 novembre 2019
Ce 23 novembre 2019, des dizaines de milliers de femmes (et d’hommes) ont manifesté en France contre les violences sexistes et sexuelles. Cet événement s’inscrit dans la continuité des Women’s Marches et du mouvement #MeToo. Il invite aussi à rappeler un fait peu commenté : la dimension genrée des mobilisations sociales et politiques partout dans le monde, ces derniers mois, contre les pouvoirs en place.
L’enjeu de genre est double. D’une part, au Chili, en Argentine, au Soudan, en Algérie, au Liban et en Hongrie, les femmes sont extrêmement actives, voire précurseuses des contestations. D’autre part, leurs demandes qui portent sur l’égalité femmes-hommes dans différents domaines (héritage, famille, salaires, accès au travail et aux postes de pouvoir) et sur leurs droits (liberté de disposer de son corps, liberté de circuler, etc.) renouvellent l’agenda global des revendications et les répertoires d’actions. Et ce, alors que prendre l’espace public pour faire entendre ses droits est d’autant moins toléré lorsque les manifestants sont des manifestantes dans de nombreux pays.
En Argentine, la bataille du droit à l’avortement
En Argentine, les femmes se sont une fois encore fortement mobilisées dans les jours et les semaines précédant l’élection présidentielle du 27 octobre dernier, notamment lors des 34e Rencontres nationales des femmes, poussant les candidats (tous des hommes) à se prononcer sur l’accès à l’avortement. De plus en plus nombreuses au fil des années, elles ont réussi à imposer ce sujet dans l’agenda, à défaut, loin de là, d’obtenir l’unanimité des politiciens en faveur d’une loi libéralisant l’avortement.
Dans le pays, celui-ci demeure en effet illégal, sauf en cas de viol ou de mise en danger de la santé de la femme enceinte. Et le backlash n’est jamais loin. Ainsi, le 21 novembre, quelques semaines avant de quitter le pouvoir, le président argentin sortant (battu lors du dernier scrutin), Mauricio Macri, a annulé unilatéralement un texte adopté deux jours plus tôt facilitant l’accès à l’avortement pour les mineures de moins de 15 ans.
Au Liban, un coup de pied contre le patriarcat et la corruption
Au Liban, les femmes se battent aussi pour leurs droits : elles ne peuvent pas transmettre leur nationalité à leurs enfants ou à leur mari, et les inégalités de genre sont fortes en matière d’héritage, de divorce ou de garde des enfants. Elles sont également en première ligne dans les manifestations de rue pour une société démocratique et globalement plus égalitaire.
L’image de la manifestante Malak Alawye Herz donnant un coup de pied au garde du corps d’un ministre est devenu un mème. Ce coup de pied symbolise à la fois la lutte contre le patriarcat et contre le système politique confessionnel libanais, considéré comme corrompu et accusé d’accentuer les inégalités socio-économiques qui touchent en premier lieu les femmes. La mobilisation de celles-ci, notamment des étudiantes, résulte, au Liban comme en Argentine, d’un long et ancien travail de terrain associatif.
Elles font, par ailleurs, l’objet d’une vive répression policière. En définitive, la présence des femmes dans l’espace public est refusée, alors qu’elles campent sur des places, organisent des débats avec la population, participent aux barricades, etc.
Des femmes fortement mobilisées, mais pas forcément écoutées
Au Chili aussi, elles sont en première ligne et paient le prix de leur mobilisation. Depuis le mois d’octobre, on déplore la disparition de 13 femmes et de nombreuses violences sexuelles et anti-lesbiennes. L’augmentation du pouvoir d’achat pour tous, l’égalité femmes-hommes en matière de salaire, de retraite et de santé, ainsi que la légalisation totale de l’avortement et une reconnaissance des violences sexuelles dans les textes sont autant de thèmes portés dans les manifestations.
Au Soudan, les femmes ont également joué un rôle majeur dans les manifestations massives qui ont abouti au départ du président Omar al-Béchir au printemps dernier. Très actives, historiquement, dans la société et l’économie du pays, elles ont vu la dictature réduire leurs libertés. Beaucoup réclament justice pour les violences sexuelles subies par les femmes du Darfour, dans lesquelles de nombreux fonctionnaires en poste seraient impliqués.
Les manifestantes ont aussi réclamé la fin du port obligatoire du hijab, la liberté de circulation dans l’espace public et la possibilité de travailler hors du foyer, autant de choses que la charia leur interdit. Mais les associations politiques de femmes ont été éloignées des négociations avec le Conseil militaire de transition.
Il en va de même en Algérie où les femmes se sont fortement mobilisées en faveur d’un changement de régime et d’une avancée de leurs droits, mais elles n’ont pas été écoutées, notamment sur la réforme du code de la famille. Les femmes ont ainsi été écartées de la transition politique en cours.
On pourrait encore citer la Roumanie, où la société civile se mobilise contre la corruption du pouvoir, mais aussi pour un accès plus juste et égal à la santé et à l’éducation, des revendications portées en particulier par les femmes. En Hongrie, il y a un an, ce sont déjà elles qui ont mené la contestation contre le Premier ministre Viktor Orbán et son projet de déréguler les heures supplémentaires, une mesure qui va davantage pénaliser les femmes que les hommes.
Des images de mobilisations qui marquent les esprits
En de nombreux points du globe, les femmes suscitent une accélération de la révolte démocratique et sociale, et poussent en faveur d’ un agenda qui leur soit davantage favorable. Sur le plan de la méthode, l’occupation de l’espace public pour défier le pouvoir est, dans leur cas, particulièrement symbolique. Les images de femmes prenant la rue marquent les esprits au niveau national comme international.
C’est pourquoi parler seulement de « convergences entre les sociétés » se rebellant contre la mondialisation est insuffisant. Ignorer la dimension genrée omniprésente dans les mobilisations récentes et actuelles, c’est manquer l’analyse en profondeur du réel et ne pas bien comprendre l’évolution des exigences démocratiques et les ressorts de la répression.
Les catégories traditionnelles d’analyse des contestations populaires doivent évoluer et la recherche universitaire sur le genre doit être mobilisée. Alors que s’accumulent les crises sociales, économiques, politiques et environnementales, l’aspiration à davantage de coopération et de solidarité, à moins de verticalité et de domination, et à l’expression d’une nouvelle citoyenneté évolue à mesure que s’affirment certaines revendications féministes. Et ce, malgré des contextes nationaux différents.
La capacité de récupération des populistes
Tout laisse à penser que ces mouvements vont se renforcer dans les mois à venir et se multiplier par un effet de contagion. La caisse de résonance qu’offrent les réseaux sociaux crée un sentiment de convergence chez les manifestantes et manifestants, en démocratie comme dans les régimes autoritaires. Lassitude, besoin de changement, sentiment d’urgence sont particulièrement présents chez les jeunes générations, surtout chez celles qui ont fait des études supérieures. Mais l’effet intergénérationnel est bien présent.
Quelles seront les traductions politiques de ces militantismes en partie renouvelés et largement portés par les femmes ? Les gouvernants proposeront-ils la nostalgie d’un ordre ancien ou des réformes émancipatrices ?
Pour l’heure, il est au moins un courant qui a saisi combien les droits des femmes, d’une part, et le prisme genré du discours et des politiques publiques, de l’autre, sont décisifs : les populismes nationalistes qui, à l’instar de Donald Trump ou de Jair Bolsonaro, ont montré leur capacité de récupération.