ANALYSES

Colonies israéliennes : le soutien du gouvernement Trump peut-il mettre le feu aux poudres ?

Interview
20 novembre 2019
Le point de vue de Didier Billion


Après une semaine de fortes tensions entre Israël et Gaza, et alors que Benny Gantz est en pleines tractations pour former un nouveau gouvernement, les États-Unis viennent d’annoncer qu’ils ne jugeaient plus les colonies israéliennes en Cisjordanie comme contraires au droit international. Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, analyse la portée de ces déclarations.

Comment interpréter cette déclaration états-unienne ? Quelles peuvent en être les conséquences ?

Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de toutes celles prises par l’administration américaine depuis l’accession de Donald Trump à la présidence, c’est-à-dire dans un alignement total sur les positions israéliennes. Visiblement l’administration Trump considère désormais que la solution à deux États est passée par pertes et profits de l’histoire. La décision de déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem en décembre 2017, la cessation de la contribution financière auprès de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) depuis août 2018, et maintenant cette décision de considérer les colonies israéliennes comme parfaitement légales, s’inscrivent dans une logique implacable. On a de ce point de vue tort de considérer que la politique extérieure de Donald Trump est erratique, en témoignent ses décisions méthodiquement mises en œuvre.

Cette politique s’explique par un fort tropisme pro-israélien, par la composition de l’équipe qui est en charge du dossier israélo-palestinien dans son entourage, par exemple la personnalité de l’ambassadeur des États-Unis à Jérusalem, David Friedman. Ce dernier était connu bien avant sa prise de fonction pour sa proximité avec les colons puisqu’il faisait déjà activement partie des réseaux d’assistance juive à Israël en s’occupant notamment de la colonie de Beit El. On peut également citer le plan de paix préparé par le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, dont la teneur économique avait été dévoilée en juin dernier à Bahreïn. Sur les 135 pages qui composaient ce document se caractérisant par une novlangue insupportable, pas une seule fois le mot « colonisation » n’était mentionné.

Cette dernière décision est très grave, car une fois de plus, l’administration Trump fait totalement fi du droit international et d’une solution de type multilatéral qui pourrait être remise en œuvre. On s’enfonce dans la négation de la résolution du conflit israélo-palestinien et les faibles points d’appui, que constituent encore les résolutions de l’ONU, sont systématiquement foulés au pied par les États-Unis.

Certains interprètent cette déclaration comme un coup de pouce à Benyamin Netanyahu, au moment où les partis de son pays mènent de difficiles tractations pour former un nouveau gouvernement. Leur issue aura-t-elle une influence sur la relation de l’État hébreu avec son voisin palestinien ?

Benny Gantz est en charge de constituer le gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu ayant jeté l’éponge il y a quelques semaines. Au vu des délais institutionnels, ce gouvernement doit être constitué avant le 20 novembre à 23h59. Présentés comme opposés, Benyamin Netanyahu et Benny Gantz sont en réalité sur la même ligne. Les deux soi-disant concurrents se sont précipités pour se féliciter des décisions états-uniennes. Cette réaction n’est pas étonnante de la part de Benyamin Netanyahu, ami de Donald Trump. Il a d’ailleurs utilisé une fois de plus des termes bibliques (« c’est la démonstration historique que la Judée et Samarie appartiennent bien au peuple d’Israël »), mais qui prennent sens au vu de la situation. C’est évidemment très grave, car si on raisonne en se fondant sur les textes bibliques, on ne peut plus négocier politiquement. Il y a un refus de facto de toutes formes de négociation de la part des Israéliens, soutenus en ce sens par Donald Trump.

Les Palestiniens, pour leur part, sont souvent critiqués parce qu’ils refusent de dialoguer et qu’ils ont cessé toute forme de contact direct et public à la suite du transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem. Mais les dirigeants palestiniens sont aujourd’hui dos au mur et n’ont guère de solution pour relancer un quelconque processus de dialogue. Les décisions qui sont prises aussi bien par les administrations états-uniennes qu’israéliennes bloquent toute possibilité de sortir politiquement d’une situation qui ne fait qu’empirer.

Le blocage est donc avant tout politique et diplomatique, mais la situation n’est pas pour autant figée sur le terrain. Dans les faits, les colonies continuent leur expansion jour après jour. Après 1967, année de l’adoption de la résolution 242, on comptait environ 10 000 colons israéliens. En 1993, au moment de la signature des Accords d’Oslo, il y en avait 280 000 ; aujourd’hui, il y en a 650 000.

L’Autorité palestinienne a dénoncé la prise de position américaine comme étant en contradiction totale avec le droit international et les résolutions de l’ONU condamnant les colonies israéliennes. Les Palestiniens ont-ils encore des soutiens et des leviers pour aboutir à la création d’un État ?

Les Palestiniens sont dans leur bon droit lorsqu’ils condamnent ces décisions, qui vont à l’encontre du droit international. Mais cette réaction aura-t-elle un écho ? Aujourd’hui, peu de soutiens se sont manifestés. Depuis lundi, on a pu entendre quelques condamnations assez tièdes. Ce qui compte aujourd’hui, ce sont les initiatives concrètes que ladite communauté internationale peut prendre. Ainsi que fait l’ONU pour contrecarrer cette négation méthodique et systématique du système multilatéraliste ? Que fait concrètement l’Union européenne ?

Si la situation n’est guère en faveur de la mise en œuvre des droits légitimes du peuple palestinien il faut tenter de s’appuyer sur les linéaments de résistance qui existent. Ainsi, au sein de l’ONU, une majorité de pays soutient la perspective d’un État palestinien. On doit alors s’interroger sur la manière de rassembler cette majorité dans le sens d’une initiative concrète. Se pose ainsi la responsabilité particulière d’un État membre du Conseil de sécurité, notamment celle de la France qui pourrait être à l’initiative, mais on peut douter qu’elle en ait le courage, la volonté et l’énergie, car c’est un combat difficile et plein d’embûches.

N’oublions pas par ailleurs des campagnes d’organisations non gouvernementales, tel « Boycott Désinvestissement Sanctions » (BDS) qui prend graduellement de l’ampleur. Son expansion à l’échelle internationale inquiète les Israéliens, un des proches conseillers de Benyamin Netanyahu ayant même déclaré que la cessation de cette mobilisation était un enjeu stratégique majeur pour son pays. Si la résonnance de cette campagne est faible en France, elle a beaucoup plus de consistances dans d’autres pays comme la Belgique ainsi qu’aux États-Unis.

Les Palestiniens ont donc à disposition deux leviers distincts : l’un politique et diplomatique qu’il ne faut pas délaisser, car son potentiel persiste ; l’autre venant de la société civile et des ONG qui se manifestent notamment par cette campagne BDS.
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