18.11.2024
Bougainville : plus d’autonomie, ou l’indépendance ?
Tribune
22 novembre 2019
Samedi, les 207 000 électeurs de Bougainville, un petit archipel de Papouasie–Nouvelle-Guinée, commenceront à voter lors d’un référendum d’indépendance. Ce vote — qui se déroule du 23 novembre au 7 décembre — pourrait créer la plus jeune nation du monde et susciter une poussée d’influence parmi les puissances régionales.
C’est un évènement qui se prépare depuis plus de 20 ans. En 2001, dans le cadre d’un accord de paix mettant fin à une guerre civile dévastatrice, le gouvernement central à Port Moresby, la capitale, avait promis à la population de Bougainville de pouvoir voter un jour pour décider de son futur.
Les résultats seront annoncés le 20 décembre et ils devraient être largement favorables à l’indépendance. Mais le chemin menant à ce point a été long et violent et celui qu’il reste à parcourir pourrait être tout aussi problématique.
Au cœur de l’histoire de l’indépendance de la Bougainville, il y a un trésor, empoisonné : une mine d’or et de cuivre.
La mine Panguna, une immense mine à ciel ouvert, a fourni 45 % des revenus d’exportation de la Papouasie–Nouvelle-Guinée au cours des années qui ont suivi son ouverture en 1972. Lorsque le pays est devenu indépendant de l’Australie en 1975, les Bougainvilliens ont commencé à se demander si leur archipel pourrait mieux s’en sortir en étant, lui aussi, indépendant, plutôt que d’avoir leurs ressources coupées et utilisées pour soutenir une plus grande nation.
Au fil des années, la tension s’est accumulée. Puis, en 1988, les propriétaires terriens et les employés locaux de Panguna, irrités par la destruction de leur terre, les bas salaires et la répartition inéquitable des revenus (moins de 1 % des profits réinvestis à Bougainville) ont finalement pris les armes.
En réponse, le gouvernement a envoyé l’armée. Les soldats ont incendié des villages et exécuté des collaborateurs en toute impunité. Cela n’a fait qu’enflammer la résistance et les révoltes sur l’archipel. Port Moresby, avec l’appui de l’Australie, imposa un blocus naval coupant l’île du reste du monde, sans succès.
Le gouvernement central décida alors d’engager secrètement une société militaire privée basée au Royaume-Uni pour mener des opérations d’intimidations à Bougainville. Cependant, l’affaire a été divulguée auprès des médias australiens, ce qui créa un tollé et poussa le Premier ministre de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, Julius Chan, à démissionner.
En 2001, après un conflit qui aura tué environ 20 000 personnes, un accord de paix entre les forces séparatistes et le gouvernement central fut trouvé. L’Accord de Paix de Bougainville (APB) ferma la mine, accorda l’autonomie de Bougainville au sein de la Papouasie–Nouvelle-Guinée (PNG) et posa les bases pour un référendum sur l’indépendance.
Le seul bémol, c’est que d’après l’APB, le résultat de ce référendum n’est pas « contraignant ». C’est-à-dire que le dernier mot concernant l’indépendance de l’archipel appartient au gouvernement central et non pas aux habitants de Bougainville.
Malgré son soutien au processus, c’est ce qu’a clairement rappelé l’actuel Premier ministre du pays, James Marape, en octobre dernier, qui cherche tant bien que mal à calmer les rumeurs d’effet domino. En effet, au sein de son gouvernement, beaucoup craignent que l’indépendance de Bougainville encourage les autres provinces de la PNG (il y en aurait plus de 20) à revendiquer elles aussi une plus grande autonomie, voire une sécession.
À l’issue de ce vote, où les électeurs pourront choisir entre plus d’autonomie et l’indépendance, trois options s’offrent à la Papouasie–Nouvelle-Guinée :
1- Les électeurs votent pour plus d’autonomie, refusant l’option de l’indépendance. Bougainville resterait alors une province de la Papouasie–Nouvelle-Guinée et le pays tournerait la page.
2- Les électeurs votent pour l’indépendance et le gouvernement central accepte le vote. Bougainville deviendrait alors un pays souverain.
3- Les électeurs votent pour l’indépendance, mais le gouvernement central n’accepte pas le résultat ou retarde son application. Cela conduirait sûrement à une nouvelle crise.
On suppose que la majorité de la province votera pour l’indépendance. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer la partie de l’électorat qui votera contre. En réalité, certains craignent pour l’avenir économique de l’archipel et y préfèrent l’assurance du soutien financier de Port Moresby.
Effectivement, la fermeture de la mine de Panguna et l’absence d’autres mines en exploitation ou d’industries développées sur l’archipel posent la question de savoir comment un Bougainville indépendant pourrait subvenir à ses besoins.
D’après les dernières estimations, le Gouvernement autonome de Bougainville ne reçoit qu’un dixième de ses ressources financières par le biais d’impôts sur les sociétés, de droits de douane et autres taxes. Le reste provient directement de gouvernement central, qui subventionne la province depuis la signature de l’Accord. Une équation qui fait peur, aussi bien nationalement qu’à l’étranger.
Pour l’Australie, la situation est en effet compliquée. Canberra soutient le processus du référendum, mais cherche aussi de tout prix à éviter de nouvelles instabilités dans sa région, comme par exemple un État pauvre économiquement et administrativement. L’Australie reste le plus important donateur de soutien financier à la province, et a participé à la médiation qui a mis fin aux combats. Malgré cela, la plupart des Bougainvilliens estiment que l’Australie s’oppose à l’indépendance, car Canberra n’a pas indiqué ouvertement ses positions.
En plus de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Nations unies sont intervenues pour fournir une assistance financière et organisationnelle au référendum.
De plus loin et sur fond de combat idéologique dans la région, les États-Unis et la Chine suivent attentivement l’évolution de la situation. Pékin a d’ailleurs déjà envoyé une délégation se pencher sur les investissements possibles à Bougainville, notamment concernant un nouveau port.
En somme, ces deux prochaines semaines vont être importantes, non seulement pour la Papouasie–Nouvelle-Guinée, mais aussi pour la région. Affaire à suivre.