18.11.2024
À propos de « Recomposition » d’Alexandre Devecchio
Édito
5 novembre 2019
Alexandre Devecchio, solidement ancré à la droite de la droite dans le paysage éditorial, estime que le clivage gauche/droite est dépassé. Réflexe assez courant dans sa famille de pensée. Il s’appuie pour se faire sur le vaste mouvement politique en cours dans les démocraties occidentales.
Révolution, contre-révolution ou restauration ? Pour Devecchio, il s’agit plutôt d’une recomposition. Gilets jaunes, Brexit, Trump, Salvini et Di Maio, Bolsonaro, Rassemblement National en France, Vox en Espagne, AfD en Allemagne, Parti droit et justice en Pologne, il y a partout une insurrection d’ampleur mondiale contre l’ordre libéral progressiste établi en 1989.
Les populistes d’aujourd’hui sont portés par la crise économique et sociale et ne se sont pas imposés par la force contrairement à Hitler et Mussolini, estime Devecchio qui veut retirer l’image d’extrême droite qui colle à ces mouvements. Mais, s’il est en effet simplificateur et même contraire à toute vérité de réduire les gilets jaunes à l’extrême droite, et plus encore le mouvement cinq étoiles, cela est beaucoup plus manifeste pour la plupart des autres.
Il présente les populistes comme les champions de la démocratie contre un système de plus en plus verrouillé par des pouvoirs économiques et technocratiques face auxquels les peuples se sentent dépossédés de leur souveraineté.
Le refus du populisme c’est aussi le refus d’analyser les causes profondes du divorce entre les partis traditionnels et le peuple écrit-il. En effet, trop souvent la dénonciation du populisme est, pour partie des élites un refus de se remettre en cause.
Il observe à juste titre que les classes moyennes occidentales, autrefois motrices de la croissance et véritable colonne vertébrale de la société, sont toutes frappées par la même paupérisation, le même sentiment d’être exilé dans leur propre pays et mues par la même révolte.
Les classes populaires blanches se sentent délaissées et méprisées, ce sont « les dispensables » d’Hillary Clinton.
La révolution populiste aurait été sans doute beaucoup plus lente, voire impossible, sans la révolution numérique. Par conséquent, les réseaux sociaux commencent à être diabolisés.
La méritocratie à l’effet de rendre les élites plus fermement établies que jamais dans leurs privilèges, perçus comme la récompense appropriée à leur mérite.
Si ces constats bien documentés dans le livre sont largement partagés, on ne suivra pas Devecchio sur la conclusion qu’il en tire.
Pour lui, le danger majeur, et donc le clivage principal, est ailleurs. C’est l’islamisme – l’islam ? – qui est selon lui le nouvel horizon du totalitarisme : « Comme tous les totalitarismes, l’islamisme ne se reconnaît pas dans l’idéal national et il est mu par une volonté de domination mondiale et totale. »
Selon lui, sous prétexte de liberté religieuse et de non-discrimination, les islamistes font avancer les revendications alimentaires ou vestimentaires notamment, qui cachent en réalité un objectif politique d’islamisation de la société. On est ici à la limite du complotisme.
Le monde est confronté à la montée en puissance de menaces inégales, mais convergentes : d’un côté, l’islamisme qui domine aujourd’hui le Moyen-Orient et sème la terreur en Occident et de l’autre, le libéralisme technomarchand qui impose sont soft Power par le traité de libre-échange et les nouvelles technologies.
Beaucoup d’affirmations sont simplement des contre-vérités :
– Il refait le coup de l’alliance entre le grand Mufti de Jérusalem et Hitler pour montrer la convergence des totalitarismes nazis et islamiques, alors qu’il est largement documenté que le Grand Mufti était très isolé et peu représentatif.
– Il présente curieusement les années Boris Eltsine comme étant celles de la démocratie libérale en Russie, rappelons qu’il a fait lancer les chars à l’assaut du Parlement en 1993.
– Selon lui, « à Paris VIII, dans le département de sciences humaines, les militants de gauche et les marxistes ont été remplacés par les indigénistes et leurs lubies décolonialistes. » J’enseigne à Paris VIII depuis 15 ans, je n’ai pas vu cela.
– « Le pacte de Marrakech favorise une immigration massive », or le pacte n’a aucune valeur contraignante.
– « En France, en particulier, la multiplication des lois antiracistes et mémorielles est venue cadenasser la liberté d’expression et donc rendre le débat public impossible. » C’est la rengaine habituelle de ceux qui n’arrêtent pas de taper sur les musulmans dans tous les médias tout en se plaignant qu’on ne peut plus rien dire. Les sonneurs de tocsin ont été confondus avec les incendiaires : Finkelkraut, Zemmour, Houelbecq. On peut penser qu’ils avertissent d’un feu qu’ils alimentent.
Pour lui, l’alliance longtemps jugée improbable entre la Lega, classée à droite et le mouvement cinq étoiles, classé à gauche, se révèle étonnamment stable et confirme le dépassement du clivage droite gauche par les populistes. Bon, on ne peut pas tout prévoir…
Devecchio ne voit pas que la montée de la question identitaire, à laquelle il participe largement, permet de masquer la question sociale, à laquelle il se dit attaché.
Est-ce en faisant de l’islam une menace globale et totalitaire qu’on va réparer l’ascenseur social, permettre une meilleure redistribution des richesses et réduire la fracture entre le peuple et les élites ? Ou est-ce le moyen de permettre à tous ces phénomènes de se poursuivre tranquillement ?
En désignant les musulmans comme boucs émissaires, on contribue au contraire à détourner l’attention des problèmes plus fondamentaux.