ANALYSES

Iran : tour d’horizon de la situation actuelle

Interview
28 octobre 2019
Le point de vue de Thierry Coville


De nouveaux paramètres sont venus changer la situation au Moyen-Orient, avec en tête les actions turques en Syrie. Comment l’Iran, toujours au centre d’une crise avec les États-Unis, se positionne-t-il vis-à-vis de cette nouvelle dynamique ? Qu’en est-il de sa position intérieure ? Le point de vue de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.  

Où en est la situation en Iran ? Y a-t-il en Iran des personnalités et mouvements politiques plus conciliants et favorables à une détente des relations avec les États-Unis ?

On est dans une continuation des derniers mois. Sur le plan économique, la situation est catastrophique, depuis la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire. D’après les derniers chiffres du FMI, on aurait une récession avec une diminution du PIB de -9,5 % et une inflation qui atteindrait les 40 % pour l’année 2019. Les exportations de pétrole sont passées de 2,3 millions de barils par jour en 2017, à 700 000 barils par jour aujourd’hui.

Sur le plan politique, on a toujours des tensions très élevées entre deux camps : le camp gouvernemental, plus modéré et dirigé par Hassan Rohani, et le camp des « durs ». Les tensions internes sont très fortes même si l’Iran parvient à présenter un front commun, notamment concernant la politique étrangère. Le camp des modérés reste quand même plus favorable à des relations avec l’Occident et notamment les États-Unis, dans des conditions normales où les droits de l’Iran seraient respectés. Quant aux ultraconservateurs, ils considèrent par principe qu’on ne peut pas faire confiance aux États-Unis et que ces derniers souhaitent la chute du régime iranien.

Il y a donc une différence fondamentale entre les deux groupes et ces tensions internes s’intensifient avec la préparation des prochaines élections législatives en février 2020, qui créent une grande agitation. Les modérés essaient de dire à la population qu’en dépit de la situation difficile, il est important d’aller voter, et essaient de mobiliser leur électorat, ce qui s’annonce très compliqué. Dans la situation actuelle, on envisage difficilement que le taux de participation aux élections législatives soit élevé, et lorsqu’il est faible, c’est généralement un bon signe pour les ultraconservateurs qui pourraient donc gagner une nette majorité au parlement. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les Occidentaux qui souhaitent négocier avec l’Iran. Autre élément intéressant, Rohani essaie actuellement d’établir un certain rapport de force avec le camp des ultraconservateurs en demandant l’autorisation au Guide d’organiser un referendum. On ne connaît pas encore le sujet de ce référendum, mais il se murmure que ce serait pour poser la question de négociations avec les États-Unis.

Ainsi, tant que les États-Unis refusent de baisser les sanctions et de réintégrer l’accord de 2015, l’Iran ne voudra pas négocier. Dans le même temps, on voit tout de même qu’il y a des divergences internes et deux approches différentes dans la conduite à tenir face aux États-Unis.

On a beaucoup décrit Vladimir Poutine en grand vainqueur du retrait américain de Syrie. Qu’en est-il de l’Iran dans cette nouvelle dynamique ?

L’Iran était très critique vis-à-vis de l’intervention turque, elle considère que sur le plan du droit international, rien ne justifie l’entrée des troupes turques sur le territoire syrien. Pour l’Iran, qui défend l’intégrité territoriale de la Syrie, cette action des Turcs est inacceptable. De plus, les Iraniens considèrent que cette action remet en cause tout le processus de négociation pour arriver à une sortie de crise politique en Syrie, entamée à travers le processus d’Astana (Kazakhstan), entre les Turcs, les Russes et les Iraniens. D’un autre côté, comme les dirigeants iraniens sont pragmatiques, le fait que les troupes de Bachar al-Assad soient en train de reprendre le contrôle du territoire auparavant dirigé par les Kurdes syriens, leur convient tout à fait.

L’autre paramètre est que leur relation avec la Turquie est particulière : même s’ils ont des désaccords fondamentaux avec les Turcs, ils essaient de la maintenir. Ce sont deux vieux pays qui se connaissent bien et qui ont beaucoup de problèmes en commun, notamment concernant la question kurde. Les Iraniens se distinguent néanmoins des Turcs sur cette question puisqu’ils considèrent qu’il faut accorder une certaine autonomie aux populations kurdes dans la région. Après l’attaque turque en Syrie, ce sont d’ailleurs les Iraniens qui ont demandé au gouvernement syrien de négocier avec les Kurdes, ce qui a permis au gouvernement syrien de reprendre le contrôle du nord-est de son territoire.

Autre élément très important, la Turquie a pris position contre les sanctions américaines et continue de commercer avec l’Iran. Donc, même si ce dernier est très critique des interventions turques, il fera en sorte de maintenir le dialogue.

Enfin, l’annonce du départ des troupes américaines du territoire syrien est une victoire pour l’Iran. Finalement, si Poutine est considéré comme le grand vainqueur de cette situation, tout va aussi dans le sens des objectifs iraniens.

Qu’en est-il des deux chercheurs français retenus en Iran ? La France a-t-elle les moyens diplomatiques de les récupérer dans une telle situation ?

Tout ce qu’on peut dire c’est que le contexte politique en Iran s’est considérablement durci du fait des ultraconservateurs qui prennent de plus en plus de poids et dominent les services de sécurité et de justice, ce qui se traduit en interne et dans la politique étrangère de l’Iran par une stratégie beaucoup plus agressive.

Tout ce que l’on peut souhaiter, c’est que la France puisse négocier et que ces deux chercheurs puissent revenir le plus rapidement possible en France.
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